vendredi 28 décembre 2018

Livre de Paul Broks, l’odissée d’un neuropsychologue dans les labyrinthes du deuil


Le neuropsychologue anglais Paul Broks a publié cette année l’ouvrage « The Darker the Night, the Brighter the Stars, a Neuropsychologist Odyssey”. Il n’est pas encore traduit en français et j’espère qu’il le sera car le contenu du livre est très intéressant et le style d’écriture vraiment original.

Paul Broks est connu pour son livre précédent «L’hippocampe et l’amande, récits d’un neuropsychologue » qui décrit des cas cliniques de patients soufrant de troubles neurologiques et illustre le fonctionnement surprenant de notre cerveau en relation avec nos idées, émotions, conscience, esprit.

Dans ce nouvel ouvrage, Paul Broks partage ses réflexions sur son deuil récent et sur la mort. Il a perdu sa femme après sept années de lutte contre un cancer des intestins. Il nous conduit dans les méandres de ses réflexions, rêves, émotions, rencontres qui évoquent des questions sur le thème de la mort.

Il se réfère tantôt, et le plus souvent, à la neuropsychologie en présentant des cas cliniques qui illustrent les complexités de la mémoire et de la conscience. Des patients souffrant de troubles d’amnésie rares, de paralysie du sommeil, ou encore d’illusions de mort sont quelques-uns des exemples présentés et qui nous font réfléchir aux complexités du fonctionnement de notre esprit. 

Ces cas cliniques remettent en question nos intuitions sur ce que nous pensons stable : notre mémoire, notre histoire personnelle, notre moi, notre conscience. Ainsi, directement ou indirectement, sont abordées des réflexions sur nos illusions, pensées magiques ou rationnelles, nos perceptions et leurs distorsions, nos croyances. Le point d'ancrage est le deuil et la mort mais les questions généralement vont plus loin ; l'auteur s'interroge sur des questions comme la raison de vivre, les illusions, le besoin de croire et les rapports entre croyance et pensée rationnelle, ou encore la mémoire (des disparus) et ses failles. 

L’ouvrage est également riche de références à la mythologie et aux philosophes, parmi lesquels les stoïques que l’auteur apprécie particulièrement. Ces références amènent à une réflexion plus large sur la perte, sur les changements liés au passage du temps, ou encore sur la différence parfois ténue entre réalité et mythe ou rêve. 

L’évocation des mythes et des philosophes est particulièrement originale. Elle permet de placer dans un contexte général et humain les questions qui sinon seraient abordées d’un point de vue purement scientifiques et spécifique. Ces références m’ont un peu désarçonnées dans ma lecture au début du livre. On retrouve ces références mythologiques et philosophiques dans des ouvrages de psychanalyse, une approche dont je me suis éloignée depuis longtemps pour me consacrer uniquement à la psychologie expérimentale dans ma carrière. Les analogies ne sont pas un mode de raisonnement que je privilégie, or elles sont très utilisées ici. Cependant, ce livre m’a réconciliée avec cette approche mixte, où les problématiques soulevées par les personnages de Homère, par les philosophes grecs classiques, ou encore par les psychanalystes Jung et Freud, sont replacées dans leur contexte culturel et historiques. Elles permettent de poser des questions universelles. 

Ainsi la question de la nature de la conscience est une question très ancienne : est-elle un tout? Sommes nous un tout, une personne avec une histoire, un passé et un avenir ? Ou sommes-nous seulement la somme de petits moments présents, une personne qui n'existe qu'à certains courts moments dans le temps ? Cette question primordiale est posée chez les philosophes grecs, retrouve dans les approches religieuses (chrétiens versus bouddhistes), est posée de nouveau par les philosophes humanistes, et continue à être abordée récemment par des spécialistes en neurosciences. La mise en contexte historique de cette question est donc vraiment intéressante.  

L’ouvrage se compose de petits chapitres, pas forcément liés les uns aux autres (un peu comme un blog ;-). Il faut donc s’y promener en méandrant, picorer ici et là les idées originales de l’auteur et ses riches de références philosophiques et scientifiques. Certains passages sont un peu déconcertants et inattendus, et je me suis demandé ici et là pourquoi l'auteur parlait de telle et telle expérience personnelle... mais la plupart des chapitres sont fascinants et intéressants, qui vont font réfléchir de longues heures après leur lecture.

Au final je recommande absolument la lecture de ce livre (mais en anglais pour le moment), même si la lecture en est parfois un peu ardue. C’est un voyage au cœur de questions difficiles et non résolues. Est-on ressorti du labyrinthe lorsque l’on referme le livre ? Pas vraiment, mais on est beaucoup plus éduqué et… conscient. 

