mercredi 28 novembre 2018

« Le livre tibétain de la vie et de la mort » pour les non bouddhistes ? Mon résumé de lecture



Certains bienfaits de la méditation, non religieuse, mais d’inspiration bouddhiste, sont étudiés et démontrés. La technique de MBSR (Mindfulness Based Stress Reduction ou Méditation de la pleine conscience pour réduire le stress) développée par le médecin américain Jon Kabat-Zinn dans les années 1970s est appliquée dans des centres de soin dans plusieurs pays avec un certain succès. Elle permet de réduire le stress, l’anxiété et les douleurs chroniques. Ainsi, elle est utilisée chez des patients atteints de cancer ou en rémission.

Partant de cette idée, je me suis intéressée aux livres sur la méditation et dernièrement, je cherche des informations sur la méditation en fin de vie. Le livre « Le livre tibétain de la vie et de la mort » de Sogyal Rinpoché est un ouvrage souvent cité, dont la lecture était recommandée, par exemple, dans un ouvrage de David Servan-Schreiber dans un cadre non religieux. C’un petit monde cependant où on retrouve souvent les mêmes auteurs recommandant les mêmes livres.  

En fait, j’ai été assez déçue car l’ouvrage est très religieux. Quelques éléments sont intéressants pour les non croyants comme moi, mais l’ouvrage est très long et contient de nombreux passages détaillés sur les croyances bouddhistes sur la réincarnation, les vies antérieures et futures et leur accès. Il faut le savoir avant de se lancer dans ce pavé.  

Le livre se compose de trois parties. La première partie de l’ouvrage introduit aux croyances générales sur le bouddhisme tibétain et surtout sur la réincarnation qui est le véritable sujet du livre. Cette première partie présente les arguments qui valident la thèse de la réincarnation dans la perspective du bouddhisme tibétain. Beaucoup de références historiques et des anecdotes y sont développées. L’ouvrage est écrit pour le lecture occidental et, accompagné de nombreuses explications des termes tibétains et des concepts religieux de base. Illustré par de très nombreuses histoires et anecdotes, comme le reste du livre, la lecture de cette partie est assez facile à suivre. Bon, je n’ai pas été convaincue… mais je suis une scientifique indécrottable et il me faut bien plus qu’une anecdote ou deux pour me convaincre… Ceci dit, si vous croyez déjà un peu à la réincarnation, cette lecture peut achever de vous convaincre et de vous enthousiasmer.

La seconde partie est la plus intéressante pour les non croyants car elle contient des conseils pratiques pour les personnes qui accompagnent les personnes malades en fin de vie. Elle commence au chapitre 11. Rinpoché insiste surtout sur l’importance de l’écoute, du pardon, de l’amour inconditionnel (malgré d’éventuels conflits passés). Il recommande d’éviter de prendre personnellement la possible colère de la personne malade : cette personne a tout perdu dans la vie, rappelez-vous, mettez-vous à sa place.   Le dialogue, parler ouvertement de la mort qui arrive, sont possibles et jamais trop tard, explique-t-il. Il illustre ses propos d’histoires de patients chez lesquels il a observé que parler de la mort est d’abord difficile, entraîne des pleurs, parfois pendant plusieurs jours, puis, un soulagement et une intimité, un apaisement dans les relations et chez le patient et la personne proche.

Les chapitres suivants sont consacrés au développement de la compassion, de l’amour inconditionnel, du pardon. Les derniers chapitres de cette partie décrivent le processus menant à la mort et les préparations à ce processus sur un plan religieux. Le processus est décrit comme le Powah, et se déroule avec l’accompagnement d’un moine ou maître religieux qui est le maître de l’élève. C’est un processus auquel les bouddhistes doivent se préparer durant toute leur vie, et non pas seulement en fin de vie. Il s’agit de passer par certains états de conscience et se préparer au transfert vers une autre vie.   

La troisième et dernière partie de l’ouvrage, mort et renaissance, est dédiée au passage entre la vie et la mort, et aux techniques de méditation recommandées en fin de vie pour une réincarnation ‘réussie’. Cette partie est en fait très religieuse. Je pensais y trouver des recommandations de techniques de méditation applicables au non-croyant. Des techniques de compassion y sont recommandées. Ainsi, pour faire face à notre propre mort, il est utile de développer une compassion pour les personnes également confrontées à la mort, au deuil ou à la maladie, et des techniques de visualisation sont alors utilisées, aidant à imaginer que l’on peut aider ces personnes en leur souhaitant le bien-être.

Un chapitre est dédié au phénomène d’expérience de mort imminente, là encore avec un biais religieux évident, destiné à renforcer l’idée de vie au-delà de la mort physique (mais mes lectures scientifiques sur le sujet par ailleurs ne m’ont pas convaincue non plus…).

Dans l’ensemble, donc, c’est une excellente introduction aux croyances bouddhistes sur la fin de vie et la réincarnation. Peu de conseils cependant pour les non-croyants hormis peut-être pour les accompagnants.

Mes recommandations de lecture ? Sogyal Rinpoché cite souvent Kubler-Ross, qui effectivement est l’auteure qui a exploré pour la première fois systématiquement l’impact émotionnel de la fin de vie sur la personne malade et ses proches. Les thèses et observations de Kubler-Ross (datant des années 1970) ont été développées depuis lors dans le cadre plus général des études de psycho-oncologie, une discipline qui n’existait pas il y a quelques décennies et s’est beaucoup développée depuis les années 1980. Si vous avez un peu de temps, allez lire la partie historique d’un article auquel j’ai beaucoup contribué sur Wikipédia, Psycho-oncologie https://fr.wikipedia.org/wiki/Psycho-oncologie. En l’écrivant, j’y ai découvert à quel point en quelques décennies les tabous sur la mort sont tombés en occident dans le cadre des soins palliatifs, cela peut aussi vous intéresser. Je n’ai pas eu le temps de finir toutes les sous-parties malheureusement mais la partie historique est complète 😊  et l’idée de wikipedia est que d’autres compléteront les articles (peut-être vous ?). 😉 Bonne lecture...

