jeudi 28 mai 2015

Essai clinique? La décision


C’est une décision importante et une question ouverte à laquelle il faut répondre alors même que le diagnostic de récurrence vient de tomber. Bien sûr, j’ai quelques jours pour réfléchir. Vais-je participer à l’essai clinique qui est ouvert dans notre pays et pour lequel je remplis la plupart des critères ? L’essai propose de tester si la chirurgie de debulking lors d’une récurrence peut permettre de faire gagner un peu d’espérance de vie aux patientes, sans trop altérer leur qualité de vie. Je peux choisir de ne pas entrer dans l’essai, et reprendre la chimiothérapie seule (carboplatine, taxol et Avastin). Ou bien je peux aussi joindre l’essai dont une branche comporte de la chirurgie: opération de debulking pratiquée avant de recevoir la chimiothérapie. L'autre branche de l'essai clinique serait le traitement classique, sans chirurgie et avec le cocktail de chimiothérapies. Donc. Essai clinique ou non ? Chirurgie ou non ? Comment prendre une telle décision ?

J’aurais du mieux écouter mon oncologue, mais aussi le décoder. Me voyant enthousiaste à l’idée d’un protocole, il n’a pas dit que c’était une mauvaise idée. Il n’a pas été en faveur non plus. Il m’énumérait les pour et les contre. Je ne savais plus. J'aurais aimé qu'il soit moins neutre. Je trouve cette décision extrêmement difficile à prendre.

Au départ, complètement va-t-en-guerre, à 100% en faveur pour essayer tout ce qui pouvait améliorer mon espérance de vie, j’ai demandé à mon oncologue si je pouvais avoir une chirurgie. J'étais prête à le supplier. Mais durant notre entretien, j’ai commencé à douter. Un essai clinique avec un groupe contrôle tiré au sort signifie que les chercheurs ne savent pas encore si le nouveau traitement marche vraiment mieux, sinon, il ne serait plus à l’essai, me rappelle-t-il. Le groupe contrôle, de mon point de vue, n’est pas intéressant, ajoutera uniquement des examens dans un hôpital universitaire; cela alourdira mon suivi tandis que je serai fatiguée par la chimio. Le groupe expérimental présente l'option attrayante d'une intervention chirurgicale qui m'enlèrerait les tumeurs naissantes dans mon abdomen... mais l'intervention est extrèmement lourde. Le jeu en vaut-il la chandelle ? Une chirurgie lourde va m’invalider pendant plusieurs semaines, voir quelques mois, d’autant qu’il pourrait y avoir des séquelles telles qu’un muscle abdominal abîmé qui pourrait rendre la marche difficile et douloureuse pendant longtemps. Combien de temps cette chirurgie m’offrira-t-elle, comparé à l’absence de chirurgie (la chimio seule) ? Personne ne le sait.
 
Puisque j’ai bien réagi à la chimio la première fois, je devrais à nouveau bien réagir et le traitement chimiothérapeutique pourrait suffir pour tenir le cancer à distance pendant encore quelques années. Or, le protocole expérimental qui est publié sur internet présente des chiffres qui font frissonner. Pour calculer le nombre de patients nécessaires pour détecter les effets, les chercheurs font l’hypothèse que la chirurgie pourrait ajouter cinq mois de survie en plus. Cinq mois en plus – mais combien de mois à souffrir des séquelles ? Ajouter à cela les risques inhérents à cette chirurgie très lourde. Et le fait que la famille et les proches vont morfler de me voir souffrir, vont devoir aider un maximum… Mmm. Scrrscr... [grattage de tête]

L’argument final qui fait pencher la balance en défaveur de cet essai : si on ouvre à nouveau mon ventre, ce sera à nouveau sur la même cicatrice. Les tissus seront de plus en plus difficiles à cicatriser. Est-ce que cela ne diminue pas mes chances d’avoir d’autres chirurgies dans le futur ?
Ma décision est prise : je ne m’inscrit pas à cet essai clinique. Je vais suivre un protocole normal. Je garde mon ventre intègre pour les jours où je deviendrai résistante à la chimio et où on me proposera un essai clinique plus nouveau _ par exemple, la chimio intra-péritonéale qui est à l’essai dans d’autres pays, ou d'autres techniques ou traitements qui n'existent peut-être même pas encore.

