Alors que mon état semblait assez stable, il s’est dégradé
mardi dernier. Je ressentais des douleurs intestinales de plus en plus fortes au
fil des jours. Le lundi, dans la nuit, j’ai finalement accepté la première injection
de morphine, pour faire passer les douleurs.
Durant les premières heures après l’injection, mon corps a
dû s’habituer. Je suis passée par les effets secondaires désagréables habituels :
vertiges, sensations de nausées, quelques vomissements et une grande fatigue. Je
suis restée au lit presque toute la journée.
Le médecin de famille a été appelé. L infirmière voulait un
plan d’attaque. On m’a rapidement installé un patch de Fentanyl : c’est
une forme de morphine synthétique, m’explique-t-on, de la famille des opioïdes.
Le patch, très petit et transparent, est collé sur mon torse. Il doit y rester en
place puis être remplacé tous les trois jours. Il diffuse l’anti-douleur de
manière régulière. Le médicament fonctionne bien, car mes douleurs ont
largement diminué. Seule reste une sensation de lourdeur dans le ventre. Le
traitement me donne néanmoins une sensation permanente de vertige et beaucoup
de fatigue. Mes jambes ont du mal à me porter. Je me suis également sentie
déprimée, mais je ne sais pas si c’est un effet du médicament ou de la
situation !
On m’a aussi prescrit, en cas de douleur plus forte, un autre
anti-douleur, un spray qui diffuse l’anti-douleur par le nez et agit en
quelques minutes. J’en ai pris à deux reprises. Il marche vraiment bien contre
la douleur pendant de longues heures, mais me donne des vertiges vraiment forts
au point que je dois m’allonger.
Je suis restée souvent au lit les journées suivantes, et ai
profité quand même de la visite de papa et Evelyne qui étaient arrivés cette
semaine-là. Mais au programme, pas de belles ballades cette fois-ci. Nous avons
principalement regardé des films et discuté… moi, de mon lit !
Coté moral, j’ai pris une claque. Avec la morphine, j’ai
associé la fin de vie, la mort qui arrivait à grands pas. Mais pas si vite m’a
dit mon médecin de famille. Mes intestins ne sont toujours pas complétement
bloqués. Je peux encore manger et éliminer grâce aux traitements habituels,
augmenter les doses de laxatif, les lavements tous les matin marchent encore,
et je continue à manger par petites quantités mon régime «sans fibres ». Les
infirmières me donnent aussi désormais des massages doux du ventre. Cela aide à
la circulation intestinale.
On ne sait pas ce qui va arriver, quand et comment, mais je
ne vais pas encore mourir cette semaine ni dans les jours qui viennent, me dit
mon médecin.
Les gens autour de moi me voient survivre et rester forte
contre vents et marrées. Mais ce n’est pas comme ça que je voyais mon futur,
cette semaine. J’ai bien cru que c’était le début de la fin…
J’évitais de penser à la mort, ces derniers jours, et j’y
parvenais assez bien. Je me sentais assez neutre (tranquille ? vide ?)
sur le plan émotionnel, ni déprimée, ni euphorique. Les fêtes, les visites de
ma famille et de mon amie, m’avaient bien divertie.
Cependant, ce retour de la morphine dans ma vie, les risques
que mes intestins en soient encore plus ralentis… l’échéance s’approche un peu
plus. Tout m’a semblé tout à coup difficile et sombre…
J’ai gardé ces pensées pour moi d’abord, puis j’en ai parlé
à une infirmière qui m’a conseillée de ne pas rester seule avec ces pensées. En
parler à une amie, puis une autre amie… En parlant de mes angoisses, de la mort
qui arrive, j’ai commencé à me sentir mieux, surtout moins seule devant
l’épreuve qui m’attend.