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mardi 27 novembre 2018

Discuter des options palliatives : euthanasie, arrêt de l’hydratation ou sédation


Mon équipe palliative est composée de mon médecin traitant, ou médecin de famille, qui vient me rendre visite régulièrement à l’hospice, et de l’équipe d’infirmières sur place qui ont plusieurs années d’expérience des soins palliatifs et une formation spécialisée dans ce domaine. Les Pays-Bas ont également un comité palliatif extérieur composé de spécialistes qui peut être consulté quotidiennement et donnent avis et conseils médicaux. Ce comité avait été consulté à mon arrivée ici et m’avait ainsi conseillé l’utilisation du dexamétazone un médicament que je prends toujours régulièrement pour lutter contre les effets de blocage intestinal du cancer de l’ovaire.  

Hier, mon médecin traitant m’a parlé des options palliatives qui me sont offertes. Nous avons déjà eu cette conversation, mais la situation évolue, et j’aurais pu changer de position entre temps. Il est bon de discuter de ces options plusieurs fois, me dit-il, lorsque comme moi la période palliative se prolonge.

Certaines personnes ne supporteraient pas cette période et voudraient y échapper. L’option de l’euthanasie est possible. L’euthanasie est légale ici aux Pays-Bas. Il s’agit pour le patient cependant de choisir une date, date à laquelle une injection sera pratiquée et entraînera le décès en deux minutes environ. La période entre le moment où le patient demande une euthanasie et le moment où celle-ci est acceptée (deux médecins indépendants doivent donner leur accord en évaluant la situation médicale qui doit être palliative et de phase terminale), est d’environ quatre ou cinq jours, m’informe mon médecin. 

Pour ma part, comme pour la plupart des patients, ce ne sera pas l’option que je choisirai, car je veux vivre mes derniers instants avec mes proches le plus longtemps possible, mais surtout parce que je ne suis pas en grande souffrance physique ou psychologique pour le moment. J’ai même une assez bonne qualité de vie ! Choisir une date ? C’est l’étape la plus difficile pour le patient me dit mon médecin. Pour ma part, je survis en ce moment et personne ne peut dire si la maladie m’emportera la semaine prochaine ou dans plusieurs semaines… Je profite de chaque jour. Si je souffrais beaucoup, je n’y serais pas opposée mais choisir une date me semble un obstacle très difficile à franchir qui demanderait un grand courage…

Deux autres options palliatives s’offriront à moi (sans doute) lorsque ma santé se dégradera au point de bloquer mes intestins (c’est le scénario auquel je m’attends, sachant que d’autres problèmes peuvent également venir mettre fin à ma vie, comme une infection).

L’une des options est de cesser volontairement de s’alimenter et de s’hydrater. Arrêter l’hydratation est peut-être l’option que je choisirai si un blocage intestinal total s’installe, comme ce fut le cas en Mai et en Août cette année. Il m’empêcherait de m’alimenter, entraînant vomissements et crampes intestinales douloureuses. Je choisirai alors peut-être l’arrêt de l’hydratation. L’arrêt de l’hydratation entraîne une perte de conscience progressive, et est une option qui est considérée comme peu ou moins douloureuse. Elle entraîne le décès en quelques jours mais la personne perd conscience avant. L’alternative, est de demander à être hydratée, voire nourrie par sonde, ce qui prolonge la vie (mais aussi les souffrances s’il y a en a…).

En fait, il est bien difficile de prévoir et choisir cette option à l’avance, me dit mon médecin. Ces choix sont faits selon la situation médicale du moment, mais il est utile pour lui de connaître ma position sur le sujet et de me rassurer, de m’expliquer dans la mesure du possible ce qui peut m’attendre. Il est très rassurant, je suis entre de bonnes mains et j’ai vraiment confiance dans sa compassion.    

Une autre option, qui peut être complémentaire de l’arrêt de l’hydratation, est la sédation palliative. La sédation palliative, m’explique le médecin, traite la douleur par la morphine et plonge la personne dans un état de sommeil. La mort s’ensuit dans les heures ou les jours qui suivent. Lorsque le médecin commence la sédation, il informe la famille ou la personne choisie par le patient pour le représenter. Mon médecin me dit qu’il donne alors au patient et à son proche ou ses proches, environ une demi-heure d’intimité avant d’administrer la sédation. Ce sont les derniers instants pendant lesquels la famille peut encore discuter avec le patient. Ensuite, la personne sous sédation ne pourra plus entendre ni parler…

Cette conversation, bien que difficile, tellement concrète, me rassure un peu plus à chaque fois que je l’ai. Elle est rare heureusement, car mon médecin ne me parle pas de fin de vie à chaque fois. Il me dit souvent qu’on a aucune idée de l’évolution de ma maladie pour le moment, que je peux encore survivre plusieurs semaines (mais certainement pas plusieurs mois).

La plupart des autres patients autour de moi n’ont pas cette chance. De nombreux patients sont arrivés à l’hospice depuis mon arrivée, et y meurent en quelques jours. Un patient est arrivé la semaine dernière et décédé au bout d’une heure. Un autre patient qui occupait ma chambre y a vécu neuf mois avant de décéder ! Mais il a battu un record… J’ai encore passé de beaux moments avec mon fils, ma famille, mes amies, les bénévoles qui m’entourent, les infirmières super gentilles… et je peins, je lis, je regarde des films et documentaires… ma vie est belle, chaque jour un petit cadeau.

Courage à toutes celles qui luttent contre le cancer de l’ovaire, d’autres cancers, d’autres maladies… Courage à vous les proches, les filles et fils des patients, les amis… ce n’est pas facile pour vous non plus, je le sais. Parfois j’essaie de me mettre à votre place et je souffre pour vous aussi. Je vous envoie beaucoup d’amour !

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samedi 24 novembre 2018

Galerie d´aquarelles et croquis

Des plus récentes aux plus anciennes, voici quelques unes de mes aquarelles (été 2018).

J'ai commencé la peinture lorsque le cancer est revenu dans ma vie en 2015-2016. J'ai dû arrêter de travailler et me suis retrouvée en invalidité. Je voulais rencontrer d'autres personnes et ne pas simplement rester à la maison. J'ai pris des cours de peinture acrylique puis des cours en ligne sur internet pour apprendre les bases des mélanges de couleurs, et ai trouvé un groupe de patients, en 2017, où je me rendais une fois par semaine pour peindre. Une artiste y enseignait l'aquarelle, c'est là que j'ai commencé.

