Je suis dans une jolie prison dorée où on est toujours
gentils avec moi, où je revois les plus belles marques d’amour et d’affection
jamais reçues dans ma vie, des presque inconnus ou des gens dont je pensais
qu’ils m’avaient oubliée depuis longtemps m’envoient des lettres de soutien
chaleureuses et incroyablement pleine d’amour… et ne parlons même pas de ma
famille et de mes amies plus proches, qui sont absolument, incroyablement,
présents chaque jour, physiquement ou par texte, pour me soutenir encore et
encore et encore…
Prison tout confort, et sans douleur, ni nausée. J’en profite
chaque jour !
Je pourrais rester dans ce cocon jusqu'à la fin, pfff! Enfin tranquille. Je jouis du privilège
de la fin de vie, que je ne connaissais pas, et qui me permet de recevoir des
montagnes d’amour… tout le monde ne me fait que des compliments. Quand est-ce
que je cela arrive à un autre moment dans la vie ? Je suis une femme
incroyable, formidable, généreuse, joyeuse… et j’en passe. MERCIIIII ! Je
ne contredis personne, je suis une éponge assoiffée d’amour et de présence
réconfortante !
Malheureusement, les nouvelles de ma mort semblent avoir été
annoncées prématurément… comme l’écrivait Mark Twain avec humour. Je vais
devoir me doter d’un humour similaire pour appréhender ce qui m’arrive et
toutes les prochaines conséquences. Car de toute évidence, je m’éloigne de la
phase terminale et je reviens dans le monde des vivants…
S’ouvre maintenant une porte de cette prison confortable, et
il y a une grande lumière éblouissante, aveuglante et finalement effrayante qui
point derrière cette porte entr’ouverte. Le traitement de la chimio a sans
doute fonctionné m’a dit mon oncologue, hier !!! C’était un des scénarios
prévus, d’après lui. Il était heureux pour moi, très heureux de me revoir mais sensible aussi à ma fragilité émotionnelle (j'avais dormi 3 h cette nuit-là).
Ainsi dit-il, après
deux chimios de Taxol et Caelyx, mes intestins ont eu une petite réaction. Ils
ne sont pas encore fonctionnels, mais les indicateurs montrent que la chimio
pourrait améliorer leur fonctionnement… Alors, ce serait la reprise des chimios
et puis, une petite rémission comme en 2015 ??? J’ai passé un CT scan, prise de sang. L’équipe regardera et commentera dans les jours qui viennent.
Qu'en pensez-vous ? Réponse assez ferme de ma part : Je voudrais attendre et profiter encore un peu de mon état de grâce. Nooooooon….ne pas attendre, c’est déjà
le mot d’ordre de mon oncologue. Si j’attendais encore avant de recevoir un tel
traitement, ma situation pourrait encore s’empirer « et être pire qu’il y
a deux mois ». La chimio pourrait être compromise ou se faire dans des
conditions d’hospitalisation pires que celles que j’ai déjà connues. Une nouvelle
hospitalisation avec les tubes dans le nez et les vomissements !? ahhhhhhghzs%#$@$ !
C’est un non-non ferme de ma part. Je ne retourne pas sur une longue
hospitalisation. J’ai vu l’enfer.
Alors, ouvrir la porte du scénario numéro 2. Reprendre la
chimio, maintenant ! Quitter l’hospice pour me réinstaller à la maison, avec visite
quotidienne d’un infirmier, avec peut-être une aide familiale pour un peu de
ménage… C’est un grand changement de vie. Il faudrait réapprendre à marcher
seule, je veux dire, me débrouiller à nouveau seule à la maison. William vit
maintenant avec son père, la maison semble si vide, ou si remplie de souvenirs
justement, ce n’étaient plus que des souvenirs depuis hier… Il faudrait
reconsidérer l’avenir, même un bref avenir.
La princesse pourrait quitter son confort, enfiler son djean,
se mettre à cheval, et du haut de son cheval, regarder l’horizon, et se dire,
ok maintenant je suis sur la route à nouveau, je peux me déplacer, et je vais
faire quoi, et je vais être qui ?
Des questions spirituelles et existentielles s’ouvrent alors…
Que vais-je faire dans cet endroit que je ne pensais plus voir ? Est-ce
que faire quelques peintures tranquillement dans mon petit coin artistique
aménagé dans un coin de ma salle à manger donnera un sens à ma vie ? Pas
l’impression…
L’inconnu me fait peur.
Mais je ne peux pas ignorer une si belle opportunité de
reprendre la route, la route de ma vie qui va continuer encore quelques temps. Comment
avais-je fait déjà en 2015 en apprenant que mon cancer revenait et se
chronicisait. Je m’étais dit que je ne devais pas me précipiter à faire des
plans et à remplir ma vie de trucs « à faire » avant de mourir. Adieu
des buckets listes et vive la vie au jour le jour où on laisse à son corps et à
son esprit l’espace de nous dire ce dont il a besoin à ce moment là.
Pfff ! ok, donc, garder la tête calme, alors un plan.... Mardi : entendre l’équipe d’oncologie. Si on me propose de
retourner en chimiothérapie, mettre en route ce programme sans attendre. De là,
rentrer à la maison, m’y sentir bien à nouveau en réarrangeant quelques trucs
(faire les premières courses, jeter quelques trucs poussiéreux…)… revoir ma
petite chienne qui a passé trois mois chez des amis puis chez mes
parents ! L’aider à s’installer elle aussi…
Et puis réapprendre les gestes
quotidiens. Depuis trois mois, je n’ai pas touché une casserole, et encore
moins un aspirateur… Les questions et solutions pratique se mettent à envahir
mon esprit… et pour la nourriture, commander tout sur internet et se faire
livrer une fois par semaine ? Est-ce que je pourrais refaire du vélo pour
me rendre chez le médecin ou à l’hôpital ou dois-je trouver les taxis bénévoles
qui m’y conduiront pour une paire d’euros ? Waooooo toutes ces questions qui déferlent et qui n'étaient plus importantes.
Réapprendre à monter à cheval quoi, et de là, réapprendre à
regarder l’horizon, reprendre les rênes de ma vie, réapprendre à choisir la
musique que je veux écouter et ne plus être passive en attendant les visites et
en comptant uniquement sur les efforts des autres.
Je crois que ça va être vraiment difficile, physiquement
mais surtout, surtout, moralement. En plus, je suis dopée aux stéroïdes en ce
moment et les doses vont aller en diminuant. Ça va aller ou je vais passer du
temps au lit et à chouiner… ? Ouhlala, ce n’est pas si facile de revivre…
Mais quoi, je ne peux pas ignorer cette nouvelle porte
ouverte sur une possible rémission… Pour le moment et jusqu’à mardi, je me
retape… Mais j’ai un nœud au ventre et c’est pas que le cancer...
Tous ces
hauts et bas émotionnels sont épuisants. Et j'ai les chocottes. Encore une chimio...
Jusqu'à mardi, je profite de la visite de mon frère et Raphaelle, au programme de petites sorties en voiture pour voir du vert... Allez... en attendant de mes nouvelles mardi, de grosses bises à vous tous, et tout plein d'amour!!! :-)