lundi 9 novembre 2015

Préparer sa fin de vie

Pendant la chimio, j’ai eu tout le temps de penser à la mort. Je me sentais déprimée. J’ai commencé à me renseigner sur la fin de vie. Qu’est-ce qui m’attend ? 

J’ai trouvé des brochures à l’association d’aide aux patients du Vruchtenburg (l'équivalent de la Ligue contre le Cancer en France), brochures qui contenaient toutes les infos pratiques et des questions auxquelles je n'aurais jamais pensé. Et beaucoup d'adresses très précieuses. 

Première étape, lire les brochures, faire une liste des questions. Difficile. Tellement concret. Brrr...

Deuxième étape, en parler à quelqu’un qui a l’expérience : une bénévole de l’association Olijf m'a appelée pendant une semaine de chimio et je lui alors parlé de mes angoisses. Elle m’a invitée chez elle. Son café cappuccino était excellent. Elle m’a écoutée respectueusement, et m’a parlé des femmes en fin de vie dans notre association. Une série de films sur plusieurs femmes a été faite récemment par une cinéaste, et on peut voir ces films sur internet (en néerlandais et pas traduits malheureusement). Ces documentaires sont de longues interviews de ces femmes qui ont accepté de parler de leur cancer gynécologique en phase terminale. Leurs choix, leur perspectives, leurs priorités…
L’une d’elle aime faire la fête, et elle a préparé ses funérailles dans tous les détails, pour en faire une grande fête. Elle a fait un livre de l’amitié, de type scrapebook, où tous ses amis ont contribué par des lettres et des photos pour que ses enfants et son époux gardent des souvenirs d’elle plus tard, vue à travers les yeux de ses amis, et grâce aux anecdotes qui illustrent qui elle était et pourquoi on l'aimait. Une autre ne fait rien de tout cela, mais profite de ses derniers mois et fait un voyage en Italie au soleil avec son amie.
Moi, j’écris mon autobiographie et j'y ajoute beaucoup de photos à mesure que je progresse : c’est un life book. Je faisais un life book sans le savoir, comme Monsieur Jourdain faisait de la prose. 

Étape suivante, discussion avec ma médecin généraliste. Très utile ! Elle m’a expliqué qu’ici aux Pays-Bas, la plupart des personnes en fin de vie choisissent de passer leurs derniers jours dans leur maison. Mais comment on fait quand on est seule et on habite à l’étage sans ascenseur et la famille est loin ? On peut vous aménager un lit spécial ; on peut aussi aménager temporairement un fauteuil électrique pour monter et descendre les escaliers. Des infirmiers et des aides-soignants se relaient plusieurs heures par jour pour assurer les soins médicaux nécessaire et on a une pompe de morphine: On peut doser sa morphine soi-même. Le médecin généraliste passe à la maison, et aide à combattre la douleur, avec la morphine ou d’autres médicaments. Des associations de bénévoles peuvent être contactées si nécessaire, formés pour venir aider, faire les courses par exemple, aider à la toilette si nécessaire, et tenir compagnie quelques heures.  
Et si je souffre trop ? Quid de l’euthanasie ? Elle me dit que ce n’est pas illégal, ici aux Pays-Bas, mais que cela est rarement demandé par les patients. Parce que tant que la douleur est maîtrisée, les patients de la demandent pas. Dans la plupart des cas, la douleur est maîtrisée, et on laisse le patient mourir naturellement, en induisant un sommeil si nécessaire, mais sans induire la mort. Elle me parle des options médicales ; il n'y a pas que la morphine.
Mais qui s'occupera de moi alors? Elle, bien sûr. On en reparlera en détails lorsque mon état sera plus sérieux, dit-elle.    
Ouf ! Je suis soulagée. Ma grande angoisse était la douleur, les hallucinations et les cauchemars provoqués par la morphine. Mais si je souffre, mon médecin de famille n’est pas opposée à l’euthanasie, connaîtra mes plus grandes craintes, et respectera mes souhaits. Elle n'a pas l'air affolée du tout, me dit qu'en général la douleur est maintenue sous contrôle, que c'est leur priorité absolue en fin de vie. Tout cela me rassure.   