Depuis ma rechute en 2018, j'ai arrêté l'acrylique, à mon grand regret. C'est trop de matériel et trop de travail. Les aquarelles sont plus légères à manipuler et exigent moins de temps d'exécution.

Elles sont aussi proches du dessin et des croquis. Tenir un pinceau et exécuter des mouvements fins est devenu un peu problématique depuis que je prends du déxamétazone : le traitement fait trembler mes mains et m'empêche de bien écrire et d'exécuter des mouvements fins, comme tracer une ligne au pinceau. Tracer des lignes au crayon ou au stylo est plus facile, ce qui explique aussi mes choix. De plus en plus, je fais des mélanges croquis et aquarelles légères venant compléter les croquis.

Je choisis des thèmes joyeux, colorés, des mouvements aussi, de la joie de vivre. Un des grands plaisirs du processus de création est d'aller trouver des photos sur internet qui vont m'inspirer. Ensuite, un autre grand plaisir est d'aller chercher des vidéos ou lire des revues ou livre expliquant certaines techniques : comment peindre un nuage, un arbre, un visage...? Apprendre et se perdre dans les couleurs. Que du bonheur. :-)


La balançoire

Red Apple, Rotterdam
En souvenir de mon arrière-grand père, le 11 Novembre 2018.
Un soldat poilu écrit une lettre.
Max sous le soleil d'Athènes
William (3)
William (2)
Petits pattons dans l'eau fraîche (d'après photo Pinterest)
Promenade d'automne

Joie de vivre (d'après photo Pinterest)
Splash ! Vive la pluie ! (d après photo Pinterest)
Najac (photo de vacances de William, en France avec son père) 
Ballade imaginaire en Bourgogne
Chemin d'automne
Le tricot (d'après photo Pinterest)
Portrait de femme indienne (d'après photo Pinterest)


Enfant endormi sur un piano (d'après photo Pinterest)
Essai, visage enfant souriant 

Essai visage enfant souriante, style BD... encore des progrès à faire pour réussir les jolies mâchoires souriantes ;-)

Essais, arbres
Essais, arbres du Vroesenpark


Essais, rose Queen Elisabeth



Essais, pommes.     

Ma première aquarelle, improvisée durant un de mes premiers cours d'aquarelle :-)
Les cours ont lieu à De Boei, un centre ouvert tous les jours, offrant des activités pour patients touchés par le cancer et leurs proches (Rotterdam, Pays-Bas).

jeudi 15 novembre 2018

Quand la pleine conscience devient difficile : deux livres pour des conseils et des idées de pratique


Avec la progression du cancer, pratiquer la pleine conscience devient de plus en plus difficile. 

Depuis mon retour à l’hospice, la méditation de pleine conscience  assise, sur le souffle, comme je l’ai fait habituellement depuis quelques années, me fait peur : je ressens la gêne dans mon ventre plus fortement lorsque je m’assois pour méditer que lorsque je suis distraite par une activité. Ce moment de méditation me fait penser au cancer, la lourdeur de mon ventre est forte, je visualise le cancer envahissant mon ventre..... brrrr !!! ces sensations et la perspective de m'asseoir pour méditer et y être confrontée m’angoisse beaucoup et fait barrière à ma pratique.

Pourtant je sais par expérience que les bénéfices l’emportent sur les efforts à faire, même quelques minutes par jour, mais c’est comme aller courir un footing, le plus dur c’est d’enfiler ses baskets...

Pour me remotiver et pour varier un peu ma pratique, trouver des types de méditation peut-être plus faciles, j’ai acheté deux livres du moine bouddhiste Matthieu Ricard qui est assez médiatisé en France et dont j’avais aimé les commentaires dans le livre «  Trois amis en quête de sagesse ».

Je résume ici les principaux conseils que j’ai tiré de leur lecture, pour celles et ceux qui comme moi peuvent trouver la pratique de la pleine conscience de plus en plus difficile à mesure que la maladie progresse, tandis que les douleurs, les angoisses, les émotions difficiles et la fatigue augmentent. Plusieurs idées m'ont aidée et remotivée... 

Matthieu Ricard a écrit plusieurs livres d’introduction aux techniques de méditation qu’il dit séculaires. Il s’agit de pratiques basées sur le bouddhisme mais qui peuvent être pratiquées en dehors des croyances religieuses bouddhistes dans un objectif de bien-être et de développement de soi.

Son livre « Playdoyer pour le bonheur » explore les bases philosophiques et scientifiques du bonheur, et présente également le point de vue bouddhiste. Il présente le bonheur comme le résultat d’une bonne santé mentale, basée sur une pratique régulière de techniques qui permettent de cultiver le bien-être, en développant une meilleure prise de conscience de ses états mentaux, en cultivant les émotions dites positives, en diminuant l’impact destructif de certaines émotions. Le bonheur dépend d’une attitude intérieure qui peut être apprise et développée au fil des années. Le bonheur est aussi dirigé vers les autres et est associé à l’amour et la compassion pour les autres.

J’ai aimé le fait que le livre est facile à lire, bien structuré, et qu’il contienne des conseils pratiques en fin de chapitre.

Il est un peu biaisé scientifiquement, ne présentant que des arguments en faveur de la méditation et surtout chez des experts qui méditent depuis des années. Cependant, je ne cherchais pas à lire un livre scientifique pur et dur, puisque je cherchais évidemment un livre m’aidant à mieux appréhender la méditation ! Donc je n’ai pas été déçue. J’y ai trouvé des exemples inspirants et j’ai refermé le livre avec un sentiment d’optimisme et quelques nouvelles idées de pratique.

Pour les personnes en souffrance physique, Matthieu Ricard recommande la pratique de la visualisation. Ainsi, durant la méditation, on peut imaginer un moyen d’adoucir sa douleur, en imaginant un nectar bienfaisant qui vient, avec notre inspiration, emplir le centre de la douleur et vient la dissoudre pour la remplacer par du bien-être.

J’ai tenté cette visualisation et il est vrai que cette suggestion aide à diminuer la perception de l'inconfort et la douleur dans la zone du ventre qui me perturbe habituellement.

