J’ai tenté de réunir dans
ce billet quelques idées sur ce qui me fait plaisir durant les visites et
aussi ce qui peut poser problème, après avoir discuté du sujet avec des amies
récemment. Quoi dire, quoi faire, quels sujet éviter ? Je partage ici juste mon expérience car il difficile de donner des conseils généraux. Il s'agit surtout d'essayer de comprendre ce que peut ressentir l'autre personne...
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J’ai été comblée d’amour et d’amitié à mon entrée à
l’hospice, une vague de gentillesse, compassion, amour inconditionnel qui a amené
de nombreuses personnes, la famille, les proches ou juste des connaissances, à
venir me rendre visite. Et puis les visites se sont espacées. Avec le temps, la
nature des visites a changé, ainsi que le type de personne qui vient me rendre visite.
Ces visites sont une bénédiction car elles me permettent de
continuer à me sentir bien vivante. Mais elles ont aussi leurs challenges, pour
moi tout comme pour mes ‘visiteurs’.
Que dire, quels sujets
éviter ?
J’ai tout perdu avec ce cancer. Presque tout. Alors la
colère et la tristesse ont pris le dessus durant les premières semaines de mon
arrivée à l’hospice. Désormais, je suis beaucoup plus sereine, mais j’ai été
facilement irritée contre beaucoup de situations et contre beaucoup de gens qui
pourtant voulaient m’aider.
Imaginez tout ce qu’on perd avec le cancer et l’échéance de
la mort qui arrive sans que la médecine puisse l’arrêter. Tout ce qui était
matériel est parti petit à petit, c’est la partie visible de l’iceberg. Mon
travail et ma carrière, stoppés, je n’ai plus rien à faire. Mon appartement qui
sera vidé et vendu après ma mort. Tout ce petit confort que j’avais créé. Tout
va partir. Tout est inutile… Ma petite chienne est partie vivre avec mon père
et Evelyne… Mes chers livres prennent la poussière et je ne les lirai pas une
deuxième fois. Rien ne reviendra, mon futur n’existe plus pour y créer des
rêves et projets.
J’ai perdu mon espace vital, mon énergie, mon corps… Par
morceaux mon cors est parti, dans les opérations, la ménaupause, les organes
gynécologiques, les autres organes… mes intestins ne marchent plus…. Mes jambes
ne me portent presque plus… Mon cerveau semble ne plus fonctionner parfois,
lorsque je ne trouve plus mes mots ou que je m’effondre de sommeil incapable de
suivre une conversation...
J’ai l’impression d’avoir perdu mon fils, qui vit avec son
père et vient « me rendre visite ». Il ne peut même plus venir passer
quelques jours avec moi, je ne peux plus lui cuisiner un petit truc. Cette
semaine, je n’avais pas assez de forces pour l’accompagner faire un peu de
shopping de Noël dans son magasin préféré... Il est venu me jouer du piano hier
soir, et nous avons des moments privilégiés, bien sûr il est toujours là. Mais
je ne suis plus une « vraie » maman, juste un ombre de qui j’étais…
J’ai perdu mon futur. Par exemple je pense souvent avec regret et tristesse que
je ne serai jamais grand-mère. J’aurai vraiment adoré être grand-mère et
refaire avec des petits-enfants tout ce que j’ai aimé faire avec William, les
visites au parc, les visites aux musées des sciences, les dessins et les constructions
Légo… Lorsque les gens parlent de leurs petits-enfants autour de moi, c’est un
couteau qui s’enfonce dans ma poitrine.
Alors sur quoi discuter, quel sujet aborder qui ne va pas me
frustrer… ? Tout peut devenir un sujet de tristesse et de colère pour moi,
absolument tout !
C’est imprévisible aussi car cela dépend des moments. La narration de
vacances ou d’une naissance peut me faire plaisir un jour où je me sens pleine d'amour pour le monde entier... ou me rendre très jalouse en
me rappelant tout ce que je n’aurai plus jamais… selon mon humeur du moment.
Ma frustration, ma colère, mon humeur déprimée ou plus
sereine, ma joie de vivre, ma compassion envers l’autre, tout cela dépend de
progrès fait dans l’acceptation de la maladie, et dépendent aussi de la fatigue
et dans une certaine mesure aussi des traitements médicamenteux que je reçois.
