vendredi 18 mai 2012

Bien manger (Eating Well) - 1



Toutes les cellules de mon corps viennent de ce que j'ai mangé. Toutes. Chaque molécule a été transportée, transformée, et a activé des processus chimiques extrêmement complexes pour former mon corps et le faire fonctionner à tous les niveaux. Sucres, protéines, graisses, minéraux, vitamines, et autres éléments aux noms complexes dont beaucoup sont encore à découvrir, des milliers de pièces de puzzle en milliards d'exemplaires déterminent ainsi la vie, la survie, le déclin ou la bonne santé de mes organes. Elles produisent de l'énergie, mais pas seulement. Elles créent ou remplacent les parties des cellules qui vivent dans mon corps, leurs noyaux où siège notre ADN, leurs membranes qui bougent en permanence pour les nourrir et leur permettre d'accomplir leur travail, les messagers qu'elles utilisent pour communiquer entre elles. Ces molécules et éléments divers issues de l'alimentation nourrissent ou tuent les organismes vivants qui peuplent mon corps, les milliards et milliards de bactéries, plus nombreuses encore que mes propres cellules, entretenant l'équilibre des organismes vivants peuplant tous mes organes. La nutrition, c'est donc ce qui détermine de quoi seront faites nos cellules et leur environnent.


Je travaille depuis plusieurs années comme chercheur dans l'industrie sur des sujets touchant à l'impact de la nourriture sur le cerveau, dans sa dimension biologique, et surtout sur les fonctions intellectuelles et réactions émotionnelles, dimensions psychologiques des changements qui pourraient résulter des choix alimentaires. Les questions que nous nous posons sont du type: Est-ce que les déficits en micronutriments observés chez les enfants souffrant de malnutrition altèrent le développement intellectuel de l'enfant? Est-ce que les déficits en oméga-3 observés dans les populations occidentales altèrent le développement mental de l'enfant, sa mémoire ou ses capacités attentionnelles?


Les réponses précises sont très difficiles à obtenir et dans l'ensemble, en toute rigueur scientifique, il est toujours très difficile de conclure, alors même que beaucoup d'études animales et épidémiologiques suggèrent, mais sans toujours le démontrer directement, des relations de cause à effet chez les humains. Lorsque les hypothèses doivent passer par le test de la recherche clinique systématique sur les humains, les études deviennent coûteuses, longues et techniquement délicates. Les résultats sont faibles, lorsqu'ils sont détectables, car l'impact d'un ingrédient ou d'une composante sur le système entier (le corps et ses fonctions) ne peut être que modeste. L'organisme est très performant pour maintenir l'équilibre de notre corps malgré des changements environnementaux (les périodes de jeûnes par exemple) ce qui contribue à la survie de l'espèce. Il est logique que les changements induits par l'alimentations soient peu perceptibles, et se produisent sur de longues périodes de temps. Si les effets d'un nutriment étaient immédiats et puissants, nous souffririons de sauts d'humeur ou de changements physiologiques fréquents en fonction de ce que nous mangeons, ce qui nous mettrait en grand danger.


Or me voici désormais dans le camps des survivants du cancer et non plus dans celui des chercheurs - ces puristes qui veulent publier des résultats impeccables scientifiquement, et cherchent l'approbation d'autres experts pour publier leurs idées dans les revues internationales. C'est un changement de paradigme! En tant que chercheur, je prenais très peu de risque et restais sur des positions conservatrices pour arriver à des conclusions sur lesquelles la plupart des autres scientifiques s'accorderaient temporairement... en attendant d'autres études. Je ne renie pas cette position, bien au contraire, je continue à penser que la connaissance ne peut se développer que pas à pas et avec beaucoup de prudence.


Cependant, étant maintenant aussi du coté du malade, je veux prendre plus de risques. Car ce n'est plus la recherche et la connaissance universelles qui m'intéressent, mais ma petite vie à moi que j'essaie de sauver - sa qualité et si possible sa longueur. Je dois prendre plus de risques.


En tant que scientifique je souhaite invalider des hypothèses avec un risque d'erreur de 5% (erreur de type I, aussi appelée erreur de fausse alarme, ou encore le risque de conclure à un effet alors qu'il n'y en a aucun). De plus, les effets dont je cherche à démontrer l'existence seront modestes.