Une des difficultés, c’est la dépendance qui s’accentue encore
plus. Voilà que je dois demander qu’on m’apporte du thé car je ne peux plus
facilement aller jusqu’à la cuisine faire chauffer l’eau et me faire une
thermos… Je voudrais une cuiller aussi merci. J’imagine le moment où il faudra
qu’on m’aide à aller aux toilettes, puis je ne pourrais plus aller aux
toilettes, il faudra de l’aide pour me lever, puis pour me laver et puis, et
puis… Pas envie d’être un poids, pas envie d’une agonie et d’une dépendance qui
durerait des jours, pas envie de rester au lit des semaines ! À partir du
moment où je ne pourrai plus quitter le lit, j’espère que tout ira vite :
que je mourrai vite et ‘tranquillement’.
Accepter les sentiments de dépression qui s’abattent sur
moi. Accepter que l’échéance s’approche. Arrêter de vouloir forcément être
positive et parfaite, et sans faille. Si la joie n’est pas là, c’est que ce
n’est pas le moment. Être en contact avec mes vrais sentiments…
Et puis regagner en sérénité…
Je reprends lentement du poil de la bête.
Dimanche matin, presque
une semaine après la première prise de morphine, je n’étais toujours pas sortie
de l’hospice et avais gardé la chambre presque en permanence. Laurence est
venue peindre avec moi, et comme d’habitude sa présence joyeuse et généreuse
m’a aidée à reprendre le chemin des couleurs au sens propre et figuré. Pour la
première fois (depuis le temps que je voulais m’y mettre !) je me suis
lancée dans un paysage de neige ensoleillé, une petite aquarelle colorée
trouvée sur internet m’a servi de modèle pour débuter.
Et le même jour, l’après-midi, pour la première fois depuis
en une semaine, je faisais quelques pas dehors, dans la rue, au bras de Ans, ma
chère Ans qui passe aussi me voir toutes les semaines. Nous parlons de son avenir et je n'arrête pas de lui donner des conseils qu'elle accueille avec gentillesse. Je sais qu'elle sait que je me sens utile de cette façon.
Le lendemain, mon William passait m’aider et m’a également
tenue par le bras pour faire quelques pas dehors. Il faisait bien froid et
humide. Il est passé après l’école et la nuit était déjà tombée. Nous avons
marché sous les platanes quelques minutes. Suivant les conseils de ma psychologue
et de l’infirmière spécialisée, j’ai commencé à lui parler de mes sentiments et
peurs. Nous avons alors parlé de la mort et des croyances qu’on « les gens »,
de notre absence de religion et de croyance, et des théories farfelues et pseudo-scientifiques
sur l’au-delà. Je lui ai parlé un peu de ma fin de vie, de ce que j’espérais,
de sa présence, de ce que fera l’équipe médicale à ce moment-là. Je lui ai
demandé s’il pourrait rester avec moi et pousser du coude toute personne qui se mettrait en travers de nous. Il a sourit. Je me suis sentie
mieux. Je crois que lui aussi. Ma psychologue qui m’a mis en garde contre le fait de trop chercher à le protéger et m’a conseillé de mieux communiquer avec lui, de lui faire mieux partager ce
processus de soins palliatifs. J’en parlerai peut-être un peu plus longtemps dans un prochain billet
de blogue.
Nous sommes maintenant une semaine après ma première prise
de morphine et la pose du patch. Les forces physiques et mentales reviennent
petit à petit, très lentement, et les vertiges sont moins forts. Je n’irai pas
au concert gratuit de musique classique du Doelen, mais je pense que j’aurai
assez de force pour m’asseoir et peindre quelques heures, et peut-être pour
aller marcher quelques minutes par jour sous les vieux platanes… J’attends mes
amies et mon cher William avec impatience cette semaine. Je ne suis pas (pas encore)
qu’un vieux boulet. 😊 J’ai encore envie de vous voir et de rire de
la vie 😊
***
* Distribué par un centre hospitalier, une brochure en ligne
sur les patchs anti-douleur :
https://www.hug-ge.ch/sites/interhug/files/documents/patch_douleur.pdf