Un autre de mes problèmes récents tient à une grande colère et irritabilité que j’ai développée depuis mon arrivée à l’hospice. Le chapitre dix présente un ensemble de trois techniques pour aider à combattre ce type d’émotion perturbante : l’antidote, la libération (apprendre à laisser passer l’émotion quand elle arrive) et l’utilisation de l’émotion (comprendre et utiliser les aspects positifs de cette émotion).

L’idée de l’antidote m’a immédiatement attirée. Pour lutter contre une émotion désagréable, l’idée de l’antidote est de choisir un thème de méditation qui va développer une émotion positive et opposée en quelque sorte. Il s’agit de « saturer » l’esprit avec cette émotion positive. Ainsi, contre la colère, l’agressivité, l’animosité, il s’agit de développer l’altruisme, la compassion, l’amour grâce à la méditation sur ces thèmes. Contre la colère, on cultivera la patience.  

« L’art de la méditation » est un livre plus bref et un guide pratique qui correspond tout à fait à ce qui je cherchais. Il s’agit d’un recueil de conseils pratiques sur les bonnes manières de méditer, allant de la manière de s’asseoir à la manière de sortir de la méditation en douceur pour réintégrer les activités quotidiennes.

L’approche est progressive et décrite de manière suffisamment détaillée pour les débutants. Les exercices de méditation comprennent plusieurs variantes ce qui est rassurant et permet de choisir la technique que l’on pense plus agréable ou plus accessible pour soi-même. Les exercices de visualisation proposés contre la douleur sont identiques dans les deux livres, mais d'autres exercices y sont plus détaillés.

Dans les deux livres, j’ai regretté de ne pas trouver beaucoup d’information sur la préparation à la mort, ou sur l’angoisse de la mort et sur le deuil de soi, de sa vie. Le chapitre sur la mort du livre Playdoyer pour le bonheur parle des personnes qui doivent aider la personne souffrante et discute de la préparation à la mort chez tout un chacun et tout au long de sa vie. Il ne parle pas particulièrement des personnes en fin de vie et touchées par des maladies fatales, partant du principe que nous devons tous nous préparer à la fin de notre vie chaque jour. C’est dommage.

(Il va décidément falloir que je m’attaque au pavé du « Livre tibétain de la vie et de la mort » de Sogyal Rinpoché que j’avais commencé et dont j’avais abandonné la lecture après quelques histoires de réincarnation auxquelles je ne croyais pas… mais je suis curieuse de savoir si le livre contient des conseils pratiques de méditation aidant à mieux vivre les angoisses liées à la fin de vie… si j’ai le courage d’y remettre le nez, je partagerai mes découvertes ici)

Enfin, Matthieu Ricard conclue toujours que la méditation est un moment agréable. Pour moi, cela ne va pas toujours de soi. Je suis peut-être trop sérieuse, j’ai trop d’attentes, ou je suis trop critique avec moi-même… Il est vrai que si la méditation devient une contrainte et ne donne pas de satisfaction immédiate, il est peu probable que je me mette tous les jours à développer de nouvelles routines de pleine conscience !

Il faut être doux avec soi-même durant la méditation, avoir de l’humour et se regarder avec compassion et bienveillance aussi, et profiter des moments de joie qui émergent durant les visualisations par exemple (et pour en profiter… il faut les créer !). Ce n’est pas que du sérieux et de la concentration et de l’effort, c’est aussi l’opportunité de s’amuser un peu avec son imagination… Et je l’avais un peu perdu de vue.

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lundi 12 novembre 2018

C’est bête mais on y pense quand même


On a parfois une pensée tellement bête qu’on n’ose pas la dire, d’ailleurs on ose à peine la penser mais elle est revient régulièrement nous titiller. Et un jour quelqu’un nous décrit exactement la même chose, on se rend compte qu’on est pas du tout un cas isolé, et là on en rit de soulagement !

Alors je vous la dit : parfois je me sens coupable d’être encore vivante alors que logiquement et selon toute attente, je devrais déjà être morte.

Les frais de l’hospice sont couverts pour trois mois par la sécurité sociale et les conditions d’entrée signées et approuvées par mon oncologue : trois mois à vivre, max. J’ai un contrat de trois mois pour mourir quoi. 

Et si on survit plus ? Forcément on se pose la question. Le contrat est extensible, l'avant dernière personne dans votre chambre a survécu 9 mois ! m’a-t-on rassurée. 

Je prends une place de trop. Je dure trop longtemps. On va finir par me le reprocher... Ils vont croire que je joue la comédie ? Que je profite du système. 

Quand les infirmières et bénévoles font tout pour m’aider, et ont l'air par gênés du tout que des amis passent me prendre pour m'emmener avec eux au cinéma, je suis étonnée. Vraiment, vous ne m'en voulez pas d'aller encore si bien et de sortir de l'hospice une après-midi ? 

J'ai presque envie de faire semblant d'être plus encore plus malade. Excusez moi d'aller trop bien... 

Je sais que c’est super bête mais je me sens coupable de vous faire poiroter. Vous êtes venus me rendre visite, parfois de loin, et ça devait être la dernière fois. Mais ça dure. Il va peut-être falloir revenir...

Les gens doivent se dire « Catherine doit être morte maintenant à l’heure qu’il est ». Coucou ! Non pas encore, et vous ne m’avez plus écrit, vous vous sentez coupable, c’est bête pour vous, mais pas ma faute. Je suis encore vivante et je n’ai plus de nouvelles de vous. Oups !

Si ça se trouve il va falloir m’offrir un cadeau à Noël… Car pour être honnête j'aimerais drôlement être encore là pour un autre Noël, et pas du tout pour les cadeaux, juste pour les lumières et l'odeur du sapin... Par contre, POURVU QUE je ne meure par le jour de Noël, ça gâcherait tous prochains les Noëls de ma famille… Faudrait que je meure avant… 

Ou après ?! Mais surtout pas le 24 ou 25… surtout, surtout, surtout pas… C’est bête de ne pas savoir et de survivre comme ça sans savoir encore combien de temps, quand même, zut !    

Ce sont des pensées bêtes mais je viens d’avoir le fou rire lorsqu’une amie me disait que c’est ce que pensait son père quand il était à l’hospice où il a survécu une année. Une année ? Il exagère quand même ! Il se sentait coupable de fêter son anniversaire encore une fois, me dit-elle, pliée de rire (l'amie en question a aussi un cancer incurable, ça fait du bien d'en rire ensemble !). 