Référence :
Paul Broks (2018). The Darker the Night, the Brighter the stars. A Neuropsychologist’s Odyssey. Allen Lane, UK.

dimanche 23 décembre 2018

Joyeux Noël ! Juste quelques nouvelles de mes plans de Noël, pas de science, ni conseils à trois sous et je crois même que je radote dans ce poste…


Joyeux Noël à tous !

Demain soir, j’irai fêter Noël avec mon fils et son père. Le dîner sera entre nous trois, et cette année je ne prépare rien, je me laisse inviter tranquillement.

Leur appartement a une magnifique vue sur la Nouvelle Meuse, une des branches du delta Rhin-Meuse qui fait un large méandre au milieu de la ville, rejoint ensuite l’immense port de Rotterdam puis se jette dans la mer du Nord à trente kilomètres à l’ouest. C’est inspirant de se trouver dans un endroit d’où on regarde des bateaux passer, des voitures circuler, des piétons de la taille de fourmis circulant sur un pont et sur le vieux port.

En parlant de fourmi, je viens de lire qu’environ 150 mille personnes meurent chaque jour dans le monde et environ 360 mille naissent le même jour. Cela remet en perspective notre petite vie et son importance, n’est-ce pas ? Quand j’étais plus jeune, cela m’angoissait de réaliser ma petitesse parmi les millions, milliards, d’humains. La traversée du périphérique de Paris et ses milliers de voitures me bouleversait. Je pensais à toutes ces personnes, chacune dans sa voiture avec sa vie, ses soucis, son travail, et ma vie n’était finalement pas plus importante que la leur… Mais cela ne m’angoisse plus du tout maintenant. Un peu d’humilité ne fait pas de mal. Une petite fourmi tranquille, heureuse d’anticiper les fêtes, les lumières partout, et oublier un moment le futur, rire et me distraire avec les gens que j’aime. Parfait. 

J’ai pris beaucoup de plaisir à préparer les cadeaux, tout par internet car je ne pouvais pas crapahuter dans les magasins. Ma famille arrive quelques jours après pour me rendre visite, et j’ai hâte de les voir, de prendre des nouvelles, de parler de notre vie, de la vie, de leur dire à quel point elle est courte et précieuse et miraculeuse... En tout cas j’imagine que c’est ce que je leur dirai et sinon je le penserait très fort. 

Tout va bien en ce moment, relativement bien sûr car je fatigue vite. Et mon ventre se tortille si je mange trop ou mal, et il tire et les douleurs irradient parfois dans mon dos. Mais bon… Je suis heureuse d’être encore là pour le moment ! Je ne pensais pas survivre l’anniversaire de William en octobre et encore moins ce Noël 2018 !

Aujourd’hui, Laurence est passée, toujours pleine de gentillesse et de patience (il en faut en ce moment, je suis devenue une vielle râleuse !). Nous avons fait un peu de peinture, puis nous sommes allées à un magasin de Delicatessen acheter quelques petits trucs à grignoter pour le soir du 25.

Je passerai le 25 à l’hospice, où il deux infirmières seront présentes, et avec une bénévole, Angélique, qui mérite son nom car elle est d’une immense gentillesse avec moi depuis mon arrivée. Je peux les rejoindre dans la salle à manger commune. Nous ne sommes que deux résidentes en ce moment, et l’autre résidente doit rester alitée, donc une des infirmières sera sans doute dans la chambre de la dame et je serai avec Angélique et peut-être une autre infirmière ou autre bénévole…

J’ai commandé deux DVD de comédies musicales, et l’un est arrivé à temps : "Cats". Mon plan est de regarder la comédie musicale en grignotant devant la télé, c’est mon idée d’un Noël cool et tranquille. Angélique est partante.

La deuxième comédie musicale que j’ai commandée, "La La Land", n’arrivera pas à temps, donc ce sera le plan télé du 31 décembre ou du 1er janvier. Le plan est : une amie arrive de France pour passer quelques jours avec moi. De belles conversations en perspective, rires et bons souvenirs partagés.   

Et du vin. Mon goût semble en grande partie revenu et j’ai bien apprécié le petit vin qu’on m’a offert lors de notre dernière soirée entre amis. C'est une soirée où nous avons tous regardé ensemble mon film préféré, Amadeus, que je voulais absolument partager avec William. Le vin m’a donné un peu mal à la tête, mais un paracétamol a bien résolu ce petit problème et donc, il y aura du vin dans mon verre à Noël et ça, les nutritionnistes ne me l’avaient pas marqué dans ma liste des aliments sans fibres, mais nen di diou y a pas de fibres dans le vin !