Etape inattendue, une amie qui vient de perdre sa mère se met à me parler de ses funérailles et de son organisation. Si ça ne l'embête pas, je voudrais lui poser des questions. Ça ne l'embête pas du tout, me dit-elle, au contraire. Ça lui fait du bien d’en parler, et moi aussi. C’est rare de trouver quelqu'un pour parler de ces questions concrètes sur ses propres funérailles.
Je lui pose des questions : vaut-il mieux laisser des détails sur ce qu’on souhaite ? N’est-ce pas égoïste ? Elle m’explique ses difficultés à prendre des décisions pour la funérailles de sa propre mère qui n’avait pas communiqué ses souhaits. Il vaut vraiment mieux écrire tout ce qu’on veut pour soulager la famille, dit-elle.

Étape suivante, visite de l’hospice. Lorsque j’ai dit aux soignantes que je voulais visiter l’hospice, elles étaient choquées : « Comment mais vous n’êtes pas du tout en fin de vie, vous avez encore des années devant vous ! » (Héhé, ça me fait vachement plaisir ce que vous me dites là. Mais tout de même.) J’étais angoissée. « Que se passera-t-il quand je serai en fin de vie ? Ma famille est loin. Mes amies ont la trentaine ou la quarantaine, elles travaillent toutes, ont des enfants à la maison, elles ne vont pas pouvoir se relayer toute la journée ou la nuit pour venir me voir. Alors, zut (non je leur ai pas dit zut, je l’ai juste pensé), oui je veux visiter l’hospice. Ce sera mieux pour mes proches, ça leur fera moins de travail. Je veux voir à quoi ça ressemble »
Rendez-vous pris, et mon amie Ans m’accompagne. On visite une jolie maison du centre ville, avec un jardin absolument mignon, des salles confortables, simples et chaleureuses, et plusieurs bénévoles sympathiques à l’étage. Très peu de chambres, une atmosphère familiale. La visite est très chaleureuse et respectueuse.
En sortant, Ans et moi discutons des différences entre l’hospice et la maison. En fait,… je commence à changer d’avis. L’hospice, c’est peut-être bien tranquille, mais bien ennuyeux. Peut-être quand je serai à moitié dans le coma, mais tant que je peux bouger, non merci. Je préfère mon appart, mes petites affaires, mes livres, mon Netflix et mes musiques… 
Mais ce qui me fait surtout changer d’attitude, ce sont les visites ! Ma famille, mes copines,… mon fils ! Je n’imagine pas mon fils, ni mes copines, ni ma famille, prendre plaisir à venir me voir à l’hospice. Ils n'y resteraient pas longtemps. Par contre à la maison, oui, on peut loger les visiteurs, on peut avoir Evelyne qui fait un gâteau pendant que Florence passe prendre des nouvelles cinq minutes en sortant du travail et William qui arrive à l’improviste car il vient chercher un livre qu’il a oublié… C’est décidé, la maison, ce sera quand même drôlement mieux que l’hospice.
Et le jardin alors, à l'hospice, les chambres étaient au rez-de-chaussée et l'une d'elle avait une baie vitrée ouvrait sur le jardin... Ans me dit que si je veux un jardin, elles iront m’acheter plein de fleurs et qu’on en mettra partout, tout autour de mon lit et par terre; ça me fera un jardin intérieur. Elle fait de grands gestes en me disant "partout!". Et un peu de sable pour faire la plage. On éclate de rire.

En discutant, je réalise que ma chambre à l'étage et un peu isolée du reste de la maison serait bien mieux en bas, à coté des toilettes et du living. Alors depuis une semaine, je fais les cartons, un copain est venu démonter les meubles des chambres et les remonter : Ma chambre déménage. Je m'installe en bas et William prendra ma grande chambre du haut - il y sera au contraire plus tranquille pour y inviter ses copains. Et pourquoi ne pas en profiter pour repeindre et redécorer ?