Bref, on pense qu’on emmerde un peu le monde finalement, on a envie de s'excuser ! Et on s'étonne de voir que ça n'a pas l'air d'être le cas (quand même !). 

Mais, je vous rassure, c'est juste une petite pensée qui passe et nous chatouille et nous grattouille.   

Je sais très bien que vous m’aimez bien vivante. 😉

lundi 5 novembre 2018

Être encore utile au seuil de la mort

Est-ce que je suis utile ? A quoi sert ma vie ? Fait-elle une différence ?

C’est une question que je me pose, que je me suis posée toute ma vie. Et si je suis utile, est-ce que je le fais de manière optimale ? Est-ce que je ne pourrais pas faire beaucoup mieux ?

Même lorsque je travaillais, je me posais régulièrement cette question. Avant le diagnostic de cancer de l’ovaire en 2011, j’y répondais par la négative et je voulais changer d’employeur. Je pouvais toujours mieux faire.  

Lorsque la récurrence a été diagnostiquée en 2015, la médecine du travail m’a proposé d’arrêter de travailler entièrement. Déclarée invalide à 100% du temps, je restais à la maison. La question de ma raison de vivre était douloureuse. Que faire ? Je ne suis plus chercheur ! Je n’ai plus rien à écrire ! Mon employeur m’avait complétement mise à l’écart dans un contexte où, dans notre centre de recherche, de nombreux chercheurs ou services étaient déclarés redondants et partaient chercher du travail ailleurs. Mes managers n’allaient pas s’encombrer à me proposer de petits contrats pour m’occuper quelques heures par semaine.  

A suivi une longue période de rémission partielle, pendant laquelle, petit à petit, j’ai développé de nouvelles activités qui redonnaient à nouveau un sens à ma vie. J’ai joint une association d’aide aux patientes ayant le cancer gynécologique. J’ai également beaucoup écrit sur Wikipédia. Chaque jour, j’écrivais ou éditais durant plusieurs heures, en matinée, des articles sur la psychologie dans mes domaines de spécialité.

Les tâches quotidiennes et bien entendu toutes mes relations à mes proches m’occupaient aussi de plus en plus : ma santé, mon fils qui entrait dans l’adolescence, l’appartement dont je m’occupe seule, apprendre à mieux manger et cuisiner, aller régulièrement marcher, garder le contact avec les copines et certaines anciennes collègues devenues des amies. Je découvrais la peinture acrylique et installais une table-atelier dans un coin de mon salon pour y peindre des toiles, joignais des groupes de peinture pour m’y faire des amis et ne pas rester trop isolée.

En avril 2018, mon état médical s’est détérioré : le cancer était positionné sur mes intestins et bloquait mon système digestif. Les chimiothérapies n’ont pas donné les améliorations escomptées. Je suis entrée en soins de fin de vie. Je sortais du système de soins palliatifs qui m’avait permis de profiter de plusieurs années de belles rémissions. Vivant seule, une hospitalisation à domicile aurait été très complexe à organiser, aussi j’ai fait le choix de m’installer dans un hospice proche de mon ancien quartier, une maison avec quatre résidents.  

Je n’ai absolument plus rien à faire !

À mon arrivée, j’ai eu l’impression que ma seule occupation y serait d’attendre la mort ! J’ai eu des matins où je me levais avec devant moi la perspective d’une journée complétement vide. Comme si la seule chose à faire de la journée allait être d’attendre la mort, en tentant de me distraire un peu pour profiter des derniers moments.

Pour faire face, j’ai d’abord pensé qu’il fallait reprendre la philosophie de Pleine Conscience, inspirée du bouhddhisme, qui aide à vivre dans le présent, à mieux apprécier les moments présents et aide à désarmer les pensées destructives et envahissantes, et difficiles, comme la colère. Une solution était de ne plus penser en terme d’utilité. Je me suis mise à peindre à l’aquarelle, moins volumineuse que mes peintures et toiles acryliques. Mais, si peindre l’aquarelle était nouveau et ludique, cela ne donnait pas du tout un sens à ma vie qui me semblait vide et inutile désormais.

Décidément, j’attendais la mort. Pourtant, mon état s’améliorait ou du moins semblait stable. Je pouvais manger à nouveau et avec l’aide d’un traitement au Dexamatazone, laxatifs et lavements, mes intestins assuraient le service minimum qui me permettait de survivre.   

Un jour, je suis restée toute la journée dans ma chambre avec une envie de m’en échapper et de courir ailleurs. Je me suis alors demandée si je n’étais pas victime d’un effet nocebo. L’effet nocebo est le pendant de l’effet placebo (aller mieux par anticipation de l’effet positif d’un traitement) : il provoque douleur et souffrance parce qu’on anticipe que la maladie ou ses traitements ont un effet négatif, comme par exemple la fatigue ou la douleur. Est-ce que je n’étais pas entrain de ne plus faire d’effort et exagérer mes symptômes et ma fatigue parce que c’est ce que l’équipe médicale m’avait annoncé ? Est-ce qu’on meurt plus vite quand on nous dit que l’issue de la maladie sera fatale de toute façon ?

Je ne pouvais pas passer mes journées assise à attendre la mort. Je devais faire quelque choses des jours qui me restaient, même s’il ne me restait plus qu’une journée, qu’une semaine Qui sait, et s’il me restait encore trois mois à survivre ici !? Un patient a survécu ici neuf mois, et si je battais son record ?  

Mais comment puis-je encore être utile dans cet univers rétréci et avec mes difficultés de concentration, ma fatigue, mes douleurs dans le ventre… ?

Des réponses me sont venues petit à petit, à partir de conversations dont deux infirmières (dont l’une a pris le temps d’une ballade dans le voisinage à mon bras), avec certaines amies, avec mon frère Christophe, et à partir de quelques lectures sur les témoignages d’autres patients en fin de vie.
Non seulement on peut encore être utile, mais il est possible que les moments que nous vivions maintenant soient parmi les plus importants de notre vie, en particulier pour notre entourage qui se souviendra beaucoup plus longtemps de nos derniers moments plutôt que des événements plus banals de décennies qui ont précédé ! 