Une fois la décision prise et annoncée à mon équipe, l'équipe met en route ma prise en charge très rapidement. Hier, ai passé presque 6 heures à l'hôpital - oncologue, infirmière, pharmacie, prise de sang, et enfin rendez-vous chez la coiffeuse de l'hôpital qui va me faire une perruque. Je n'en voulais pas la première fois, mais la situation a bien changé. J'aimerais pouvoir sortir discrètement, sans forcément que les personnes sachent que je suis sous traitement. Beaucoup de choses ont changé depuis le premier diagnostic, en 2011. Je suis plus calme, j'ai envie de profiter de ma petite vie tranquille et ne pas voir les visages attristés et peinés à la vue de ma casquette qui couvrira mal mon crâne chauve. Je ne veux pas qu'on me rappelle à chaque sortie que je suis malade. Avant, je ne voulais rien cacher: voyez Messieurs-dame, je me bats contre le cancer. Maintenant je suis une malade chronique. C'est bien différent. J'ai besoin de plus d'intimité.
 
Voici des nouvelles de ma situation médicale pour le moment. J’attends une opération mineure pour placer un cathéter -  finies les douleurs pour trouver mes veines pour les infusions de chimio. Ouf !
Une fois la date de cette opération connue, on enchaînera tout de suite avec la chimiothérapie : Carboplatine, Taxol et Avastin. Ce sera la semaine prochaine mais je n'ai pas encore les dates précises.

En tout, j’aurai trois cycles chimio de 3 semaines, un bilan intermédiaire, puis probablement à nouveau trois cycles de 3 semaines. Ca nous mène à mi-octobre ou fin-octobre.

L’Avastin continuera ensuite pendant un an. Je serai ensuite suivie régulièrement par bilans sanguins et CT-scans.
 
Et le spectacle continue, zimbadaboumdoumdoum... :-) Bon. Vraiment? Non. Je commence à me sentir déprimée pour tout vous dire. Mais je vais me battre, tranquillement, en marchant 5km par jour tant que je le peux, en mangeant bien, en rigolant, et en aimant la vie et en la croquant à pleine dents, même les jours de pluie. :-)
 
Gros bisous à tous qui me soutenez tellement en ce moment! MERCI!!!
 
-=-=-=-

dimanche 24 mai 2015

L’annonce aux proches


 

Que c’est difficile d’annoncer à ses proches que la maladie est de retour. C’est tout aussi difficile que l’annoncer la première fois. Pour ma part, le cancer n’a jamais quitté mes pensées puisque la récurrence du cancer de l’ovaire est extrêmement fréquente. En fait, l’annonce du retour des masses de cellules folles m’a moins choquée que l’annonce du diagnostic initial.

Pourtant, mes amies et proches l’ont peut-être sous-estimée, et l’annonce d’une rechute est forcément plus grave. Les amies et collègues proches se mettent à pleurer. La famille est loin, et je n’ai pas assisté à leurs pleurs, ce dont je suis heureuse. Voir les personnes pleurer est très difficile. Tout mon courage me quitte alors et j’ai envie de me mettre à pleurer moi aussi. Leurs pleurs et leur compassion rendent la maladie encore plus présente, encore plus vraie, encore plus grave.

Or pour le moment, je ne veux pas pleurer. Je vais bien, je n’ai aucun symptôme, juste une légère gêne en bas du ventre. Je veux profiter des belles journées de printemps et de ma bonne santé avant que les automnes arrivent ! Je tente par tous les moyens de continuer à vivre les bons moments le mieux possible, et ne pas trop penser à moi-même. Les moments de deuil, la tristesse, et surtout les douleurs vont arriver, je le sais. Mais pas maintenant. Je profite. Je n’ai pas envie de donner à la Dame à la grande Faux la joie de me voir attristée. Quelque chose me pousse à ne pas pleurer. Fuck you, cancer, je continue à bien vivre. Ma colère me pousse à profiter des bons moments en snobant la maladie tant que je peux encore me le permettre.