Quand j’y pense…. Je me dis maintenant que j’ai été trop raisonnable dans ma vie. J’aurais dû boire plus mais j’avais peur de devenir alcoolique. Et manger des crêpes au Nutella le matin, mais je faisais attention à ma ligne et à ma santé. Et j’aurais dû prendre mon petit déjeuner au lit avec un bon bouquin et rester au lit jusqu’à midi… mais je me levais pour faire le ménage. Pourquoi ai-je été si raisonnable ?!

Mais voilà, on se refait pas, pas la peine de regretter maintenant. J’ai eu aussi mes moments de folie et mes excès quand j’étais jeune… simplement ces dernières années ont été un tantinet trop raisonnable peut-être… Bon, j’étais une maman avant tout. J'aimerais qu'Anne-Marie soit encore en vie pour lire cela, elle me disait la même chose dans les dernières semaines avant son décès. Elle avait été un peu trop raisonnable. Profite, ne t'embête plus avec les conventions ou avec les gens qui te prennent de l'énergie, m'écrivait-elle... 

Alors mes petits plans de Noël sont en route et me remplissent de joie à l’avance : des cadeaux, des gens que j’aime, des belles conversations, quelques bons films, quelques crevettes et chocolats, un peu de vin, ce sera un beau Noël. Pourvu que personne ne se fasse renverser par un bus entre temps et le plan devrait marcher.

Les néerlandais fêtent Noël pendant deux jours : c’est Noël jusqu’au 26 ici, le « tweede Kerstdag ». Je ne sais pas si cela changera quelque chose à ma journée. Encore plus de chocolat et encore un chti verre de vin !? Comme tout le monde est très zen ici, et ajouté à la culture dominante plutôt protestante calviniste, je ne pense pas que le Champagne coulera à flots, et je crois que le 26 sera plutôt tranquille. Si ça se trouve, le 25, je serai même la seule à boire du vin. Ce ne sera pas « Le Festin de Babette » (également un de mes films préférés). Mais comme je suis rapidement très fatiguée, tous ces plans seront déjà très ambitieux pour moi.

Je vous souhaite à vous tous et toutes un joli Noël !

Un Noël plein de vie, plein de tendresse, plein de partage, plein d’émerveillement devant la beauté et le miracle de la vie !

***

Références : Allez, même pour Noël je vous mets des références, hihi.
Qu’est-ce que c’est cette histoire de deuxième jour de Noël ? Célébration_du_second_jour_de_Noël0( Wikipédia)
Mes films préférés :


lundi 10 décembre 2018

Résister à l’effet nocebo



Est-ce que je ne suis pas victime parfois d’un effet nocebo ? A force de penser que je meurs parce qu’on me l’a annoncé, est-ce que je ne baisse pas les bras et est-ce que je pourrais aller mieux, encore mieux, et survivre plus longtemps ?

Comme si on ne m’avait rien dit !?… Est-ce que ma vie serait différente aujourd’hui si je pensais que je prends un traitement qui stoppe la progression du cancer ? Que ferais-je de ma journée, et que je ne vais pas faire ou ressentir aujourd’hui ?

Le nocebo, c’est l’inverse du placebo. L’effet placebo est l’effet positif sur la santé physique et mentale qui est provoqué lorsque le patient croit (à raison ou à tort) que le traitement qu’il prend a un effet positif. Il est dû aux attentes et à un apprentissage par conditionnement. Plus on pense qu’un traitement est positif pour nous, mieux on se sent physiquement et mentalement : ce phénomène entraîne des effets d’apprentissage non conscient qui s’additionnent et se renforcent.

L’effet nocebo, c’est la version négative du placebo, observée lorsque le patient s’attend (à tort ou à raison) à faire l’expérience d’effets négatifs du traitement ou de la maladie. Par exemple, dans une expérience, des médecins informent des patients qu’un traitement risque de provoquer des troubles de la sexualité. Un tiers des patients informés de ce risque se plaignent alors de cet effet secondaire, tandis qu’un très faible pourcentage de patients s’en plaint dans le groupe qui n’est pas mis en garde contre ce même effet. Un effet nocebo va provoquer par exemple des maux de tête, de la confusion, de l'anxiété, et d'autres symptômes annoncés, redoutés et attendus par les patients. 

D’après certaines revues de question, ces effets influenceraient peu l’évolution de la maladie, et n’influenceraient que la perception et le vécu des symptômes qui seraient aggravés, en particulier la douleur. Cependant les études systématiques sur le sujet sont peu nombreuses et les conclusions des revues de questions sont donc sujettes à discussion.