Le dexamétazone peut entraîner des sentiments de dépression par exemple.
Se sentir écoutée
La principale qualité de la bonne visite, c’est surtout de
se sentir comprise. Même si j’ai envie d’être distraite aussi et de rire, j’ai
aussi besoin de savoir que mes amies comprennent mes symptômes et douleurs, et
mes angoisses.
Parfois, j’essaie vraiment de faire l’effort de ne pas en
parler, pour protéger la personne et avoir des moments normaux, me distraire et
rire, sans ennuyer l’amie qui a pris la peine de venir me voir. Je sais que je
vais rendre la situation plus difficile en parlant trop de ma maladie et de son
évolution.
Mais si je n’en parle pas du tout, je me sens rapidement très
seule et incomprise. Les émotions ont été particulièrement fortes lors de mon
arrivée à l’hospice, et je ne veux pas retomber dans une routine dans laquelle
j’oublierais le cancer. Je reste vigilante. Le cancer grossit, je le sais, et un
blocage ou une infection peuvent désormais m’emporter en quelques jours ou
quelques heures. Je ne veux pas l’oublier. Je ne veux pas que mes plus proches
l’oublient.
J’en parle donc. Je raconte mon angoisse de voir les
vomissements et les douleurs intestinales revenir très bientôt, et mon sens de
l’urgence, mon impression que le cancer peut revenir à tout moment malgré le fait
que j’ai encore l’air relativement stable et forte (ainsi, tous les jours, je sors
marcher dans le quartier !).
Je n’ai plus beaucoup de temps, que chaque heure est très
précieuse. J’ai besoin de sentir que mes amies, mes proches, ma famille, comprennent
ce sentiment et le partagent avec moi, pour me sentir entourée et en sécurité.
Peut-être que j’ai envie de sentir aussi que j’aurai de l’aide et de la
présence aussitôt que j’irai mal...
Rester dans l’échange
Mais les amies qui viennent me voir régulièrement parlent
aussi d’elles-mêmes et heureusement : je sens que je suis encore une amie,
et qu’on me consulte parfois, que je ne suis pas seulement une malade qu’on
visite par compassion. On parle beaucoup des enfants, de leurs études, de leurs
activités. Elles me parlent aussi parfois de leur travail, de leur propre
santé, de leurs parents ou maris avec les problèmes de santé des uns et des
autres.
Problèmes de
concentration et mémorisation
Certains sujets me fatiguent, mais il est difficile de prédire
lesquels. Je peux juste montrer que je suis fatiguée lorsqu’un sujet m’épuise,
m’excuser en disant que je suis très fatiguée... Certains captent mes limites,
voient que je fatigue ou que je décroche. D’autres ne voient rien du tout, et
il faut alors dire explicitement que je fatigue et que j’ai « mon coup de
barre ».
Lorsque l’on fatigue, les fonctions exécutives du cerveau
dont les premières à être affectées. Elles ont aussi été affectées par les
chimios (voir une explication détaillée des troubles cognitifs liés au cancer
sur
https://www.ordrepsy.qc.ca/-/exclusivite-web-troubles-cognitifs-et-cancer)
sans parle de tous les bouleversements émotionnels par lesquels nous sommes passées
depuis l’annonce du cancer.
Les fonctions cognitives les plus touchées sont celles qui
dirigent différentes sortes d’attention et de mémorisation de l’information.
Prêter attention à ce qui est dit ou vu de manière soutenue, sélectionner
l’information et arriver à se concentrer sur une chose, stocker en mémoire ce
qui vient d’être dit. Retrouver ses mots est également une fonction facilement
affectée par la fatigue cognitive.
Ainsi, j’ai beaucoup moins de concentration et de mémoire
qu’autrefois, donc il n’est difficile de suivre et de retenir les détails de ce
qu’on me dit. D’une visite sur l’autre, j’oublie facilement ce qu’on m’a dit,
mais lorsqu’on me rappelle et répète, les souvenirs de la discussion
reviennent. Il faut donc simplifier, et ne pas hésiter à répéter.
