Pendant la chimio, j’ai eu tout le temps de
penser à la mort. Je me sentais déprimée. J’ai commencé à me renseigner sur la
fin de vie. Qu’est-ce qui m’attend ?
J’ai trouvé des brochures à l’association d’aide aux patients du Vruchtenburg (l'équivalent de la Ligue contre le Cancer en France), brochures qui contenaient toutes les infos pratiques et des questions auxquelles je n'aurais jamais pensé. Et beaucoup d'adresses très précieuses.
Première étape, lire les brochures, faire une liste des questions. Difficile. Tellement
concret. Brrr...
Deuxième étape, en parler à quelqu’un qui a l’expérience : une bénévole de l’association Olijf m'a appelée pendant une semaine de chimio et je lui alors parlé de mes angoisses. Elle m’a invitée chez elle. Son café
cappuccino était excellent. Elle m’a écoutée respectueusement, et m’a parlé des
femmes en fin de vie dans notre association. Une série de films sur plusieurs
femmes a été faite récemment par une cinéaste, et on peut voir ces films sur
internet (en néerlandais et pas traduits malheureusement). Ces documentaires sont de longues interviews de ces femmes qui ont accepté de parler de leur cancer gynécologique en phase terminale. Leurs choix, leur perspectives, leurs priorités…
L’une d’elle aime faire la fête, et elle a préparé ses funérailles dans tous les détails, pour en faire une grande fête. Elle a fait un livre de l’amitié, de type scrapebook, où tous ses amis ont contribué par des lettres et des photos pour que ses enfants et son époux gardent des souvenirs d’elle plus tard, vue à travers les yeux de ses amis, et grâce aux anecdotes qui illustrent qui elle était et pourquoi on l'aimait. Une autre ne fait rien de tout cela, mais profite de ses derniers mois et fait un voyage en Italie au soleil avec son amie.
L’une d’elle aime faire la fête, et elle a préparé ses funérailles dans tous les détails, pour en faire une grande fête. Elle a fait un livre de l’amitié, de type scrapebook, où tous ses amis ont contribué par des lettres et des photos pour que ses enfants et son époux gardent des souvenirs d’elle plus tard, vue à travers les yeux de ses amis, et grâce aux anecdotes qui illustrent qui elle était et pourquoi on l'aimait. Une autre ne fait rien de tout cela, mais profite de ses derniers mois et fait un voyage en Italie au soleil avec son amie.
Moi, j’écris mon autobiographie et j'y ajoute beaucoup de photos à mesure que je progresse : c’est un life book. Je faisais un life
book sans le savoir, comme Monsieur Jourdain faisait de la prose.
Étape suivante, discussion avec ma médecin généraliste.
Très utile ! Elle m’a expliqué qu’ici aux Pays-Bas, la plupart des
personnes en fin de vie choisissent de passer leurs derniers jours dans leur
maison. Mais comment on fait quand on est seule et on habite à l’étage sans
ascenseur et la famille est loin ? On peut vous aménager un lit spécial ;
on peut aussi aménager temporairement un fauteuil électrique pour monter et
descendre les escaliers. Des infirmiers et des aides-soignants se relaient
plusieurs heures par jour pour assurer les soins médicaux nécessaire et on a
une pompe de morphine: On peut doser sa morphine soi-même. Le médecin généraliste passe à la maison, et aide à combattre la
douleur, avec la morphine ou d’autres médicaments. Des associations de bénévoles
peuvent être contactées si nécessaire, formés pour venir aider, faire les
courses par exemple, aider à la toilette si nécessaire, et tenir compagnie quelques
heures.
Et si je souffre trop ? Quid de l’euthanasie ?
Elle me dit que ce n’est pas illégal, ici aux Pays-Bas, mais que cela est
rarement demandé par les patients. Parce que tant que la douleur est maîtrisée,
les patients de la demandent pas. Dans la plupart des cas, la douleur est maîtrisée,
et on laisse le patient mourir naturellement, en induisant un sommeil si nécessaire,
mais sans induire la mort. Elle me parle des options médicales ; il n'y a pas que la morphine.
Mais qui s'occupera de moi alors? Elle, bien sûr. On en reparlera en détails lorsque mon état sera plus sérieux, dit-elle.
Mais qui s'occupera de moi alors? Elle, bien sûr. On en reparlera en détails lorsque mon état sera plus sérieux, dit-elle.
Ouf ! Je suis soulagée. Ma grande angoisse était la douleur, les hallucinations
et les cauchemars provoqués par la morphine. Mais si je souffre, mon médecin de famille n’est pas opposée à l’euthanasie, connaîtra mes plus grandes craintes, et respectera mes souhaits. Elle n'a pas l'air affolée du tout, me dit qu'en général la douleur est maintenue sous contrôle, que c'est leur priorité absolue en fin de vie. Tout cela me rassure.