Au contraire, certaines observations faites en dehors d’essais cliniques contrôlés, rapportent des effets nocebo influençant directement la santé. Non seulement la perception des symptômes serait grandement influencée, mais des marqueurs biologiques liés à ces symptômes indiqueraient que l’état de santé du patient se dégrade (http://www.bbc.com/future/story/20150210-can-you-think-yourself-to-death).  

Des anecdotes rapportent même des cas de personnes mortes sous l’effet d’avoir anticipé qu’elles allaient mourir. Le fait d’être persuadé d’avoir un médicament nocif peut provoquer des symptômes met en danger la vie du patient chez un patient persuadé d'avoir pris des médicaments actifs et qui en fait avait pris des gélules inoffensives (https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0163834307000114).

Ainsi, je me suis parfois demandé si le fait que je sois à l’hospice et qu’on m’ait annoncé qu’il n’y avait plus de traitement possible pour moi, n’allait pas m’amener moi aussi à baisser les bras plus vite, à croire à des symptômes imaginaires, ou encore, à ressentir une fatigue et des douleurs issues en partie de mon imagination.

Parfois, assise dans ma chambre et découragée, j’ai l’impression que je ne peux plus me lever et je ne veux plus rien faire de la journée sauf rester assise à regarder dans le vide. Arrive une amie et nous allons marcher dans le quartier, je me découvre une force que je n’imaginais pas quelques minutes plus tôt !

Et donc, certainement, j’ai parfois été la victime d’un effet nocebo. Est-ce que j’accepte l’inéluctable et me laisse aller doucement en faisant de moins en moins d’efforts ? Est-ce que je me rebelle encore un peu, décide de faire un peu de yoga et de marche à pieds tous les jours pour tenter jusqu’au bout de prolonger encore ma santé, mes forces, mes muscles, mes os et toute la machine biologique qui marche encore à l’intérieur de mon ventre, mon cœur, mes poumons, mes pauvres intestins… ?
Est-ce que je suis une battante ? Et faut-il encore être une battante à ce stade ou faut-il accepter la fatalité ?

La vérité est en milieu, car j’ai accepté de regarder la mort en face et je me sens sereine face à l’arrivée de l’échéance. Je n’ai pas le choix, disent les médecins. J’ai accepté et je ne cherche pas de nouveaux traitements. Je n’ai pas trop de douleur, je veux partir tranquillement désormais et sans toute une batterie de traitements douloureux. Je ne veux plus souffrir.

Mais pour le moment, je fais partie des personnes chanceuses dont la santé s’est améliorée depuis mon arrivée à l’hospice. On me dit que cela arrive relativement souvent. Un petit nombre d’entre nous survivent quelques semaines ou quelques mois, de manière tout à fait imprévisible… Et presque impossible à prédire. Est-ce que je serai encore là la semaine prochaine, personne ne le sait.

Alors je me bats encore un peu, doucement, pour vivre plus longtemps, si me battre signifie que je peux gagner quelques jours ou quelques semaines de survie en plus, avec une bonne qualité de vie c’est-à-dire sans douleur et entourée d’affection.  

Se battre, à mon stade, c’est me forcer à monter les marches de l’escalier tous les matins à 10 heures lorsque je vais rejoindre les bénévoles à leur pause café. Très doucement.

Se battre, c’est aller marcher lorsqu’une amie vient me rendre visite, bras dessus bras dessous.

C’est dire « oui » à une visite lorsque mon premier instinct est de rester cachée au fond de mon lit.  

Se battre, c’est mentalement aussi, ne pas céder au désespoir et à la tristesse. Laisser passer la tristesse et diriger ses pensées sur des points positifs : toute l’affection et l’aide dont je suis entourée, les beaux moments de la vie que j’ai eu la chance de vivre... faire mentalement la liste des choses que j’ai accomplies (malgré les échecs et les toutes les choses que j’aurais voulu accomplir et dont la liste pourrait être infinie et complètement déprimante !)… faire mentalement la liste des gens qui m’aident… me comparer aux personnes qui ont moins de chance que moi et apprécier ce que j’ai et que j’ai eu dans la vie plutôt que céder à l’égoïsme facile (ne plus penser qu’à sa propre tristesse et à ses propres problèmes comme au centre du monde…).  

Tout n’est pas dans la tête bien sûr. Le fait que je sois encore en vie ? C’est la chance d’avoir bien réagit aux chimios, et peut-être ai-je un cancer moins virulent que d’autres ?

Mais en partie, et même si c’est seulement en toute petite partie, je pense que conserver un bon moral et faire quelques efforts physiques, manger, bouger, interagir avec les gens qui nous entourent, etc. tout cela contribue un peu à prolonger la vie.