Il veut mieux éviter les visites de plusieurs personnes et
préférer les visites d’une ou deux personnes à la fois seulement, car il est
difficile de suivre plusieurs conversations à la fois.
Pour ma part, je dois aussi faire face au défi de la langue
étrangère. Les conversations en néerlandais et en anglais me sont devenues plus
difficiles à suivre que par le passé.
Régularité
Les visites les plus agréables pour moi sont les visites
régulières, et mes amies partagent cet avis. Plus on remet à plus tard une
visite, plus on craint de me voir dans un état dégradé, et plus on se sent
coupable de ne pas être venue, me disent-elle.
Pour ma part, je crains les visites des gens que je n’ai pas
vus depuis longtemps, car je dois (ou je sens que je dois) parler alors de
l’histoire de ma maladie et de son évolution, expliquer où j’en suis. Les
visites régulières portent toujours sur des sujets plus courants, la vie
courante, les petites nouvelles, ou parfois sur l’actualité du moment. Les
sujets sont moins lourds.
Les visites régulières peuvent cependant aussi entraîner le
problème d’être trop ordinaire et « faire comme si tout était
normal ». Or la situation n’est pas stable et normale de mon point de vue.
Tous les jours, je pense que j’ai gagné une journée, un cadeau ajouté à ma vie.
Mais tous les jours aussi, je vis comme si la maladie pouvait refrapper à tout
moment. Je vis comme si j’allais survivre encore une semaine. Pas trois mois.
Et parfois je sens un décalage avec mes proches qui me voient survivre depuis
plusieurs mois et ne peuvent pas être continuellement sur le pied de guerre.
Parler de la
mort ?
Pour ma part, la mort n’a jamais été un sujet tabou, mais
parfois j’évite le sujet soigneusement. Alors faut-il en parler ? Oui.
Quand et comment ? C’est bien le problème.
Parfois je n’en parle pas, pour protéger mes proches. Je ne
veux pas en parler au moment où tout semble tranquille, où mon état semble
stable, et que nous avons des conversations ou moments « normaux » et
agréables. Mais le cancer n’est jamais stable, et mon état peut se détériorer à
tout moment. La stabilité apparente du moment est illusoire.
Est-ce que mes proches ont envie d’en parler et n’osent pas
aborder un sujet lourd ? Moi-même je ne sais pas toujours à quel moment
initier une conversation sur ce que je souhaite après ma mort par exemple. Il
faut m’aider, amener le sujet.
J’aime bien parler aussi des croyances après la mort. Avec
certaines personnes, et surtout avec les bénévoles qui travaillent ici, j’aime
aborder le thème des croyances sur l’au-delà. Je n’ai aucune croyance
personnellement, mais j’aime écouter les leurs. L’énergie qui resterait. Les
esprits ou l’âme qui resterait. Les signes. Les anges gardiens…
On peut même en rire… Mais il faut oser aborder le sujet
tout d’abord, et même si certaines idées me font rire, il reste que nous ne
sommes pas égaux devant la mort… Ainsi, s'il y a une chose que je déteste, c'est les gens qui me disent qu'elles pensent aussi à la mort car elles savent aussi qu'elles peuvent mourir à tout instant. Non, ce n'est pas la même chose du tout ! Savoir qu'un jour on va mourir, ce n'est pas du tout la même chose qu'avoir entendu son oncologue vous dire qu'il n'y a plus rien à faire et qu'on n'a moins d'un an à vivre. Je réagis très mal à cette remarque du "je peux aussi mourir demain" (oui moi aussi je peux être renversée par un bus demain, mais dans trois mois je ne serai plus là et vous si, je dois mettre les points sur les i?).
Pardonner, se
souvenir, partager ses vraies émotions…
Parfois, souvent même, j’ai envie d’une conversation intime,
et non d’une conversation de tous les jours sur des sujets bateau.
A-t-on des regrets ? Sommes-nous désolés de quelque
chose ? Doit-on pardonner quelque chose ? S’est-on bien
compris ? A-t-on un (dernier ?) conseil ? Que souhaite-t-on pour
l’autre ? Quels ont été nos meilleurs moments ensemble dans notre
vie ?...