Pour rendre ce passage moins difficile, j’ai demandé aux proches de se charger de l’annoncer. Mon chef l’annoncera la semaine prochaine en réunion d’équipe – où je ne serai pas présente.

Mon amie et collègue Ans l’annonce aux anciens collègues qui ne font pas directement partie de mon équipe. Elle me racontait hier soir: « Je peux annoncer à deux ou trois personnes par jour, mais je ne peux pas plus, c’est trop dur. Je continuerai la semaine prochaine. »

Oui, l’annonce est un vrai job. Et en bon manager de ma maladie, cette tâche là est une de celle qu’il vaut mieux déléguer si on le peut.

jeudi 21 mai 2015

Récurrence confirmée


Chers proches, famille amis, voici où nous en sommes. Pour le moment, une chose est certaine, les cellules cancéreuses sont de retour. Le traitement envisagé est la même chimiothérapie que la première fois (taxol, carboplatine), avec en plus Avastin qui est désormais intégré aux protocoles (je l'avais recu à titre expérimental en 2012).

La question est de savoir si je suis opérable, et si une opération est souhaitable. Si les deux conditions sont réunies, je pourrai considérer participer à un essai clinique. Les spécialistes de l’hôpital Erasmus ont recu mon dossier et doivent se consulter. On me recevra le lundi 1r Juin pour m’expliquer la situation et les détails du protocole. Participer à un essai clinique ou non? Cela me semble être une décision très importante, trop importante même, et pour le moment, je n’ai aucune idée de la décision à prendre. Hier matin, j’étais à 100% en faveur d’une opération... puis après la discussion avec le spécialiste, où il présentait un tableau nuancé avec beaucou d'inconnu, discutant longuement les avantages et les risques, je ne savais plus où j'en étais. Fort heureusement, il a trouvé les mots rassurants, et m'a indiqué comment procéder: d'abord savoir si je remplissais les critères, puis continuer de me renseigner et prendre plusieurs jours pour y réfléchir. Surtout ne jamais prendre une décision rapide face au cancer. 

Florence s’est bien occupée de moi et m’a bichonnée tout l’après-midi, avec beaucoup de conversations qui m’ont fait beaucoup de bien, de la marche dans les magasins de fringue (sans acheter, juste repérage! ;-) et un bon petit resto minuscule que je ne connaissais pas et que j’ai adoré.

Merci beaucoup de votre soutien, vous tous les amies et amis qui me lisez! J’ai passé la fin d’après-midi et la soirée entière au téléphone ou sur skype hier soir, et je ne peux pas répondre à tout le monde. J’étais épuisée d’avoir tant parlé et je suis allée me coucher de bonne heure.
 
Levée tôt ce matin, anxieuse mais heureuse de voir une belle journée commencer. J'irai marcher, comme je me le suis promis: je marche en ce moment 5 km par jour, une heure, dans le parc voisin. Je m'y ressource. La vie continue, belle, simple, tendre, remplie de beaux moments, et je fais un effort pour ouvrir les yeux et la regarder, et me décentrer de mes propres angoisses pour mieux profiter de chaque moment.
 

vendredi 15 mai 2015

Très, très, mais alors très probablement


A nouveau levée très tôt. Anxieuse. Mercredi, Véronique m’a accompagnée au rendez-vous à l’hôpital. En l’attendant, je suis allée essayer des perruques au coiffeur de l’hôpital et j’ai discuté des styles et des prix. J’étais calme.

Tout est allé très vite ce jour-là. C’est drôle comme la vie bascule en quelques heures. Le Dr H. a été super comme d’habitude, m’accueillant avec un chaleureux sourire puis en prenant une grande inspiration avant de m’annoncer que mes craintes étaient justifiées : C’est très très, mais alors très probablement, une récurrence.
 
Il nous explique les détails, me demande si je veux voir les résultats du scan. Il sait bien que je vais dire oui. Il me montre plusieurs nodules. Je reste calme et dit que je m’y attendais. Après quelques minutes, il me prends les mains et alors que je continue de rester stoïque, il me dit quelque chose, je ne sais plus quoi, pour montrer sa compassion. Je me mets à pleurer et il garde ses mains dans les miennes tandis que Véronique m’entoure de ses bras.