Alors sus à l’effet nocebo 😊 Il faut tenter d’oublier un peu ( !!!!) que les médecins m’ont dit que je n’ai plus beaucoup de temps à survivre. Ne pas rester sur mon fauteuil sans bouger en attendant la dame à la grande faux… continuer à croire que je peux encore bouger, vivre, sortir.

Mes douleurs et ma fatigue ne sont pas imaginaires, comment les respecter et comment savoir si et quand je les exagère ?

C’est difficile. Il faut essayer et constater qu’on peut encore faire, et il faut aussi vaincre des peurs légitimes. Il faut faire ou refaire confiance en son corps qui pourtant n’arrête pas de me trahir. 

Marcher dehors ? J’ai peur de tomber ; j’ai peur d’attraper un rhum. 

Aller au cinéma ou au concert ? J’ai peur de tomber, de devoir quitter la salle, d’attraper une grippe ou une autre infection à cause du public, j’ai peur d’avoir des crampes dans le ventre en étant mal assise…

Il faut encore faire confiance à son corps malgré les peurs. Se pousser et se forcer un peu.  Mais en douceur aussi, et en respectant ses limites.

Une bénévole me demandait si je me battais. La question m’a étonnée. Non, je ne me bats plus lui ai-je répondu. J’ai dépassé le stade où je cherche de nouveaux traitements et où j’espère entrer dans un essai clinique qui allongerait ma vie…

Et pourtant, si je me bats encore un peu. Je ne me laisse pas enterrer par des mots et des attentes. Je cherche encore à vivre un tout petit peu plus longtemps, et à profiter des moments qui me restent.
Parfois je me dis que si ça se trouve, j’ai encore quelques mois à vivre ! C’est sans doute le moment où l’effet nocebo est celui qui est mort et que j’ai réussi à le terrasser pour quelques minutes !?

Bon courage à tous ceux et celles qui se battent aussi. 😊 La vie est belle 😊  

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Quelques références.
Un article de presse général en français :
L’article renvoit sur cet article plus développé, en anglais : http://www.bbc.com/future/story/20150210-can-you-think-yourself-to-death qui cite une revue de question publiée dans un journal scientifique : https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0091743597902280

Trouvé en cherchant sur Pubmed les articles de revue de question, une revue récente et disponible gratuitement en ligne  (anglais):


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mercredi 5 décembre 2018

Les visites


J’ai tenté de réunir dans ce billet quelques idées sur ce qui me fait plaisir durant les visites et aussi ce qui peut poser problème, après avoir discuté du sujet avec des amies récemment. Quoi dire, quoi faire, quels sujet éviter ? Je partage ici juste mon expérience car il difficile de donner des conseils généraux. Il s'agit surtout d'essayer de comprendre ce que peut ressentir l'autre personne...

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J’ai été comblée d’amour et d’amitié à mon entrée à l’hospice, une vague de gentillesse, compassion, amour inconditionnel qui a amené de nombreuses personnes, la famille, les proches ou juste des connaissances, à venir me rendre visite. Et puis les visites se sont espacées. Avec le temps, la nature des visites a changé, ainsi que le type de personne qui vient me rendre visite.

Ces visites sont une bénédiction car elles me permettent de continuer à me sentir bien vivante. Mais elles ont aussi leurs challenges, pour moi tout comme pour mes ‘visiteurs’.

Que dire, quels sujets éviter ?

J’ai tout perdu avec ce cancer. Presque tout. Alors la colère et la tristesse ont pris le dessus durant les premières semaines de mon arrivée à l’hospice. Désormais, je suis beaucoup plus sereine, mais j’ai été facilement irritée contre beaucoup de situations et contre beaucoup de gens qui pourtant voulaient m’aider.

Imaginez tout ce qu’on perd avec le cancer et l’échéance de la mort qui arrive sans que la médecine puisse l’arrêter. Tout ce qui était matériel est parti petit à petit, c’est la partie visible de l’iceberg. Mon travail et ma carrière, stoppés, je n’ai plus rien à faire. Mon appartement qui sera vidé et vendu après ma mort. Tout ce petit confort que j’avais créé. Tout va partir. Tout est inutile… Ma petite chienne est partie vivre avec mon père et Evelyne… Mes chers livres prennent la poussière et je ne les lirai pas une deuxième fois. Rien ne reviendra, mon futur n’existe plus pour y créer des rêves et projets.

J’ai perdu mon espace vital, mon énergie, mon corps… Par morceaux mon cors est parti, dans les opérations, la ménaupause, les organes gynécologiques, les autres organes… mes intestins ne marchent plus…. Mes jambes ne me portent presque plus… Mon cerveau semble ne plus fonctionner parfois, lorsque je ne trouve plus mes mots ou que je m’effondre de sommeil incapable de suivre une conversation...

