mardi 15 janvier 2019

Morphine et anti-douleurs: j'ai le tournis...


 Alors que mon état semblait assez stable, il s’est dégradé mardi dernier. Je ressentais des douleurs intestinales de plus en plus fortes au fil des jours. Le lundi, dans la nuit, j’ai finalement accepté la première injection de morphine, pour faire passer les douleurs.

Durant les premières heures après l’injection, mon corps a dû s’habituer. Je suis passée par les effets secondaires désagréables habituels : vertiges, sensations de nausées, quelques vomissements et une grande fatigue. Je suis restée au lit presque toute la journée.

Le médecin de famille a été appelé. L infirmière voulait un plan d’attaque. On m’a rapidement installé un patch de Fentanyl : c’est une forme de morphine synthétique, m’explique-t-on, de la famille des opioïdes. Le patch, très petit et transparent, est collé sur mon torse. Il doit y rester en place puis être remplacé tous les trois jours. Il diffuse l’anti-douleur de manière régulière. Le médicament fonctionne bien, car mes douleurs ont largement diminué. Seule reste une sensation de lourdeur dans le ventre. Le traitement me donne néanmoins une sensation permanente de vertige et beaucoup de fatigue. Mes jambes ont du mal à me porter. Je me suis également sentie déprimée, mais je ne sais pas si c’est un effet du médicament ou de la situation !  

On m’a aussi prescrit, en cas de douleur plus forte, un autre anti-douleur, un spray qui diffuse l’anti-douleur par le nez et agit en quelques minutes. J’en ai pris à deux reprises. Il marche vraiment bien contre la douleur pendant de longues heures, mais me donne des vertiges vraiment forts au point que je dois m’allonger.

Je suis restée souvent au lit les journées suivantes, et ai profité quand même de la visite de papa et Evelyne qui étaient arrivés cette semaine-là. Mais au programme, pas de belles ballades cette fois-ci. Nous avons principalement regardé des films et discuté… moi, de mon lit !  

Coté moral, j’ai pris une claque. Avec la morphine, j’ai associé la fin de vie, la mort qui arrivait à grands pas. Mais pas si vite m’a dit mon médecin de famille. Mes intestins ne sont toujours pas complétement bloqués. Je peux encore manger et éliminer grâce aux traitements habituels, augmenter les doses de laxatif, les lavements tous les matin marchent encore, et je continue à manger par petites quantités mon régime «sans fibres ». Les infirmières me donnent aussi désormais des massages doux du ventre. Cela aide à la circulation intestinale.

On ne sait pas ce qui va arriver, quand et comment, mais je ne vais pas encore mourir cette semaine ni dans les jours qui viennent, me dit mon médecin.

Les gens autour de moi me voient survivre et rester forte contre vents et marrées. Mais ce n’est pas comme ça que je voyais mon futur, cette semaine. J’ai bien cru que c’était le début de la fin…
J’évitais de penser à la mort, ces derniers jours, et j’y parvenais assez bien. Je me sentais assez neutre (tranquille ? vide ?) sur le plan émotionnel, ni déprimée, ni euphorique. Les fêtes, les visites de ma famille et de mon amie, m’avaient bien divertie.

Cependant, ce retour de la morphine dans ma vie, les risques que mes intestins en soient encore plus ralentis… l’échéance s’approche un peu plus. Tout m’a semblé tout à coup difficile et sombre…
J’ai gardé ces pensées pour moi d’abord, puis j’en ai parlé à une infirmière qui m’a conseillée de ne pas rester seule avec ces pensées. En parler à une amie, puis une autre amie… En parlant de mes angoisses, de la mort qui arrive, j’ai commencé à me sentir mieux, surtout moins seule devant l’épreuve qui m’attend.