À travers mes larmes, je lui ai dit que ce qui est important pour moi c’est mon fils. Je voudrais au moins le voir passer son baccalauréat (savoir surtout qu’il peut quitter la maison et aller vivre avec des copains vers son université comme il en parle parfois avec plaisir). Je veux cinq ans et demie, lui dis-je. Il sourit chaleureusement et me dit que c’est bien d’avoir un objectif, et que ce n’est pas impossible car j’ai bien répondu au premier traitement.

Alors nous parlons technique : les options. Pour le moment, il faut que je fasse une biopsie, et il m’a réservé une place l’après-midi même pour l’examen. Nous discutons de l’option chirurgie ou chimio seule. L’option chirurgie se ferait uniquement dans un cadre d’essai clinique… Etc. Je commence à ne plus pouvoir tout écouter. Je commence à faire mes plans, mais combien d’années me reste-t-il ?

Nous sortons ensuite pour aller dans un autre département pour la biopsie. Véronique doit alors me quitter, mais je ne m’ennuie pas en restant seule. Je commence à écrire des emails. La salle est pleine d’autres patients. Les infirmières s’occupent bien de moi et l’une d’elles reste une minute pour me parler. La procédure de biopsie est simple, pas douloureuse du tout - juste une anesthésie locale, une aiguille très fine que je ne sens pas, une incision de moins d'un centimètre, et deux 'clicks' qui font plus de peur que de mal.
 
Dans le couloir où on doit venir me rechercher alors que j'attends dans le lit, je me mets à pleurer à nouveau... Mais une fois rentrée dans la chambre en attendant la cicatrisation, je suis heureuse à nouveau. Je veux profiter de la vie. Je ne vais pas me gâcher la vie en commençant à m’apitoyer ou à me regarder moi-même comme une malade et en commençant à penser et agir comme une grande malade. Je veux que la vie soit aussi normale que possible, et qu’il reste beaucoup de beaux moments, de l’affection, la beauté des petites choses… Je n’y pense pas vraiment comme ca, mais je le ressens. Je regarde les nuages de ma fenêtre et je les trouve beaux ; je trouve beaucoup de choses belles autour de moi. Tout est plus beau. Je suis triste et anxieuse, mais je suis plus prête que la dernière fois. Je connais cette chimiothérapie, et si je n’ai pas d’opération alors je ne serai pas invalide pendant plusieurs semaines.

Je mange le repas de l’hôpital et j’attends qu’on me donne le feu vert pour ma sortie. J’écris à mon chef, qui me rappelle rapidement pour me dire qu’il fera tout pour m’aider. Il est chouette. Ca va aider d’avoir un chef qui est un homme très humain. Le travail va me distraire et surtout me permettre de pas rester seule à la maison pendant de longues journées. Je pense essayer de continuer à travailler… les plans commencent à se former de plus en plus précisément sur ce que je voudrais faire pendant les mois de chimio qui vont arriver. Mi-temps thérapeutique. Si je peux.   

Il fait très beau et je décide de rentrer à la maison à pied, sans taxi. Le soir, William rentre de l’école. Heureusement le lendemain sera férié, ca nous laisse du temps pour parler et être ensemble. Je décide donc de lui annoncer la récurrence dès ce soir. Je veux aller dehors marcher, au Vroesenpark, car je ne veux pas lui annoncer à la maison. Nous avons une longue conversation au cours de laquelle William me pose beaucoup de questions sur le cancer et sur la récurrence. J’insiste sur le fait que la vie continue, malgré la maladie. La vie n’est jamais parfaite, et il ne faudra pas attendre après le cancer pour profiter d’être ensemble et de faire de belles choses. La vie est maintenant.

Le soir, nous regardons des films, puis pendant que William regarde South Park, je prends mon ordinateur sur mes genoux et m’assois à ses côtés pour regarder les modèles et les prix pour une banquette-lit. Puisque je vais être fatiguée, ce dont j’aurai le plus besoin, c’est d’une banquette supplémentaire dans la salle à manger. Ca avait bien manqué la dernière fois, les invités étaient sur mes chaises de bistrot en bois pendant que moi j’étais allongée et je prenais toute la banquette. Allez je vais m’acheter une belle grande banquette-lit.  