Or en tant que patiente, je suis prête à prendre des risques très différents et à tenter une méthode qui peut-être ne marche pas (pourvu qu'elle ne soit pas nocive). Autrement dit, je suis prête à envisager un risque très élevé de me tromper. L'erreur de fausse alarme à 5% telle que nous la choisissons classiquement dans nos protocoles scientifiques, pourrait passer à 10%, voir 20%, voir pourquoi pas 50% lorsque je raisonne comme une patiente, puisque je suis désespérée de trouver des solutions. Or, les scientifiques continuent imperturbablement à publier leurs résultats avec des risques d'erreur de type I de 5% ou 1%.


En matière de nutrition et de méthodes douces, un autre problème vient du fait que les études conclusives sur les humains sont relativement rares. Les méthodes scientifiques occidentales tirent leurs conclusions d'études avec des groupes contrôles ou placebo et en utilisant des protocoles de recherches où patients et praticiens en contact avec les patients ne sont pas informés des groupes pour éviter les effets de suggestion. Cependant tester la nutrition ou certains aliments de cette manière, en particulier leur rôle dans la prévention de certaines maladies ou de leur récurrence, s'avère très difficiles à réaliser. Comme les effets sont légers et noyés dans les différences de styles de vie comme les habitudes alimentaires, l'activité physique, les variabilités génétiques et la santé physique et mentale, d'immenses cohortes sont nécessaires. De telles études prennent de nombreuses années et nécessitent des observations très détaillées (et évidemment beaucoup de moyens financiers pour lesquels on pourrait argumenter qu'ils seraient mieux investis dans d'autres types de recherche). Les obstacles sont donc nombreux et la recherche progresse lentement.


Voilà pourquoi j'ai choisi de lâcher les cordes de la rigueur scientifique, et d'accepter de croire à certaines conclusions préliminaires d'études animales et épidémiologiques. On ne sait pas vraiment, mais on espère et on s'assure surtout que ça ne peut pas faire de mal. Je rentre alors dans le camp de ceux qui commencent à changer leur nutrition en espérant que cela aidera mon organisme à combattre les cellules cancéreuses et renforcera mon système immunitaire.


La lecture de David Servan-Schreiber dont j'ai découvert l'existence et les livres en Février cette année m'a permis d'embrasser cette nouvelle manière de penser sans complexe, de briser mes vieux paradigmes de chercheur, et m'a ouvert la porte à ce que je nomme l' "espoir rationnel". Ce médecin chercheur (décédé l'année dernière après 20 ans de lutte contre un cancer du cerveau très agressif) a eu une démarche de scientifique tout en faisant des compromis scientifiques en toute conscience, sachant que les conclusions de la science pure et dure étaient trop limitées pour le patient atteint du cancer qui cherche des méthodes pour protéger son "terrain". Il fit des compromis sans devenir aveuglé par de fausses croyances.


J'ai donc pris David Servan-Schreiber comme point de départ, ai lu et relu son lentement son livre "Anticancer: Les gestes quotidiens pour la santé du corps et de l'esprit". Petit à petit j'élargis mes lectures et ai déjà  exploré d'autres pistes telles que les recherches du Dr Béliveau que Servan-Schreiber cite beaucoup (les deux chercheurs sont francophones). Certaines lectures sur les sites web de recherche américains et anglais dédiés aux patients m'ont confortée dans ma démarche. Et tout en continuant de lire et prendre des notes, j'ai commencé à changer mes habitudes alimentaires.

              (à suivre)



***
English Version: Eating Well, part 1


Every cell of my body comes from what I ate. All of them. Each molecule was transported and processed. It activated extremely complex chemical processes to form my body and make it function at all levels. Carbohydrates, proteins, fats, minerals, vitamins, and other elements with complex names, many of which probably still to be discovered, thousands of puzzle pieces with billions of copies will determine life, survival, decline or the health of my organs. They produce energy, but not only. They create or replace parts of the living cells in my body, their nuclei (DNA headquarters), their membranes that move constantly to feed them and to enable help them perform their work, the messengers they use to communicate. These various elements and molecules from food will also feed or kill living organisms that inhabit my body, the billions and billions of bacteria, which are even more numerous than my own cells, maintaining the life equilibrium of organisms inhabiting all my organs. Nutrition determines what our cells will be and their environment they live in.



