jeudi 11 octobre 2018

Mon premier mandala


Les journées peuvent sembler interminables à l’hospice, et je cherche à structurer un peu mes journées avec des routines, pour ne pas commencer la journée avec l’angoisse du vide, du « je n’ai rien à faire ». Aquarelle le matin, lecture l’après-midi, visites des amies, routine des horaires des soins infirmiers et des repas. Restent de nombreux moments où la fatigue et l’ennui m’assaillent. Que faire maintenant ?  

À Astrid, l’artiste qui nous rend visite bénévolement une fois par semaine, je décrivais ainsi mon impression : «  Parfois, j’ai juste envie de colorier ou dessiner un truc sans réfléchir. Occuper mes mains. Être occupée sans penser. Ne plus voir le temps passer.
« Comme faire du mandala ?
-         Je sais pas, j’ai jamais fait ça. C’est du coloriage, c’est ça ?

Astrid m’explique : un mandala est un dessin, généralement concentrique, symbolique d’un voyage de l’intérieur de son corps à l’extérieur, vers le monde et l’univers. Le mot vient du tibétain et signifie « cercle ». La fabrication du mandala est utilisée comme une technique spirituelle de méditation dans plusieurs religions asiatiques. J’ai déjà vu un mandala fait au sable coloré, au musée ethnique de Rotterdam. J’ai été extrêmement impressionnée par la délicatesse de ses dessins.

« Je t’apprendrai à faire des mandalas si tu veux, la semaine prochaine.
-        Ok !

Un truc nouveau, ouf, youpi, ça va m’occuper ! Toujours prête pour une nouvelle expérience !

Une petite voix pourtant me souffle que je risque de ne pas aimer le coté répétitif des dessins ou le fait qu’il impliquera beaucoup de coloriage. Je suis adulte, faire du coloriage, bon, je ne veux pas critiquer, mais cela semble… inutile. Je n’aime pas perdre mon temps, même, et surtout, en fin de vie. 

Le temps est si précieux. C’est paradoxal mais malgré mes journées vides, je n’ai pas de temps à perdre.  

Au téléphone, une amie psy à qui je parle du projet me dit que colorier du mandala est très thérapeutique pour les personnes angoissées. C’est un exercice qui oblige la personne à se calmer, à se recentrer. Elle l’utilise d’ailleurs avec certains de ses patients parmi d’autres exercices d’ancrage dans le présent, pour améliorer leur concentration. Quoi, ma copine, tu donnes du mandala à colorier à tes patients adultes !? Je suis scotchée. Et de plus en plus curieuse.

Le grand jour arrive. Astrid a apporté le matériel et m’installe devant une feuille blanche carrée. Elle met à ma disposition un compas, une équerre et des pointes fines noires de différentes tailles. Je peux aussi utiliser des petits pochoirs, feuilleter quelques livres d’exemples pour l’inspiration. Elle nous asperge d’un produit tibétain censé éloigner les énergies négatives. Ça commence bien. Je n’y crois pas du tout à ces trucs là, mais elle est si enthousiaste que je le prends avec le sourire.  

Nous commençons. D’abord, je dois tracer des cercles concentriques avec le compas. On commence par le point du milieu. Je trace huit signes identiques tout autour de ce point central. Puis je choisis un nouveau signe et dessine la deuxième couche. À la troisième couche, je compte les symboles. Je vais devoir dessiner trente-deux nouveaux symboles. Oulala! Mais ensuite ce sera deux ou trois fois plus… L’impatience commence à poindre son nez. Ils sont bien grands ces cercles. À minuit, on y sera encore, dis-je ironiquement, à Astrid.

Je feuillette ses livres pour trouver quelques idées. J’essaie de me montrer intéressée mais je suis loin d’être excitée. Au bout de quelques minutes et à quelques petits centimètres du point de départ, l’activité m’endors. Je me sens très fatiguée et je demande à arrêter. Le début n’est pas mal, visuellement parlant. Le dessin noir et blanc fait penser à un petit napperon exécuté au crochet.
Mais le premier bilan est, somme toute, plutôt négatif. Je n’aime pas trop l’activité à vrai dire. C’est ennuyeux et répétitif, pas assez créatif pour mon goût.  

Ce soir-là, j’attends que mon dîner soit servi dans ma chambre. Le mandala est sur la table. J’ai envie le finir malgré tout. Je reprends, et hop ! une nouvelle couche de symboles. Je tourne le papier pour aller plus vite, hop ! hop ! hop ! des ronds, des ronds, des ronds, et maintenant des triangles...

Pendant que je dessine en attendant mon repas, des pensées angoissantes se mettent à m’envahir : « Je suis en fin de vie, et c’est tout ce que j’ai à faire !? C’est un truc répétitif et inutile ». Je rumine du noir. « Quand je fais mes aquarelles, c’est pareil finalement, ça ne sert à rien ! ».

Le mandala serait censé me détendre ?! Au lieu de me relâcher, je repense au sens de ma vie, ou plutôt à son absence de sens. J’étais une scientifique autrefois… Et là, je dessine des triangles qui se répètent. 