Le lendemain, la journée est à nouveau très belle. Je me prends en mains et je commence mon grand programme de mise en forme, pour garder la forme durant la maladie. Je vais faire une grande ballade à pieds vers 7.30. Je prends quelques photos avec mon portable. J’ai marché 5 kilomètres ! Je veux marcher chaque jour au moins une heure, et faire 15 minutes de yoga pour ne pas trop perdre mes muscles et ma flexibilité. De toutes les méthodes qui sont censées retarder la progression du cancer, je pense que le sport est de loin ce qui marche le mieux. Car l’important est que les endroits du corps qui marchent encore bien continuent de marcher le plus longtemps possible!

Je suis heureuse. Je n’ai pas encore mal. Je vais même très bien pour le moment. J’aime ma vie. J’aime mon appartement, notre ville, mes amies et ma famille bien sûr, ma vie en général, mes petits clubs d’écriture et mes petites activités pour l’association Olijf… Tout quoi. Je suis heureuse de ma vie !

Le cancer semble une abstraction pour le moment. Je réfléchis à ce que je veux vraiment faire. Je risque de ne pas avoir cinq ans et demie devant moi, même si c’est mon objectif officiel. S’il ne me reste qu’une année par exemple, alors qu’est-ce que je veux faire ? Faire mes albums photo en retard bien sûr. C’est à peu près tout. Pour le reste, juste être avec William et avec mes proches, aider en faisant du volontariat pour le cancer tant qu’il me reste des forces – aller au travail pour me distraire et éviter de passer trop de temps à la maison, rester dans une vie normale mais adaptée, tant que je le pourrai. Mes plans commencent à s’organiser, mais ils sont beaucoup plus modestes et flexible qu’autrefois, avant la maladie. On verra.

L après midi, pendant que William joue au foot avec des copains, Florence et moi allons dans le parc – j’ai prévu la thermos de thé vert parfum rose et litchi, et les noix aux raisins ; elle attrape une nappe pour que nous puissions nous asseoir par terre. Nous discutons de la situation, et puis sans nous apitoyer, nous discutons aussi d’autres choses. Je n’ai pas envie de trop parler de ma situation, je risque de pleurer, et je veux juste profiter de tout. Je suis en colère contre cette maladie, et je ne vais pas lui donner mon précieux temps. Je sais que les larmes viendront plus tard. Pour le moment, profiter. Je peux m’asseoir au soleil, ce petit plaisir me sera retiré lorsque je serai en chimio ou opérée.

La soirée est tranquille et sympa. On commande des sushis, et nous regardons ensemble un film comique. J’ai écrit des emails. Petit à petit, les plus proches sont mis au courant. Il reste encore plusieurs personnes à informer mais je ne veux pas passer mes soirées au téléphone ou sur email, et je préfère remettre au lendemain et passer du temps près de William. Une chose à la fois. Il reste le week-end entier pour terminer mes emails.

Vendredi soir : Le shopping a été un grand succès. Je vais taper dans mes économies. Nous avons trouvé une belle grande banquette-lit en L. Livraison dans 10 semaines. On fêtera ca dignement en invitant les copains et copines J Le week-end s’annonce radieux.

mercredi 13 mai 2015

The Big One

13 Mai 2015.

J’ai bien profité. J’ai complètement récupéré de mes traitements et je vais bientôt fêter les quatre années de rémission: trois ans, neuf mois exactement après la date du diagnostic. Quatre ans exactement depuis mes premiers symptômes.

Il est 4.00 du matin. Je n’arrive pas à dormir. Dans quelques heures je vais avoir les résultats de mon scan et de mes bilans sanguin. Le fameux marqueur CA125. J’ai senti un nodule dans le bas de mon ventre depuis plusieurs jours. J’ai appelé Joyce avant-hier, lundi matin. Joyce a réussi l'exploit de me faire avoir un rendez-vous l’après-midi même.
 
Mon ventre a un peu gonflé: j’ai décidé la semaine dernière d’entamer un grand régime. Comme en Mai 2011! Le premier symptôme a été de penser que je devrais perdre du poids car mon ventre gonflé était inconfortable. Comme en Mai 2011, je sens une grosseur dure dans le bas de mon ventre, qui ne part pas avec la digestion.
 