Etape inattendue, une amie qui vient de perdre sa mère se met à me parler de ses funérailles et de son organisation. Si ça ne l'embête pas, je voudrais lui poser des questions. Ça ne l'embête pas du tout, me dit-elle, au contraire. Ça lui fait du bien d’en parler, et
moi aussi. C’est rare de trouver quelqu'un pour parler de ces questions concrètes sur ses propres funérailles.
Je lui pose des questions : vaut-il mieux
laisser des détails sur ce qu’on souhaite ? N’est-ce pas égoïste ? Elle
m’explique ses difficultés à prendre des décisions pour la funérailles de sa
propre mère qui n’avait pas communiqué ses souhaits. Il vaut vraiment mieux écrire
tout ce qu’on veut pour soulager la famille, dit-elle.
Étape suivante, visite de l’hospice. Lorsque j’ai
dit aux soignantes que je voulais visiter l’hospice, elles étaient choquées :
« Comment mais vous n’êtes pas du tout en fin de vie, vous avez encore des
années devant vous ! » (Héhé, ça me fait vachement plaisir ce que
vous me dites là. Mais tout de même.) J’étais angoissée. « Que se passera-t-il
quand je serai en fin de vie ? Ma famille est loin. Mes amies ont la
trentaine ou la quarantaine, elles travaillent toutes, ont des enfants à la
maison, elles ne vont pas pouvoir se relayer toute la journée ou la nuit pour
venir me voir. Alors, zut (non je leur ai pas dit zut, je l’ai juste pensé),
oui je veux visiter l’hospice. Ce sera mieux pour mes proches, ça leur fera
moins de travail. Je veux voir à quoi ça ressemble »
Rendez-vous pris, et mon amie Ans m’accompagne.
On visite une jolie maison du centre ville, avec un jardin absolument mignon,
des salles confortables, simples et chaleureuses, et plusieurs bénévoles sympathiques
à l’étage. Très peu de chambres, une atmosphère familiale. La visite est très
chaleureuse et respectueuse.
En sortant, Ans et moi discutons des différences
entre l’hospice et la maison. En fait,… je commence à changer d’avis. L’hospice,
c’est peut-être bien tranquille, mais bien ennuyeux. Peut-être quand
je serai à moitié dans le coma, mais tant que je peux bouger, non merci. Je préfère mon appart, mes petites affaires,
mes livres, mon Netflix et mes musiques…
Mais ce qui me fait surtout changer d’attitude,
ce sont les visites ! Ma famille, mes copines,… mon fils ! Je n’imagine
pas mon fils, ni mes copines, ni ma famille, prendre plaisir à venir me voir à
l’hospice. Ils n'y resteraient pas longtemps. Par contre à la maison, oui, on peut loger les visiteurs, on peut
avoir Evelyne qui fait un gâteau pendant que Florence passe prendre des
nouvelles cinq minutes en sortant du travail et William qui arrive à l’improviste
car il vient chercher un livre qu’il a oublié… C’est décidé, la maison, ce sera
quand même drôlement mieux que l’hospice.
Et le jardin alors, à l'hospice, les chambres étaient au rez-de-chaussée et l'une d'elle avait une baie vitrée ouvrait sur le jardin... Ans me dit que si
je veux un jardin, elles iront m’acheter plein de fleurs et qu’on en mettra partout, tout
autour de mon lit et par terre; ça me fera un jardin intérieur. Elle fait de grands gestes en me disant "partout!". Et un
peu de sable pour faire la plage. On éclate de rire.
En discutant, je réalise que ma chambre à l'étage et un peu isolée du reste de la maison serait bien mieux en bas, à coté des toilettes et du living. Alors depuis une semaine, je fais les cartons, un copain est venu démonter les meubles des chambres et les remonter : Ma chambre déménage. Je m'installe en bas et William prendra ma grande chambre du haut - il y sera au contraire plus tranquille pour y inviter ses copains. Et pourquoi ne pas en profiter pour repeindre et redécorer ?
Ça prend du temps. Je fais tout au ralenti. Le déménagement prendra sans doute deux semaines au lieu de deux jours. Mais j’ai le temps…
Je suis soulagée et je me sens moins angoissée par cette période inconnue et mystérieuse, ce grand départ qui arrivera un jour. Je visualise mieux ce qui m’attend et cela me fait moins peur.
Et tant mieux si c’était trop tôt.
Allez, pour sourire :
https://www.youtube.com/watch?v=Vv_b8s1PG8E