Une des difficultés, c’est la dépendance qui s’accentue encore plus. Voilà que je dois demander qu’on m’apporte du thé car je ne peux plus facilement aller jusqu’à la cuisine faire chauffer l’eau et me faire une thermos… Je voudrais une cuiller aussi merci. J’imagine le moment où il faudra qu’on m’aide à aller aux toilettes, puis je ne pourrais plus aller aux toilettes, il faudra de l’aide pour me lever, puis pour me laver et puis, et puis… Pas envie d’être un poids, pas envie d’une agonie et d’une dépendance qui durerait des jours, pas envie de rester au lit des semaines ! À partir du moment où je ne pourrai plus quitter le lit, j’espère que tout ira vite : que je mourrai vite et ‘tranquillement’.  

Accepter les sentiments de dépression qui s’abattent sur moi. Accepter que l’échéance s’approche. Arrêter de vouloir forcément être positive et parfaite, et sans faille. Si la joie n’est pas là, c’est que ce n’est pas le moment. Être en contact avec mes vrais sentiments…

Et puis regagner en sérénité…

Je reprends lentement du poil de la bête. 

Dimanche matin, presque une semaine après la première prise de morphine, je n’étais toujours pas sortie de l’hospice et avais gardé la chambre presque en permanence. Laurence est venue peindre avec moi, et comme d’habitude sa présence joyeuse et généreuse m’a aidée à reprendre le chemin des couleurs au sens propre et figuré. Pour la première fois (depuis le temps que je voulais m’y mettre !) je me suis lancée dans un paysage de neige ensoleillé, une petite aquarelle colorée trouvée sur internet m’a servi de modèle pour débuter.

Et le même jour, l’après-midi, pour la première fois depuis en une semaine, je faisais quelques pas dehors, dans la rue, au bras de Ans, ma chère Ans qui passe aussi me voir toutes les semaines. Nous parlons de son avenir et je n'arrête pas de lui donner des conseils qu'elle accueille avec gentillesse. Je sais qu'elle sait que je me sens utile de cette façon.  

Le lendemain, mon William passait m’aider et m’a également tenue par le bras pour faire quelques pas dehors. Il faisait bien froid et humide. Il est passé après l’école et la nuit était déjà tombée. Nous avons marché sous les platanes quelques minutes. Suivant les conseils de ma psychologue et de l’infirmière spécialisée, j’ai commencé à lui parler de mes sentiments et peurs. Nous avons alors parlé de la mort et des croyances qu’on « les gens », de notre absence de religion et de croyance, et des théories farfelues et pseudo-scientifiques sur l’au-delà. Je lui ai parlé un peu de ma fin de vie, de ce que j’espérais, de sa présence, de ce que fera l’équipe médicale à ce moment-là. Je lui ai demandé s’il pourrait rester avec moi et pousser du coude toute personne qui se mettrait en travers de nous. Il a sourit. Je me suis sentie mieux. Je crois que lui aussi. Ma psychologue qui m’a mis en garde contre le fait de trop chercher à le protéger et m’a conseillé de mieux communiquer avec lui, de lui faire mieux partager ce processus de soins palliatifs. J’en parlerai peut-être un peu plus longtemps dans un prochain billet de blogue.

Nous sommes maintenant une semaine après ma première prise de morphine et la pose du patch. Les forces physiques et mentales reviennent petit à petit, très lentement, et les vertiges sont moins forts. Je n’irai pas au concert gratuit de musique classique du Doelen, mais je pense que j’aurai assez de force pour m’asseoir et peindre quelques heures, et peut-être pour aller marcher quelques minutes par jour sous les vieux platanes… J’attends mes amies et mon cher William avec impatience cette semaine. Je ne suis pas (pas encore) qu’un vieux boulet. 😊 J’ai encore envie de vous voir et de rire de la vie 😊  


***
* Distribué par un centre hospitalier, une brochure en ligne sur les patchs anti-douleur :
https://www.hug-ge.ch/sites/interhug/files/documents/patch_douleur.pdf



1 commentaire:

Maud a dit…

Tu es ma référence en matière de force, d énergie, de positivisme...quelle championne tu fais ! Je pense à toi,plein de bi sous !!