Une des premières réponses à la question de l’utilité, a été de penser en terme d’ « être » plutôt que faire.

ETRE : Être une personne généreuse et aimante, une maman, une fille, une sœur, une amie, et recevoir les visites de mes proches avec amour et avec grâce

On m’a rassurée sur le fait que lorsque l’on me rend visite, ce n’est pas parce qu’on se sent obligé mais bien parce que ma compagnie reste agréable.

Ce n’est pas toujours l’impression que j’en avais. Mes amies ont créé un tableau Google pour gérer mes visites. C’est pratique, mais cela m’a d’abord donné l’impression d’être un projet et peut-être juste un gros boulet dans l’agenda des copines. Il a fallu plusieurs conversations avec des amies pour me persuader qu’on venait encore pour me rencontrer, pour moi, pour discuter avec moi, et non pas pour faire sa bonne action. Apprendre à accepter le fait que simplement être encore vivante pour les gens qui nous aime est encore important, suffisamment important pour nous motiver encore à vivre, cela n'allait pas de soi pour moi. Je pensais toujours qu'il me fallait faire et être utile. 

Je voulais alors faire en sorte que ces conversations comptent. Rester présente dans une conversation, pouvoir écouter et ne pas seulement parler de soi, est parfois physiquement et mentalement très difficile. Non seulement les émotions sont affectées mais la mémoire de travail et la concentration sont également affaiblies par la fatigue générale, résidus de chimio, etc. Combien de fois me suis-je excusée car j'avais oublié ce qu'on m'avait dit à la visite précédente, y compris des informations très importantes (sa mère vient d'être hospitalisée et risque de mourir...)! Il faut communiquer mes difficultés : bon les filles, j'ai du mal à me concentrer et surtout, à mémoriser, alors répétez moi les choses sans complexe. Et quand je pose une question, discrètement, je garde la question générale (comment va ta famille ? et vous faisiez quoi ce weekend ?) pour ne par faire de bourde. Et combien de fois me suis-je endormie pendant qu'on me parlait... Tout cela m'embarrassait autrefois mais plus maintenant. Quoi ? Mes amies et proches m'excusent. La preuve c'est qu'ils reviennent.

ETRE : rester soi-même, pour ne pas laisser la dépression, la colère, les regrets, nous submerger complètement

Si je veux rester une personne que mes proches ont envie de venir voir, pour moi, parce que nous avons de l’affection et que je leur apporte encore de l’affection, pour une conversation drôle ou intéressante, et pour que notre amitié et notre amour soit renforcé par la nouvelle situation… alors il faut travailler sur moi-même.

J’ai mes moments d’intense tristesse, de colère contre la situation ; j’ai des moments de regrets, des moments où je ne veux plus voir personne et où je veux repenser à ce qui m’arrive et ne pas partager mes pensées et sentiments les plus sombres. Cela prend beaucoup de temps et d’énergie…

Dans ce contexte, rester moi-même et de tenter de rester, ou de devenir, ou de progresser, pour devenir une bonne, une meilleure personne, c’est aussi un projet finalement !

Je l’ai géré en reprenant petit à petit des activités de méditation de pleine conscience, durant la journée. Si je parle parfois ici de la méditation et de la pleine conscience, je dois aussi avouer que je ne pratique pas la méditation régulièrement ou intensivement. Mais j’ai reçu la formation de base de la méthode Kabat-Zinn dans un centre aidant les personnes cancéreuses, et sur cette base, je pratique de temps en temps la peine conscience, chaque jour, mais quelques minutes seulement, souvent quelques minutes entre deux activités et non pas à des heures régulières.

Mais il n’y a pas que la méditation, ce serait insuffisant je trouve.

J’ai également le soutien d’une psychologue spécialisée dans le cancer, qui m’a soutenue depuis 2011. Elle vient me voir à l’hospice toutes les deux semaines. Même lorsque je me demande ce que je vais bien pouvoir lui raconter ce jour-là, je profite toujours énormément de ses conseils qui sont souvent divers et pratiques. Elle m’a souvent conseillée sur la manière de communiquer sur les sujets difficiles, sur le cancer et sur la progression de la maladie. Elle m’a souvent rassurée sur le fait que les sentiments et les sensations physiques qui m’affectaient étaient typiques et normaux durant le cancer ou certains traitements et me conseille régulièrement sur la façon d’y faire face. Elle m’a souvent aidée à mieux gérer mes relations avec les soignants. Ainsi, grâce à son soutien, j’ai changé de médecin de famille ce qui a eu des conséquences très positives sur les traitements palliatifs de bien-être.

« Être » et rester une personne saine d’esprit est donc utile. C’est la base. C’est un projet qui prend du temps et beaucoup d’énergie.

Sur cette base, je me suis mise alors à penser à ce que je pouvais « Faire ».

FAIRE ! Parler du passé, se remémorer les meilleurs moments

Le sens du temps est très altéré en fin de vie. Chaque minute est précieuse et ne doit pas être gâchée. Le futur n’existe plus, ou presque plus, dans mon imagination. Je ne fais des plans que quelques jours à l’avance. Je pense chaque jour que ce jour pourrait être mon dernier jour « bien ». Mes intestins (ou même un autre organe, le foie, les poumons ?) pourraient se bloquer à tout moment et commencerait le début de ma chute, la morphine et le sommeil induit… Comment profiter de cette journée si précieuse qui me reste ?

Le passé. Beaucoup de souvenirs refont surface spontanément lorsque les journées sont plus vides et lorsque l’ennui s’installe. Lors d’une visite, ou par email, ou même par messagerie, partager le passé, c’est ouvrir une grande porte sur des conversations passionnantes qui prennent des chemins inattendus.

Ces conversations ne sont pas forcément tristes. La nostalgie peut être agréable, pleine d’amour et de tendresse chaleureuse. Elles conduisent à des découvertes surprenantes et enrichissantes sur l’autre personne et renforcent notre intimité, nos liens, et nous rend plus forts.