J’ai l’impression d’avoir perdu mon fils, qui vit avec son père et vient « me rendre visite ». Il ne peut même plus venir passer quelques jours avec moi, je ne peux plus lui cuisiner un petit truc. Cette semaine, je n’avais pas assez de forces pour l’accompagner faire un peu de shopping de Noël dans son magasin préféré... Il est venu me jouer du piano hier soir, et nous avons des moments privilégiés, bien sûr il est toujours là. Mais je ne suis plus une « vraie » maman, juste un ombre de qui j’étais…

J’ai perdu mon futur. Par exemple je pense souvent avec regret et tristesse que je ne serai jamais grand-mère. J’aurai vraiment adoré être grand-mère et refaire avec des petits-enfants tout ce que j’ai aimé faire avec William, les visites au parc, les visites aux musées des sciences, les dessins et les constructions Légo… Lorsque les gens parlent de leurs petits-enfants autour de moi, c’est un couteau qui s’enfonce dans ma poitrine.

Alors sur quoi discuter, quel sujet aborder qui ne va pas me frustrer… ? Tout peut devenir un sujet de tristesse et de colère pour moi, absolument tout ! 

C’est imprévisible aussi car cela dépend des moments. La narration de vacances ou d’une naissance peut me faire plaisir un jour où je me sens pleine d'amour pour le monde entier... ou me rendre très jalouse en me rappelant tout ce que je n’aurai plus jamais… selon mon humeur du moment.

Ma frustration, ma colère, mon humeur déprimée ou plus sereine, ma joie de vivre, ma compassion envers l’autre, tout cela dépend de progrès fait dans l’acceptation de la maladie, et dépendent aussi de la fatigue et dans une certaine mesure aussi des traitements médicamenteux que je reçois. Le dexamétazone peut entraîner des sentiments de dépression par exemple.

Se sentir écoutée   

La principale qualité de la bonne visite, c’est surtout de se sentir comprise. Même si j’ai envie d’être distraite aussi et de rire, j’ai aussi besoin de savoir que mes amies comprennent mes symptômes et douleurs, et mes angoisses.

Parfois, j’essaie vraiment de faire l’effort de ne pas en parler, pour protéger la personne et avoir des moments normaux, me distraire et rire, sans ennuyer l’amie qui a pris la peine de venir me voir. Je sais que je vais rendre la situation plus difficile en parlant trop de ma maladie et de son évolution.

Mais si je n’en parle pas du tout, je me sens rapidement très seule et incomprise. Les émotions ont été particulièrement fortes lors de mon arrivée à l’hospice, et je ne veux pas retomber dans une routine dans laquelle j’oublierais le cancer. Je reste vigilante. Le cancer grossit, je le sais, et un blocage ou une infection peuvent désormais m’emporter en quelques jours ou quelques heures. Je ne veux pas l’oublier. Je ne veux pas que mes plus proches l’oublient.  

J’en parle donc. Je raconte mon angoisse de voir les vomissements et les douleurs intestinales revenir très bientôt, et mon sens de l’urgence, mon impression que le cancer peut revenir à tout moment malgré le fait que j’ai encore l’air relativement stable et forte (ainsi, tous les jours, je sors marcher dans le quartier !).

Je n’ai plus beaucoup de temps, que chaque heure est très précieuse. J’ai besoin de sentir que mes amies, mes proches, ma famille, comprennent ce sentiment et le partagent avec moi, pour me sentir entourée et en sécurité. Peut-être que j’ai envie de sentir aussi que j’aurai de l’aide et de la présence aussitôt que j’irai mal...

Rester dans l’échange

Mais les amies qui viennent me voir régulièrement parlent aussi d’elles-mêmes et heureusement : je sens que je suis encore une amie, et qu’on me consulte parfois, que je ne suis pas seulement une malade qu’on visite par compassion. On parle beaucoup des enfants, de leurs études, de leurs activités. Elles me parlent aussi parfois de leur travail, de leur propre santé, de leurs parents ou maris avec les problèmes de santé des uns et des autres.

Problèmes de concentration et mémorisation

Certains sujets me fatiguent, mais il est difficile de prédire lesquels. Je peux juste montrer que je suis fatiguée lorsqu’un sujet m’épuise, m’excuser en disant que je suis très fatiguée... Certains captent mes limites, voient que je fatigue ou que je décroche. D’autres ne voient rien du tout, et il faut alors dire explicitement que je fatigue et que j’ai « mon coup de barre ».