Pourvu que je survive encore 5 ans et demie. Dans 5 ans et demie, William aura son baccalauréat. Je ne veux pas mourir avant. Je vais faire tout ce que je peux pour tenir jusqu’à là.

Mon gynécologue n’a pas changé. Il est chaleureux et nous plaisantons. Joyce assiste à l’examen, comme d’habitude. Elle va bientôt partir en congés maternité. Dr H. pratique une écographie.
 
Bingo, il voit aussitôt une grosseur suspecte. Après m’avoir rassurée en disant qu’on ne savait pas encore ce que c’était, il m’envoie illico faire le bilan sanguin et un CT-scan. Je retrouve les couloirs et les procédures familières.

Je suis restée assise pendant une heure dans la salle d’attente en attendant l’examen du scanner, calme, et pensant: “c’est le Big One. Je me doutais que ca risquait de revenir. Nous y voici. C’est mon Big One.” J’ai envie de m’amuser. Je n’ai pas envie de vivre en attendant la mort. Je vais m’amuser, quel que soit le temps qu’il me reste. Je vais m’amuser, et bien m’occuper de William, passer le plus de temps possible avec lui. Pas question de déprimer et de se regarder le nombril en gémissant. Je me répétais: je vais m’amuser. Je vais vivre normalement. J’irai m’acheter une perruque cette fois-ci. Je ne veux pas qu’on me traite comme une malade. Je veux vivre le plus normalement possible jusqu’à la fin. Est-ce que je veux continuer à travailler ? Plutôt faire du volontariat et écrire. Vivre comme si j’étais en retraite, en profiter. C’est ma retraite, voilà. Je vais me dire que je suis en retraite anticipée et en profiter. M’a-mu-ser.

 

Je suis allée au travail normalement le lendemain. La journée m’a paru très longue. Je me suis confiée à Ans qui s’est libéré aussitôt pour prendre son déjeuner avec moi. Nous avons bien ri : elle m’a raconté en détail une émission dans laquelle un journaliste atteint de cancer de la prostate faisait tous les essais possibles des trucs anti-cancer et filmait ses tentatives avec humour.

J’ai quitté le travail une heure plus tôt. Impossible de me concentrer. J’ai pris ce que je pouvais emporter: mon portable, un livre entamé, mes chaussures de rechange (j’en garde toujours une paire dans le placard en cas d’ampoules), ma tasse souvenir d’Écosse. Chargée de deux sacs, je suis rentrée en train puis en métro. Je suis ressortie faire des courses. J’ai acheté un gros bidon de lessive en plus – il faut que j’achète les grosses choses avant d’être opérée. Si je suis opérable. Le vent soufflait très fort, et je me suis dit : voilà c’est bon pour moi, c’est comme ca que je vais vivre maintenant, je vais faire des efforts et garder tous mes muscles. Je ne vais pas baisser les bras, je vais rester en super forme jusqu’au bout.


William est rentré et je lui ai parlé deux fois de ma visite à l’hôpital et deux fois il a changé de sujet pour me raconter une blague. Il me rappelle un de mes frangins. Ces bonhommes. Je tente de lui demander s’il a des souvenirs de ma maladie… il réponds mais change rapidement de sujet. Il n’a que 13 ans. Il vient de perdre sa grand-mère adorée il y a moins d’un mois. Evidemment, il a son père, mais une maman ce n’est pas pareil… Pourvu que je tienne…

Dans quelques heures, à 10.15, nous irons entendre les résultats et les premières indications. Je ne pense pas qu’on va m’apprendre que ce n’est rien. Je suis sûre que c’est le Big One. Je n’ai jamais eu une telle certitude durant ces dernières années. Je suis prête. Je fais des plans – je dois acheter un bon canapé lit car Evelyne reviendra sûrement pour m’aider. Il faudrait que je finisse de repeindre les fenêtres de la chambre avant d’être opérée... Je dois finir mes albums photos. Je dois finir d’écrire ma biographie pour William. Je dois, je dois,… Je souris. Je dois surtout retourner tenter de dormir un peu.