Une amie américaine s’est mise à m’écrire des emails où elle se remémore tous nos meilleurs moments. Une longue liste de ses meilleurs souvenirs ! Ses emails m’ont surprise et touchée. Nous en sommes venues à nous écrire nos meilleurs souvenirs mais aussi ce que nous avons apprécié dans notre relation, et puis de fil en aiguille, nous avons parlé de la vie en général et du sens de la vie, de la direction à donner à sa vie, des priorités difficiles à définir et décisions difficiles à prendre. Dans son cas, elle me parle de sa carrière et de ses doutes associés à son futur.

Pour mon fils, j’ai partagé par écrit mes souvenirs et j’ai mis à jour mes albums de famille. Mais c’est surtout en partant de photos anciennes qu’a commencé une conversation sur ma famille, les personnes décédées avant sa naissance, ma mère en particulier, leurs valeurs et priorités dans la vie (le peu que j'en sais). Je me suis mise à partager certains souvenirs d’enfance et la conversation s’est engagée sur d’autres thèmes importants, comme la religion dans ma famille.

FAIRE: Se dire au revoir, adieu, et remercier 

Parfois, j'ai parfois dit des choses, lors de la fin de visite, qui étaient des adieux. C'est surtout le cas pour les personnes qui venaient de loin et avaient peu de chance de refaire le déplacement. J'ai alors dit ce que j'ai aimé dans notre relation, pourquoi cela a été important, j'ai remercié la personne d'avoir fait ou dit des choses pour moi ou pour mon fils. C'est très émotionnel mais cela conduit à un vrai échange de sentiments, d'émotions, et d'amour. Parfois il y a des pleurs échangés mais avec beaucoup de soutien et de tendresse réciproque. Parfois, ce n'était pas facile... j'ai fait pleurer un ami particulièrement timide ; je voulais vraiment lui dire à quel point il m'avait aidé et soutenue sur certains projets et ce qui avait eu un grand impact sur d'autres projets d'écriture par la suite. C'est lui qui m'a aidé et montré comment publier un livre en ligne sans passer par un éditeur. Il est parti en pleurant. Je n'ai pas cherché pas à le consoler, c'est au dessus de mes forces, mais lui ai rappelé qu'il avait une longue vie devant lui et lui ai souhaité beaucoup de bonheur. 

Se dire adieu par email ou par messagerie, c'est beaucoup plus difficile mais cela m'est arrivé plusieurs fois. Deux amies, l'une canadienne, l'autre américaine, m'ont écrit des emails ressemblant beaucoup à des adieux, m'envoyant une longue liste de ce qu'elles avaient aimé dans notre relation. J'étais très étonnée (est-ce une tradition nord américaine?) et j'ai seulement pu les remercier. Je les ai revues entre temps, mais j'ai le sentiment que nos adieux sont faits, même si les revois ou leur écrit à nouveau. 

Une autre fois, une jeune étudiante canadienne souhaitait me rendre visite. Tous les ans elle rend visite à ses anciens amis de Rotterdam et viens me vois quelques heures. J'étais trop fatiguée pour sa visite et nous nous sommes dit par messages tout ce qu'on avait aimé faire et apprendre ensemble, c'était très touchant. Elle est repartie dans son pays sans me voir mais ces adieux valaient mieux que n'importe quelle visite superficielle. 

FAIRE: Partager notre expérience de la fin de vie, expliquer notre point de vue et mieux comprendre celui des proches et de « ceux qui vont rester »

Je ne dois pas vivre seule cet épisode difficile et terminal de ma vie. Je peux partager avec d’autres mon expérience, et transformer ce moment. Le rendre plus clair, plus serein, et moins redoutable. 

Plutôt que rester seule et pleurer dans mon coin, avec un peu de courage et beaucoup d’amour, j’ai la possibilité de parler de ce moment avec des proches qui vont profiter de ces moments privilégiés. Certaines personnes ne voudront pas aborder ce sujet. Soit. Mais d’autres personnes au contraire parlent avec respect et s’intéressent à ce que je traverse, et me disent que cela leur apprend beaucoup et les enrichit. C’est le cas des bénévoles qui m’entourent, et avec lesquels j’ai pu régulièrement parler de la mort et de tous les événements, rituels, croyances, réactions, qui entourent ce moment. 

Je partage aussi mes émotions et ressenti avec des personnes qui ont dans leur famille d’autres personnes qui souffrent aussi de cancer ou autre maladie en stade terminal. Ces conversations nous permettent de mieux comprendre le point de vue du patient, et celui des personnes qui souhaitant aider mais ont peur de mal faire.

FAIRE : Parler de la mort et tenter de la comprendre.

Et puis finalement, moi qui suis terriblement athée et désireuse de ne croire que dans les approches scientifiques, j’ai fini par avoir de longues conversations sur l’au-delà, sur une possible vie après la mort et à partager mon point de vue tout en comprenant mieux les points de vue religieux ou 
spirituels d’autres personnes.

Ces conversations sont tout à fait fascinantes. Nous avons parlé des concepts d’âme, d’énergie qui pourrait peut-être survivre au décès du corps. J'ai eu ces conversations avec des personnes de confession ou d'origine juive, catholique, protestante et musulmane. Les points communs entre nous tous sont étonnants. Personnellement, mes idées n'ont pas changé mais j'ai décidé de reprendre la lecture du livre tibétain des morts pour y découvrir de nouvelles idées (je ne promets pas que je finirait ce livre car la partie sur la réincarnation ne m’avait absolument pas convaincue…) et puis j'ai découvert un ou deux livres scientifiques (héhé...) sur le sujet, que je lirai peut-être... 

Ces conversations sont rassurantes pour moi et pour ceux qui m’accompagnent et m’accompagneront ici lors de mes derniers moments.

FAIRE : Peindre des aquarelles, prendre une belle photo… partager la joie de vivre.

Je ne sais pas si mes aquarelles sont utiles et donnent vraiment un sens à ma vie à proprement parler. Elles sont plutôt un divertissement et une nouveauté qui me stimulent intellectuellement et stimulent ma créativité.

Est-ce que c’est utile ? Je ne me pose plus la question de manière anxieuse car ma vie à l’hospice est souvent embellie de moments de partage, pleins d’amour et de soutien. Si vraiment je dois me poser la question, oui ces aquarelles sont utiles aussi dans la mesure où elles donnent des couleurs et de la joie à ma vie, et à ceux qui les aiment bien ou partagent aussi la passion de la peinture et dessin. 

Les moments de joie sont utiles et je ne me lance pas ici sur ma vision du bonheur dont j'espère parler dans un prochain article, haha! 

Avec quel résultat en ce moment…

Je pense que je suis sur la bonne voie. L’ennui, la solitude, les moments d’anxiété où je me pose des questions sur moi-même, sont beaucoup moins nombreux.

Je n’ai plus fait l’expérience d’un début de matinée vide et anxieux. Je fais même quelques projets sur le très court terme. Cette semaine, je devrais aller visiter une exposition Rubens au musée, avec des copines d’un groupe de parents d’élève, dont j’avais repoussé les visites auparavant tant j’avais peur de les rencontrer à nouveau et devoir affronter leur pitié.  

Reste à gérer ces idées avec patience, car je fatigue vite et ma digestion reste très difficile. Je dois me reposer plusieurs fois dans la journée. Les émotions de tristesse, de colère, de frustration, les douleurs et autres pensées négatives ne disparaissent pas. Mais ces réflexions et ces décisions m’ont permis de gagner en sérénité.

Elles s’accompagnent et ont été soutenues par des efforts pour reprendre et vivre en Pleine Conscience… dont je vous parlerai dans un prochain article (oh-oh ! c'est le second article que je vous promets, vais-je y arriver?).

***

Je vous ai écrit un bien long article aujourd’hui. D’habitude j’essaie de faire beaucoup plus court. Si vous m’avez lu jusqu’à la fin, je vous remercie énormément. Vos lectures et commentaires m’aident beaucoup à continuer de travailler et partager sur ce blog.

Portez vous bien, vous toutes, toutes mes amies qui souffrez de ce cancer aussi, et tous les proches qui soutenez les patientes, courage !!!

Petits patons dans l'eau d'un ruisseau. Aquarelle. 

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Référence : 

En plus des nombreuses conversations qui ont inspiré cet article, l'idée de transformer cette période de la vie en une "formation" m'est venue de ma lecture du livre "Tuesdays with Morrie" de Mitch Albom. Dans ce livre, un ancien étudiant, devenu journaliste et écrivain, revient rendre visite régulièrement à son ancien professeur d'université, Morrie Schwarz, qui souhaite lui transmettre des leçons de vie avant de mourir pour ce que ces leçons puissent être publiées et partagées. Morrie Schwarz souffre de la maladie de Lou Gehrig, ou sclérose latérale amyotrophique.

vendredi 2 novembre 2018

Une tronche de lune, face non cachée


Ça commence par des commentaires gentils et bienveillants sur ma santé : Vous avez regrossi en ce moment ? Vous savez meilleure mine en ce moment. Et on me montre d’un geste arrondi mon visage. 

Je trouve effectivement que mes joues sont un peu plus rondes, tandis que le reste de mon corps n’a pas repris de poids.  

Je ne m’en rends pas comte durant les premiers jours, car le miroir de ma salle de bain est trop haut pour me permettre de voir mon visage en entier, je n’y vois que mes yeux. C’est en ville que je découvre mon niveau visage, dans le reflet d’une vitre de voiture. Tiens, c’est vrai que mes joues et le bas de ma mâchoire semblent avoir pris du volume. Comme un hamster. L’hiver arrive, je fais mes réserves de graisse ?

Une amie médecin passe me voir un matin, visite surprise. On parle un peu de mes traitements. Mon principal traitement est de prendre du dexaméthasone tous les matins, un traitement stéroïde, qui m’a été donné dès mon arrivée en palliatif et qui fonctionne très bien. Il protège mes intestins et aide généralement à lutter contre la fatigue engendrée par le cancer chez les patients en soins palliatifs.

« Ah oui, je vois ça, tu le visage de lune (« a moon face ») des gens qui prennent du dexaméthasone » me dit-elle.

Un visage de Lune ? Je ne l’avais pas encore entendu celle-là.

Le bas du visage s’arrondit, les rides s’effacent, le visage semble être gonflé et sa forme générale se modifie légèrement. L’image est jolie, une lune, c’est doux, lumineux, plein de poésie.

Mais quelle horreur ! Je n’ai pas du tout envie de changer de visage. Encore un nouveau truc qui m’arrive ! Je vais gonfler ? Et jusqu’à quand ? Va-t-on me reconnaître encore, vais-je faire pitié, horreur ? Faut-il me cacher ? Rester dans ma chambre… Je mets mes mains sur mes joues, je frotte instinctivement, pour que les joues s’effacent…

Ce soir, je dois justement aller à une remise de diplôme à l’école de mon fil. Je n’ai pas mis les pieds dans l’école depuis… L’école a organisé des photos de famille prises par un photographe professionnel. Une des organisatrices m’a gentiment informée que nous pouvions passer plus tôt pour éviter la queue ! Elles ont pensé à ma situation médicale et ont arrangé les choses pour nous ! C’est gentiiiiil…. Au secours, ahhh, je ne peux plus reculer ! La photo !

(Si je fais une sourire vraiment large je ressemblerai peut-être plus à moi-même avant ? Rouge à lèvre ou éviter d’attirer l’attention sur le bas du visage ? Maquiller les yeux un peu plus que d’hab peut-être ?)

Si ça se trouve, les gens ne vont pas me reconnaître ! Quelle horreur ! Ou bien ils vont me reconnaître et être horrifiés et me lancer des sourires hypocrites et des remarques sur ma bonne mine !?

Pfff… Encore un changement, encore un effort à faire. Je veux rester dans le monde normal et ne pas rester cachée dans ma chambre à refuser les visites. Mais ce serait plus facile parfois...

Je sais, je sais, c’est superficiel… Mais ça m’énerve quand même. J’aurais bien voulu mourir sans ressembler à un hamster à la dernière minute, et voilà, on peut être coquette dans la mort, aussi, non ? 

Ok, un visage de lune, pas un visage de hamster. Penser à une jolie lune qui brille… Allez, allez, ça va le faire. Encore un peu de courage. 

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Références.
Quelques infos sur les effets secondaires du Dexamathazone sur le site du ministère de la santé français :
-          Ampoules injectables 20 mg ( peu d’info sur le site) : http://base-donnees-publique.medicaments.gouv.fr/extrait.php?specid=65822036