vendredi 28 décembre 2018

Livre de Paul Broks, l’odissée d’un neuropsychologue dans les labyrinthes du deuil


Le neuropsychologue anglais Paul Broks a publié cette année l’ouvrage « The Darker the Night, the Brighter the Stars, a Neuropsychologist Odyssey”. Il n’est pas encore traduit en français et j’espère qu’il le sera car le contenu du livre est très intéressant et le style d’écriture vraiment original.

Paul Broks est connu pour son livre précédent «L’hippocampe et l’amande, récits d’un neuropsychologue » qui décrit des cas cliniques de patients soufrant de troubles neurologiques et illustre le fonctionnement surprenant de notre cerveau en relation avec nos idées, émotions, conscience, esprit.

Dans ce nouvel ouvrage, Paul Broks partage ses réflexions sur son deuil récent et sur la mort. Il a perdu sa femme après sept années de lutte contre un cancer des intestins. Il nous conduit dans les méandres de ses réflexions, rêves, émotions, rencontres qui évoquent des questions sur le thème de la mort.

Il se réfère tantôt, et le plus souvent, à la neuropsychologie en présentant des cas cliniques qui illustrent les complexités de la mémoire et de la conscience. Des patients souffrant de troubles d’amnésie rares, de paralysie du sommeil, ou encore d’illusions de mort sont quelques-uns des exemples présentés et qui nous font réfléchir aux complexités du fonctionnement de notre esprit. 

Ces cas cliniques remettent en question nos intuitions sur ce que nous pensons stable : notre mémoire, notre histoire personnelle, notre moi, notre conscience. Ainsi, directement ou indirectement, sont abordées des réflexions sur nos illusions, pensées magiques ou rationnelles, nos perceptions et leurs distorsions, nos croyances. Le point d'ancrage est le deuil et la mort mais les questions généralement vont plus loin ; l'auteur s'interroge sur des questions comme la raison de vivre, les illusions, le besoin de croire et les rapports entre croyance et pensée rationnelle, ou encore la mémoire (des disparus) et ses failles. 

L’ouvrage est également riche de références à la mythologie et aux philosophes, parmi lesquels les stoïques que l’auteur apprécie particulièrement. Ces références amènent à une réflexion plus large sur la perte, sur les changements liés au passage du temps, ou encore sur la différence parfois ténue entre réalité et mythe ou rêve. 

L’évocation des mythes et des philosophes est particulièrement originale. Elle permet de placer dans un contexte général et humain les questions qui sinon seraient abordées d’un point de vue purement scientifiques et spécifique. Ces références m’ont un peu désarçonnées dans ma lecture au début du livre. On retrouve ces références mythologiques et philosophiques dans des ouvrages de psychanalyse, une approche dont je me suis éloignée depuis longtemps pour me consacrer uniquement à la psychologie expérimentale dans ma carrière. Les analogies ne sont pas un mode de raisonnement que je privilégie, or elles sont très utilisées ici. Cependant, ce livre m’a réconciliée avec cette approche mixte, où les problématiques soulevées par les personnages de Homère, par les philosophes grecs classiques, ou encore par les psychanalystes Jung et Freud, sont replacées dans leur contexte culturel et historiques. Elles permettent de poser des questions universelles. 

Ainsi la question de la nature de la conscience est une question très ancienne : est-elle un tout? Sommes nous un tout, une personne avec une histoire, un passé et un avenir ? Ou sommes-nous seulement la somme de petits moments présents, une personne qui n'existe qu'à certains courts moments dans le temps ? Cette question primordiale est posée chez les philosophes grecs, retrouve dans les approches religieuses (chrétiens versus bouddhistes), est posée de nouveau par les philosophes humanistes, et continue à être abordée récemment par des spécialistes en neurosciences. La mise en contexte historique de cette question est donc vraiment intéressante.  

L’ouvrage se compose de petits chapitres, pas forcément liés les uns aux autres (un peu comme un blog ;-). Il faut donc s’y promener en méandrant, picorer ici et là les idées originales de l’auteur et ses riches de références philosophiques et scientifiques. Certains passages sont un peu déconcertants et inattendus, et je me suis demandé ici et là pourquoi l'auteur parlait de telle et telle expérience personnelle... mais la plupart des chapitres sont fascinants et intéressants, qui vont font réfléchir de longues heures après leur lecture.

Au final je recommande absolument la lecture de ce livre (mais en anglais pour le moment), même si la lecture en est parfois un peu ardue. C’est un voyage au cœur de questions difficiles et non résolues. Est-on ressorti du labyrinthe lorsque l’on referme le livre ? Pas vraiment, mais on est beaucoup plus éduqué et… conscient. 

Référence :
Paul Broks (2018). The Darker the Night, the Brighter the stars. A Neuropsychologist’s Odyssey. Allen Lane, UK.

Aucun commentaire: