Que faire de notre vie ? Est-il encore temps de
commencer quelque chose d’important, de long, d’exigeant, de risqué… quand on
est en soins palliatifs ? Je répondrais que oui, et pour plusieurs raisons.
L’une d’elle est d’éviter le sentiment de regret. Le
sentiment de regret est extrêmement douloureux. Et chronique : une fois
installé, il ne nous quitte plus facilement. Et puis, contagieux, même ! Nos
regrets peuvent contaminer nos proches, coupables de nous voir malheureux. Le regret de n’avoir pas essayé, de n’avoir pas osé, vient
du fait que nous comparons notre vie réelle (avec tous ses ratés) à un scénario
imaginaire (parfait) qui se serait produit dans le passé si nous avions pris
telle ou telle décision. On aurait pu tenter de publier un livre (il aurait peut-être
été un best-seller), tenter une relation amoureuse avec ce vieil ami d’enfance
(il aurait peut-être été le grand et unique amour de notre vie), tenter un
nouveau métier (passionnant, sans moments ennuyeux, sans hiérarchie, sans administration,
dans lequel nous aurions excellé). Vraiment ? Le regret, c’est comparer
les imperfections de ce qui a été accompli à un scénario idéal qui ne s’est
jamais produit. Dans la réalité, la relation aurait peut-être capoté, le
nouveau métier nous aurait peut-être amené un accident du travail, et nous
aurions peut-être découvert que nous n’avons aucun talent pour écrire... Mais ce ne sont pas les scénarios qui nous viennent à l'esprit. Le regret vient car on n'a imaginé que le scénario idéal. Ainsi, l’incertitude douloureuse persiste... "Et si… ?"
Mieux vaut donc essayer, quitte à échouer, plutôt que
regretter de n’avoir pas tenté.
Une des obsessions des adolescents qui sont en palliatif,
est de savoir si on se souviendra d’eux. Ils sont angoissés de n’avoir pas accompli
assez et de ne pas laisser une contribution significative derrière eux. Les
échelles de prises en charge des soins pour adolescents ayant le cancer
prennent en charge cette dimension importante de leur bien-être psychologique (cf. références en fin d’article).
Or, si la vieillesse, ou l’âge mûr, nous libèrent quelque peu de
cette angoisse, car nous avons donné et
nous avons accompli, il reste que, quel que soit notre âge, le palliatif nous confronte
à la question du sens de la vie. Le nouveau sens de notre vie. Ce
questionnement sur le sens de la vie et le « quoi faire maintenant »,
n’est jamais terminé. Il revient souvent lors de grands changements de vie, et
surtout lors d’un deuil. À mesure que la maladie progresse, j’avance aussi
psychologiquement. Je continue à changer. Et ces changements ne s’arrêteront
pas.
Un exemple tout simple. J’ai écrit un codicile : ce que
je voudrais qu’il soit fait de mes cendres, etc. Or récemment, j’ai pensé que l’idée
de jeter mes cendres en mer n’était plus ce que je voulais. J’ai entendu parler
de « jardins du souvenir » et l’idée me semble soudain beaucoup plus
romantique et humaine, que de laisser mes cendres au fond de l’océan où finalement,
les poissons et les crevettes s’en foutent (ça risque même de leur gratter les yeux).
En fait, j’aimerais autant que mes restes profitent aux arbres et aux
oiseaux. Finalement, je réalise par ce petit changement, que l'on n’est jamais « prêt à mourir ». On pense peut-être
s’y être préparé, mais en réalité, on ne sait jamais dans quel état d’esprit on
sera quand elle arrivera. Le sens de la vie, les rêves et les priorités
évoluent et changent durant les mois ou les années de période de soins palliatifs.
Parce que la vie continue et parce que l'on change, on apprend, on éprouve, et que par conséquent, tout naturellement, de nouveaux désirs surgissent, entretenus par notre curiosité naturelle. Comme dans la vie
ordinaire. Parce que, c’est la vie ordinaire, n'est-ce pas, même si je n’ai plus l’illusion
qu’elle durera encore longtemps.
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Olga Murray entourée d'enfants |
Dans un TED talk, l’écrivaine Isabel Allende cite l’exemple
de Olga Murray. Cette femme de 88 ans est partie au Népal à l’âge de 60 ans et
a sauvé douze mille enfants d’une vie d’esclavage domestique.
Les histoires de personnes âgées accomplissant des choses
extraordinaires sont toujours populaires. Voici une personne faisant face à
certains obstacles de la vie (la vieillesse), et qui malgré les obstacles, essaie,
commence, se bat, pour accomplir un rêve, une passion, une mission. C’est
inspirant. Cela nous fait rêver et désirer.
Alors, commencer de nouvelles choses, oui, pour ne pas
regretter, pour réaliser ou respecter les nouveaux désirs, pour éprouver la
joie d’essayer d’accomplir quelque chose de significatif.
Le seul risque, c’est celui de l’échec. Mais l’échec n’est pas équivalent du regret. L’échec, c’est la fierté d’avoir essayé, c’est l’opportunité d’apprendre les leçons, c’est aussi l’opportunité d’essayer à nouveau et mieux.
Références :
Sur les adolescents et enfants soignés pour le cancer :
- Lori
Wiener, Sima Zadeh, Haven Battles et Kristin Baird. (2012). Allowing Adolescents and Young Adults to
Plan Their End-of-Life Care », Pediatrics. lire en ligne.
- Nicole Mavrides et Maryland Pao. (2014). Updates in paediatric
psycho-oncology, International Review of Psychiatry, vol. 26,
no 1, 63–73.
(lire en ligne).
Photographie d'athlètes âgés par Alex Rotas : http://www.bbc.com/news/uk-england-bristol-40886339
TED Talk de Isabel Allende, Comment vivre avec passion
quel que soit notre âge : https://www.ted.com/talks/isabel_allende_how_to_live_passionately_no_matter_your_age/transcript
(transcript en français)
La fondation de Olga Murray et son histoire : https://www.youtube.com/watch?v=ex1uAtwfFcs ; http://www.nepalyouthfoundation.org/about-us/.
Pourquoi les histoires des personnes âgées tombant
amoureuses à 80 ou 90 ans sont-elles inspirantes (en néerlandais) : https://decorrespondent.nl/6850/waarom-verhalen-over-duikende-tachtigers-en-verliefde-negentigers-zo-populair-zijn/2617137351950-807a0b87