I've worked for several years as a researcher in the industry on topics related to the impact of food on the brain, in its biological aspects, on intellectual functions, emotional reactions, and other psychological dimensions of change that may result from our food choices. The questions we study are for example: Do micronutrient deficits observed in malnourished children impair their intellectual development? Do deficits in omega-3 observed in Western populations impair the mental development of children, their memory or attention ability?


The specific answers are very difficult to obtain. Overall, in all scientific rigor, it is always very difficult to conclude. Even though many epidemiological and animal studies suggest a cause to consequence relationships, they are not a direct evidence. When hypotheses have to pass the gates of systematic clinical trials in humans, studies are expensive, lengthy and technically difficult. The results are small, when detected, because the impact of an ingredient or component on the entire system (the body and its functions) can only be modest. Our body is very efficient in maintaining an internal balance environmental changes (periods of fasting, for example) which has contributed to the survival of our species. It makes sense that the changes induced by the food supplies are barely perceptible, and occur over long periods of time. If the effects of a nutrient were immediate and powerful, we would suffer from mood swings or frequent physiological changes depending on what we eat, which would put us in great danger.


But here I am now, in the camps for cancer survivors, and not among my fellow researchers - those purists who want to publish results scientifically impeccable, and seeking approval of other experts to publish their ideas in international journals. This is quite a paradigm shift! As a researcher, I was taking very little risk and remained on conservative positions to arrive at conclusions on which most other scientists would agree temporarily... pending further studies. I do not deny this position: I still believe that knowledge can only be developed step by step and with great caution.


However, now also being on the side of the patient, I want to take more risks. For it is not research and universal knowledge that interest me any more, but my little life which I'm trying to save - its quality and its length if possible. I have to take more risks.


As a scientist I want to invalidate hypotheses with an error risk of 5% (type I error, also called false alarm error, or the risk of finding an effect when there is none ). But as a patient, I am ready to take very different risks and try a method that may not work (provided it is not harmful). In other words, I am willing to consider a very high risk of being wrong. The error of 5% false alarm as we choose in our classically scientific protocols, could grow to 10%, 20%, or why not even 50% when I reason as a patient because I am desperate to find solutions . However, scientists continue imperturbably to publish their results with risk of type I error of 5% or 1%.


In the field of nutrition research, another problem is that conclusive studies in humans are relatively rare. The Western scientific methods draw their conclusions from studies with control groups or placebo and use research protocols in which patients and practitioners in contact with patients are not informed of their groups to avoid the effects of suggestion. As a result, testing diets or specific foods or nutrients in this way, especially their role in disease prevention and recurrence, is very difficult. Since the effects are mild and embedded in the differences in lifestyles such as eating habits, physical activity, genetic variability and physical and mental health background, huge cohorts are needed. Such studies take many years and require very detailed data collection (and obviously a lot of money for which it could be argued that it would be better invested in other types of research). The obstacles are many and research has been slow.


That's why I chose to loosen the grip of scientific rigor, and decided to accept to believe in some preliminary conclusions from epidemiological observations, animal studies and preliminary findings in interventions studies. The conclusions are certainly blurred and imperfect, but I keep hoping and I make sure that the foods do not interfere with the allopathic treatments (the chemotherapy and Avastin). While adopting this new mindset, I entered the large group of the survivors who began to change their nutrition in the hope that it will help their body fight cancer cells and strengthen their immune system.


Reading David Servan-Schreiber, whose books I discovered in February, allowed me to embrace this new way of thinking without embarrassment, to break my old paradigms, and opened for me the doors of what I would like to call "rational hope". This researcher and  physician (who died last year after 20 years fighting a very aggressive form of brain cancer) had a scientific approach while making compromises. He did it in all awareness, knowing that the findings of hard science were too limited to the cancer patient who seeks methods to protect its "ground". He compromised without becoming blinded by developing false believes.



So I took David Servan-Schreiber as a starting point, I read twice and slowly his book "Anticancer: The daily actions for health of body and mind." I gradually expand my readings and have already explored other books such as the research of Dr. Béliveau that Servan-Schreiber cites a lot (both researchers have access to international research published in English and both write in French and have been translated in English). Further reading American, Canadian and British health and research websites dedicated to patients have reinforced my conviction that I was on the right track. That how, while continuing to read and take notes, I've started changing my eating habits.




       (To be continued)

1 commentaire:

Veronique a dit…

Luc Montagnier, dans un de ses livres, parle de ses recherches sur le stress oxydant et cite Carl Sagan: "Absence of evidence is not evidence of absence".