Tous ces thèmes sont si importants, et parfois j’aimerais que
toutes mes conversations soient pleines de ces sujets importants,
« profonds ». Surtout, surtout avec les gens de ma famille, mes
hommes, mon père, mes frères et sœur, mon fils, mes neveux et mes nièces encore
si jeunes… Plus on est proche, plus c’est difficile. Tellement chargé
d’émotions.
Il faut oser, il faut trouver les mots, même si c’est
difficile et qu’on se met à pleurer.
Là il faut m’aider. Je ne peux pas toujours
être celle qui va initier les conversations difficiles parce que souvent, je
veux aussi protéger. Je me dis, moi aussi, que ce n’est pas le moment et qu’on
en parlera plus tard... Mais le plus tard pourrait ne pas arriver, il pourrait
être trop tard.
Pleurer, s’embrasser
« Peux-tu me prendre dans tes bras ? » Je
n’ose jamais le dire. J’ai envie de pleurer avec, de prendre dans mes bras ou
d’être prise dans les bras et embrassée et réconfortée physiquement. Et je ne
sais pas forcément comment l’initier.
Je n’ai pas de truc et astuce sur le sujet. On n'est pas très démonstratifs dans ma famille.
Mais quand j’ai eu le courage de demander ce dont j’avais
besoin, je ne l’ai jamais regretté et je me souviens avec délice des moments où
j’ai pleuré sur l’épaule d’une personne ou en lui tenant longuement ses mains. Ce
ne sont pas du tout de mauvais souvenirs.
Activités
Je ne sais pas si c’est intéressant, mais j’ai pensé ici
mettre aussi une petite liste des activités qui m’ont aidée, et je termine donc
ce billet par cette liste d’idées.
Parce que je suis encore en bonne condition physique, mes
amies peuvent m’emmener en voiture faire une petite course au supermarché ou au
magasin d’art, passer à l’appartement reprendre un CD ou un vêtement, prendre
un thé en ville, aller voir un film au cinéma ou au concert. J’adore sortir et
faire quelque chose de « normal », oublier l’hospice une heure ou
deux.
Lorsque j’ai traversé des moments de grande fatigue, alitée
et sous morphine, je ne pouvais plus sortir bien sûr, mais je ne pouvais même
plus parler non plus. Je m’essoufflais et vomissais même à force de fatiguer à
tenter de parler. Dans ces moments, j’ai beaucoup apprécié qu’on me fasse de la
lecture.
Mon amie Sophie a apporté des livres de poésie pour enfants. La
lecture de poèmes d’enfance m’a fait énormément de bien. Les Prévert, les
Victor Hugo, Rimbault, Verlaine… Je retrouvais certaines rimes apprises et
oubliées…
Certains poèmes m’ont rappelé les chansons françaises
apprises à l’école primaire, Ferrat, Duteil... Tant de vieux souvenirs ont
refait surface ! On a fredonné ensemble « Que la montagne est
belle », « Le petit pont de bois » …
Laurence est venue me lire un vieux livre d’aventures,
« Le monde perdu », de Doyle, trouvé un peu au hasard parmi les
livres classiques gratuits que j’avais téléchargés sur Kindle (de nombreux
livres qui ont perdu leurs droits d’auteurs y sont en accès gratuit ou quasi
gratuit). Parfois nous commentions les personnages et l’histoire en riant. Nous
n’avons jamais terminé le livre mais ça ne fait rien. Quand je serai à nouveau
très malade et alitée, peut-être qu’on le reprendra…
Lorsque je suis alitée et très fatiguée, la musique me fait
beaucoup de bien. Youtube a un bon choix de musiques classiques ou de musiques
douces. Les musiques de harpe, de flûte traversière, de guitare acoustique,
sont très relaxantes. Mais il s’agit de les trouver et je ne suis pas
spécialiste, donc l’aide des amies est bienvenue. Sophie est la grande
spécialiste de musique classique et me donne des noms de compositeurs et
d’artistes pour me donner des liens et pistes vers des vidéos.
Mon fils William, Edward, l’un de ses amis, et ma nièce
Juliette, sont venus jouer du piano. Rien de plus merveilleux que ces moments,
ces mini concerts rien que pour moi.
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Merci de me lire. Je vous souhaite beaucoup de courage et
beaucoup, beaucoup d’amour dans votre lutte contre le cancer…
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