Heureusement, les leçons apprises par la méditation de pleine conscience m’aident à reconnaître là mon bon vieux pilote automatique. Le juge. Le critique. « Rien n’est jamais assez bien pour Madame Catherine. Madame Catherine n’en fait jamais assez. Madame devrait être entrain de faire un truc intelligent et important, sauver le monde… »

Je commence alors à contempler l’activité sous un jour nouveau. Et si le mandala m’aidait, non pas pour occuper mes moments de fatigue et d’ennui, mais comme activité de méditation ? Puisque j’adore dessiner et puisque je n’ai plus envie de méditer en position assise simple, je pourrais méditer durant une activité choisie. Le dessin.

Je décide alors que je vais finir celui que j’ai commencé, mais pas n’importe comment. Je vais tenter de le terminer en transformant l’exercice en activité de méditation de Pleine Conscience. Se concentrer sur l’’exécution des dessins, et sur les sensations corporelles, émotionnelles et les pensées qui l’accompagnent. Se concentrer sur le présent, sur ce qui est, là, maintenant, au moment où je le vis. Regarder passer les angoisses sur l’avenir, sans les juger, et les laisser passer pour mieux se concentrer sur le présent. Se concentrer sur le dessin et le processus, plutôt que sur son résultat. L’important c’est le voyage, plus que la destination.

Le lendemain soir, le dessin est fini. Je commence à le colorier… et je découvre que je le fais avec plaisir. J’ai mis en route une musique douce avec des sons de la nature. Je me concentre sur chaque morceau à colorer. Je ne cherche pas à finir très vite, au contraire, je prends tout mon temps. Les pensées et émotions arrivent bien sûr au galop. Je prends conscience de beaucoup d’émotions tristes. Je prends mon journal intime et j’écris plusieurs pages de tous ces sentiments négatifs, ma colère, ma frustration, ma culpabilité vis-à-vis de mon fils… Bien sûr que je suis triste et en colère, et que tout m’énerve en ce moment. Et j’ai raison. Je suis dans une situation détestable et je voudrais être n’importe où sauf dans ma situation présente... Je me vide sur les pages de mon journal… 

Et je reprends mon coloriage méditatif. Je me concentre…

L’infirmière frappe à la porte pour me donner mon traitement du soir. Il est dix heures du soir ?! Je n’ai pas vu le temps passer ! Cette nuit-là, je dors beaucoup mieux et plus longtemps que d’habitude.

 Mon mandala en cours de coloriage. Je l'ai construit sans plan préalable. Le dessin puis le coloriage commencent au centre et s'étendent petit à petit à la périphérie, niveau après niveau. Mais on peut faire autrement si on le souhaite. Certains mandalas ne sont pas ronds, ils peuvent représenter un animal par exemple. L'important est de se concentrer sur le processus, en utilisant la technique de pleine conscience par exemple (pour ma part, c'est la technique que j'ai appris à utiliser dans mes pratiques de méditation).    

***

Merci Nedjma qui fait colorer ses patients ; merci Caroline qui m’a expliqué pourquoi elle adore colorier ; merci Astrid pour m’avoir guidée dans cette direction ! 😊

6 commentaires:

Anonyme a dit…

Bonjour Catherine,
Et si sauver le monde commençait justement par dessiner des mandalas ?
Bonne journée.
Martine

Catherine T. a dit…

Bonjour Martine,
Je regarde mon "pilote automatique" avec humour parfois, quel orgueilleux n'est-ce pas !
Oui, il faut commencer par mettre un pied devant l'autre avant de penser à gagner un marathon :-)
J'ai continué à faire du mandala en soirée cette semaine. Cela me réussit bien. Une partie du monde est sauvée, haha! : j'éprouve un peu moins de colère intérieure car la colère a débordé ces derniers jours, je n'acceptais plus du tout ma situation, je commençais à être énervée contre les gens qui voulaient m'aider !
La méditation aide mais il faut pratiquer, il n'y a pas de secret, la connaissance ne suffit pas, il faut le faire. Le mandala m'a donné une structure et un plaisir, surtout, qui me manquaient pour me motiver à reprendre des pratiques de ''pleine conscience''.
Merci de ton message !
Catherine

marion a dit…

La colère est une émotion qu 'il faut respecter comme les autres , parfois justifiée
On penses fort à vous

Pâquerette a dit…

Namasté ma reine.

Anonyme a dit…

Bonjour Catherine,
Merci de continuer à sauver le monde avec tes douces aquarelles et tes mandalas..lalala. ..
Affectueusement.
Très doux bisous, choux, genoux, cailloux...
Martine

Catherine T. a dit…

Merci Marion, Paquerette-Sylvie, et Martine !
Depuis ce premier mandala, la pleine conscience est revenue dans ma vie par tous petits pas, des petits moments ici et là, des méditations très courtes. La colère et l'irritation sont encore présentes, mais s'adoucissent.
Je vous raconterai cela dans un autre article. :-) je voulais vous faire sourire d'abord avec ma face de lune ;-))
A bientôt, je vous embrasse!
Catherine