Lorsque l’on fatigue, les fonctions exécutives du cerveau dont les premières à être affectées. Elles ont aussi été affectées par les chimios (voir une explication détaillée des troubles cognitifs liés au cancer sur https://www.ordrepsy.qc.ca/-/exclusivite-web-troubles-cognitifs-et-cancer) sans parle de tous les bouleversements émotionnels par lesquels nous sommes passées depuis l’annonce du cancer.  

Les fonctions cognitives les plus touchées sont celles qui dirigent différentes sortes d’attention et de mémorisation de l’information. Prêter attention à ce qui est dit ou vu de manière soutenue, sélectionner l’information et arriver à se concentrer sur une chose, stocker en mémoire ce qui vient d’être dit. Retrouver ses mots est également une fonction facilement affectée par la fatigue cognitive.

Ainsi, j’ai beaucoup moins de concentration et de mémoire qu’autrefois, donc il n’est difficile de suivre et de retenir les détails de ce qu’on me dit. D’une visite sur l’autre, j’oublie facilement ce qu’on m’a dit, mais lorsqu’on me rappelle et répète, les souvenirs de la discussion reviennent. Il faut donc simplifier, et ne pas hésiter à répéter.

Il veut mieux éviter les visites de plusieurs personnes et préférer les visites d’une ou deux personnes à la fois seulement, car il est difficile de suivre plusieurs conversations à la fois.

Pour ma part, je dois aussi faire face au défi de la langue étrangère. Les conversations en néerlandais et en anglais me sont devenues plus difficiles à suivre que par le passé.

Régularité

Les visites les plus agréables pour moi sont les visites régulières, et mes amies partagent cet avis. Plus on remet à plus tard une visite, plus on craint de me voir dans un état dégradé, et plus on se sent coupable de ne pas être venue, me disent-elle.

Pour ma part, je crains les visites des gens que je n’ai pas vus depuis longtemps, car je dois (ou je sens que je dois) parler alors de l’histoire de ma maladie et de son évolution, expliquer où j’en suis. Les visites régulières portent toujours sur des sujets plus courants, la vie courante, les petites nouvelles, ou parfois sur l’actualité du moment. Les sujets sont moins lourds.

Les visites régulières peuvent cependant aussi entraîner le problème d’être trop ordinaire et « faire comme si tout était normal ». Or la situation n’est pas stable et normale de mon point de vue. Tous les jours, je pense que j’ai gagné une journée, un cadeau ajouté à ma vie. Mais tous les jours aussi, je vis comme si la maladie pouvait refrapper à tout moment. Je vis comme si j’allais survivre encore une semaine. Pas trois mois. Et parfois je sens un décalage avec mes proches qui me voient survivre depuis plusieurs mois et ne peuvent pas être continuellement sur le pied de guerre.  

Parler de la mort ?

Pour ma part, la mort n’a jamais été un sujet tabou, mais parfois j’évite le sujet soigneusement. Alors faut-il en parler ? Oui. Quand et comment ? C’est bien le problème.

Parfois je n’en parle pas, pour protéger mes proches. Je ne veux pas en parler au moment où tout semble tranquille, où mon état semble stable, et que nous avons des conversations ou moments « normaux » et agréables. Mais le cancer n’est jamais stable, et mon état peut se détériorer à tout moment. La stabilité apparente du moment est illusoire.

Est-ce que mes proches ont envie d’en parler et n’osent pas aborder un sujet lourd ? Moi-même je ne sais pas toujours à quel moment initier une conversation sur ce que je souhaite après ma mort par exemple. Il faut m’aider, amener le sujet.

J’aime bien parler aussi des croyances après la mort. Avec certaines personnes, et surtout avec les bénévoles qui travaillent ici, j’aime aborder le thème des croyances sur l’au-delà. Je n’ai aucune croyance personnellement, mais j’aime écouter les leurs. L’énergie qui resterait. Les esprits ou l’âme qui resterait. Les signes. Les anges gardiens…

On peut même en rire… Mais il faut oser aborder le sujet tout d’abord, et même si certaines idées me font rire, il reste que nous ne sommes pas égaux devant la mort… Ainsi, s'il y a une chose que je déteste, c'est les gens qui me disent qu'elles pensent aussi à la mort car elles savent aussi qu'elles peuvent mourir à tout instant. Non, ce n'est pas la même chose du tout ! Savoir qu'un jour on va mourir, ce n'est pas du tout la même chose qu'avoir entendu son oncologue vous dire qu'il n'y a plus rien à faire et qu'on n'a moins d'un an à vivre. Je réagis très mal à cette remarque du "je peux aussi mourir demain" (oui moi aussi je peux être renversée par un bus demain, mais dans trois mois je ne serai plus là et vous si, je dois mettre les points sur les i?).   