Ça prend du temps. Je fais tout au ralenti. Le déménagement prendra sans doute deux semaines au lieu de deux jours. Mais j’ai le temps…

Je suis soulagée et je me sens moins angoissée par cette période inconnue et mystérieuse, ce grand départ qui arrivera un jour. Je visualise mieux ce qui m’attend et cela me fait moins peur.

Et tant mieux si c’était trop tôt.


Allez, pour sourire :
https://www.youtube.com/watch?v=Vv_b8s1PG8E

dimanche 8 novembre 2015

En rémission partielle


Une rémission totale du cancer est déclarée lorsque le cancer semble avoir disparu : il n'est plus visible sur les images ni dans les résultats des analyses sanguines. 
On ne parle de guérison que lorsque le cancer n’est pas réapparu pendant plusieurs années (cinq ans, dans la plupart des cancers). 
J’ai terminé mes chimiothérapies au taxol et carboplatine, les six cycles, et le CT-scan montre des résultats positifs dans l’ensemble. Je suis en rémission partielle. Traduisez : Ça reviendra, mais pour le moment, on contrôle la bête.
Le cancer ne s’est pas étendu, et mon corps a bien réagi : certaines masses dans  mon abdomen montrent des "calcifications", m’a dit mon oncologue. Tout n’est pas parti. Il reste un petit mais méchant nodule quelque part dans mon ventre. Il n’y a pas de métastases aux organes vitaux. 
Mon oncologue en est très content, et mon médecin de famille aussi. Tout est relatif, n’est-ce pas. 
Rémission partielle. Ils sont satisfaits de la rémission ; je fais la gueule à l’adjectif partiel.

J’ai été plus malheureuse que satisfaite en entendant les résultats. J’espérais que tous les nodules auraient disparu. Je connais l’évolution fatale de cette maladie, mais j’espérais encore avoir une chance, même si c'est une chance sur un million, de voir le cancer disparaître complètement. Désormais, j'espère survivre assez longtemps pour que de nouveaux traitements soient trouvés qui continueront de prolonger ma vie. Mais je vais vivre tout le restant de mes jours avec, c'est vraiment certain maintenant. C'est vraiment maintenant que je réalise.  
Non je ne suis pas très enchantée par cette nouvelle, je suis même très triste, docteur. 

Mais je fais la brave. Si je n'ai plus beaucoup de temps à passer sur la planète, je peux le passer sous ma couette à pleurer ou je peux profiter de tout pour que mes dernières années soient une grande fête, n’est-ce pas ?
Je vis lentement, au rythme que mon corps tolère, doucement, et la vie est douce amère. Je laisse passer la tristesse, je la note, je lui dit « Oui, je sais que tu es là ». Et puis, je respire doucement, et je pense à la vie… et je vais vers la vie. Je reprends les activités qui j’aime et qui comptent pour moi. Je reprends contact avec les amies, nous sortons prendre un thé, et je peux les écouter sans que 'mon' cancer soit le principal sujet de conversation. Je ne veux plus trop en parler d'ailleurs. Je me remets à lire et à écrire. Je m'occupe de mon chez moi. Je pense même à redécorer ma chambre et celle de mon fils.
Je ne vais pas vivre comme si j'allais mourir demain, ce serait trop triste, et ce serait inexact. J'ai encore quelques beaux mois, et sans doute encore quelques belles années, puisque mon corps réagit encore bien à la chimio. Je fais partie de celles qui ont de la chance, parmi les combattantes du cancer de l'ovaire. 
Il y aura d'autres chimios. Et d'autres traitements lourds. Mais plus tard. 
Je continue d'attendre que la plaie provoquée par le Port-a-cath infecté soit complètement cicatrisée pour que le protocole Avastin puisse reprendre. Je recevrai alors l'Avastin perpétuellement, "jusqu'à ce que les tumeurs regrossissent" m'a dit l'oncologue. 
Les grosses chimios reviendront lorsque le cancer regrossira. Il faudra les considérer comme de longues parenthèses, et entre les chimios, la vraie vie. 
La vie est belle, elle est dure, mais elle vaut la peine de s'y accrocher encore.