Pardonner, se souvenir, partager ses vraies émotions…  

Parfois, souvent même, j’ai envie d’une conversation intime, et non d’une conversation de tous les jours sur des sujets bateau.

A-t-on des regrets ? Sommes-nous désolés de quelque chose ? Doit-on pardonner quelque chose ? S’est-on bien compris ? A-t-on un (dernier ?) conseil ? Que souhaite-t-on pour l’autre ? Quels ont été nos meilleurs moments ensemble dans notre vie ?... 

Tous ces thèmes sont si importants, et parfois j’aimerais que toutes mes conversations soient pleines de ces sujets importants, « profonds ». Surtout, surtout avec les gens de ma famille, mes hommes, mon père, mes frères et sœur, mon fils, mes neveux et mes nièces encore si jeunes… Plus on est proche, plus c’est difficile. Tellement chargé d’émotions.

Il faut oser, il faut trouver les mots, même si c’est difficile et qu’on se met à pleurer. 

Là il faut m’aider. Je ne peux pas toujours être celle qui va initier les conversations difficiles parce que souvent, je veux aussi protéger. Je me dis, moi aussi, que ce n’est pas le moment et qu’on en parlera plus tard... Mais le plus tard pourrait ne pas arriver, il pourrait être trop tard.

Pleurer, s’embrasser

« Peux-tu me prendre dans tes bras ? » Je n’ose jamais le dire. J’ai envie de pleurer avec, de prendre dans mes bras ou d’être prise dans les bras et embrassée et réconfortée physiquement. Et je ne sais pas forcément comment l’initier.

Je n’ai pas de truc et astuce sur le sujet. On n'est pas très démonstratifs dans ma famille. 

Mais quand j’ai eu le courage de demander ce dont j’avais besoin, je ne l’ai jamais regretté et je me souviens avec délice des moments où j’ai pleuré sur l’épaule d’une personne ou en lui tenant longuement ses mains. Ce ne sont pas du tout de mauvais souvenirs.

Activités 

Je ne sais pas si c’est intéressant, mais j’ai pensé ici mettre aussi une petite liste des activités qui m’ont aidée, et je termine donc ce billet par cette liste d’idées.

Parce que je suis encore en bonne condition physique, mes amies peuvent m’emmener en voiture faire une petite course au supermarché ou au magasin d’art, passer à l’appartement reprendre un CD ou un vêtement, prendre un thé en ville, aller voir un film au cinéma ou au concert. J’adore sortir et faire quelque chose de « normal », oublier l’hospice une heure ou deux.

Lorsque j’ai traversé des moments de grande fatigue, alitée et sous morphine, je ne pouvais plus sortir bien sûr, mais je ne pouvais même plus parler non plus. Je m’essoufflais et vomissais même à force de fatiguer à tenter de parler. Dans ces moments, j’ai beaucoup apprécié qu’on me fasse de la lecture. 

Mon amie Sophie a apporté des livres de poésie pour enfants. La lecture de poèmes d’enfance m’a fait énormément de bien. Les Prévert, les Victor Hugo, Rimbault, Verlaine… Je retrouvais certaines rimes apprises et oubliées…

Certains poèmes m’ont rappelé les chansons françaises apprises à l’école primaire, Ferrat, Duteil... Tant de vieux souvenirs ont refait surface ! On a fredonné ensemble « Que la montagne est belle », « Le petit pont de bois » …

Laurence est venue me lire un vieux livre d’aventures, « Le monde perdu », de Doyle, trouvé un peu au hasard parmi les livres classiques gratuits que j’avais téléchargés sur Kindle (de nombreux livres qui ont perdu leurs droits d’auteurs y sont en accès gratuit ou quasi gratuit). Parfois nous commentions les personnages et l’histoire en riant. Nous n’avons jamais terminé le livre mais ça ne fait rien. Quand je serai à nouveau très malade et alitée, peut-être qu’on le reprendra…

Lorsque je suis alitée et très fatiguée, la musique me fait beaucoup de bien. Youtube a un bon choix de musiques classiques ou de musiques douces. Les musiques de harpe, de flûte traversière, de guitare acoustique, sont très relaxantes. Mais il s’agit de les trouver et je ne suis pas spécialiste, donc l’aide des amies est bienvenue. Sophie est la grande spécialiste de musique classique et me donne des noms de compositeurs et d’artistes pour me donner des liens et pistes vers des vidéos.

Mon fils William, Edward, l’un de ses amis, et ma nièce Juliette, sont venus jouer du piano. Rien de plus merveilleux que ces moments, ces mini concerts rien que pour moi.


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Merci de me lire. Je vous souhaite beaucoup de courage et beaucoup, beaucoup d’amour dans votre lutte contre le cancer…
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