mardi 12 février 2019

Le passage de la vie à la mort : vais-je flotter dans une lumière merveilleusement agréable ?


Juste au moment de passer de la vie à la mort, est-ce vrai qu’on éprouve un grand sentiment de paix et bien-être ? Que l’on voit un tunnel, une lumière ? Pour certaines personnes, le passage vers la mort est-il, au contraire, angoissant ? Quelles sont les visions et illusions, ou souvenirs, et autres pensées, qui peuvent surgir ? Est-ce qu’on voit une personne disparue arriver pour nous accueillir ?

Expérience de mort imminente. Que ressent-on juste au moment du passage de la vie à la mort ?

Les expériences de mort imminente (EMI ou en anglais NDE, near death experience) décrivent les témoignages de personnes qui ont été dans le coma (parfois sont, techniquement, mortes), puis réanimées. Leurs témoignages sont assez consistants. Ces personnes rapportent des moments de grand bien-être, de détachement agréable, et d’autres souvenirs agréables, comme de la lumière ou la rencontre de personnes aimées.

Cependant, les études scientifiques sur le sujet ne sont pas nombreuses et beaucoup des auteurs rapportant les témoignages des personnes réanimées utilisent ces témoignages pour défendre l´idée d´un au-delà. Ces témoignages sont-ils valides, fréquents ou simplement anecdotiques ?  

Le pionnier de ces observations est le psychologue et psychiatre américain Raymond Moody qui a relaté ses observations dans son livre, Life After Death, en 1975. Il décrit (et nomme) la Near Death Experience (NDE) sur la base de témoignages de personnes qui ont été réanimées ou se sont retrouvées dans des situations très proches de la mort. Ces personnes rapportent avoir la sensation d’être hors de leur corps, la sensation de voyager à travers un tunnel, de rencontrer des personnes décédées qu’elles connaissent, ou encore de voir une lumière intense et agréable.

Les recherches de Moody étaient basées sur une approche clinique. Elles ont permis de mettre en évidence ce phénomène, mais il fallait désormais commencer à approcher le problème de manière plus systématique et scientifique. Or Moody concluait dans son livre que ses recherches démontraient l’existence d’une vie au-delà de la mort ; il a défendu l’idée que ses recherches démontraient la réalité de la réincarnation. Si ses observations ont été ensuite répliquées, ses interprétations mystiques, elles, ont été fortement critiquées. C’est un reproche qu’on fera à d’autres chercheurs après lui (https://www.pseudo-sciences.org/spip.php?article1373 ; en anglais sur l’expérience AWARE décrite ci-après http://www.bbc.com/future/story/20150303-what-its-really-like-to-die ). Tandis que Lommel et d’autres reprocheront au contraire aux neuropsychologues expérimentalistes leur approche matérielle exclusive trop limitante (https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/21988246).  

A la suite du pionnier Moody, des chercheurs ont commencé à rechercher plus systématiquement le phénomène. Greyson a mis au point une échelle pour mesurer systématiquement les phénomènes de NDE. Son échelle est souvent utilisée dans les études sur le sujet et elle permet une comparaison entre études. Les études scientifiques restent cependant encore relativement rares.  (https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC6179792/).

Est-ce qu’on va forcément ressentir du bien-être ou voir un tunnel, ou est-ce un phénomène rare ?

Sur des personnes réanimées ayant survécu un arrêt cardiaque, il apparaît qu’environ 12 à 18% ont fait l’expérience de sensations typiques d’une EMI comme les sentiments de bien-être et autres sensations décrites dans les échelles de EMI (expérience de mort imminente) (van Lommel et al., 2001 ; Greyson, 2003).

Selon une synthèse récente publiée par Parnia, parmi les études sur les patients ayant été réanimés après arrêt cardiaque, les pourcentages de personnes rapportant des expériences qu’on peut considérer comme EMI sont assez faibles. Sur les quatre études que cite l’auteur, entre 6%, 10%, 12 ou 26% de personnes rapportent des phénomènes classés comme EMI (van Lommet et al, 2001 ; Parnia et al, 2001 ; Greyson, 2003 ; et Schwaninger 2002).

Que va-t-on ressentir au moment du grand « passage » ?

Parmi les personnes qui font l’expérience de se souvenir de leurs sensations lors de l’expérience de mort imminente, voici les sensations les plus fréquemment rapportées : (Moody, 1975 ; revues de S. Parnia, 2017 dans QJM ; Charlotte Martiel et collègues, 2017).

- Un grand bien-être, une sensation de paix et d’absence de douleur. Dans l’étude rétrospective de Charlotte Martiel et collègues, 80% des personnes qui ont répondu au questionnaire mentionnent avoir fait l’expérience de la sensation de bien-être.   

- La sensation de lumière, d’être entouré de lumière, et d’une lumière attirante et chaude, agréable (69% dans l’étude Martiel).  

- La sensation de sortir de son corps (OBE, Out of body experience) (53% dans l’étude de de Martiel).  

- La rencontre de personnes ou personnages accueillants, personnes aimées ou esprits (64 % dans l’étude Martiel).

- La sensation de traverser un tunnel avec une mémoire panoramique et une expérience positive accompagnant cette traversée (47% dans l’étude de Martial).

D’autres sensations sont également rapportées, un peu moins fréquemment (par environ un tiers des personnes dans l’étude de Martiel par exemple) :
- La sensation de revoir sa vie depuis son enfance,
- Le changement de sensation du temps,
- Des sensations accentuées,
- La sensation d’un environnement qui n’est plus terrestre.

Enfin certaines sensations sont rapportées par quelques personnes seulement : un sentiment de connaître un événement avenir (pensée précognitive), des perceptions extra-sensorielles, des pensées accélérées.

Sam Parnia et collègues (2014) publient des résultats indiquant que ces sensations ‘classiques’ ne sont pas uniques. Ils observent d’autres phénomènes. (https://www.resuscitationjournal.com/article/S0300-9572%2814%2900739-4/fulltext ). Leur étude nommée AWARE s’est déroulée dans 15 hôpitaux au Royaume-Uni, États-Unis et Autriche sur une durée de quatre ans. Plus de deux mille personnes ont été observées dans des salles de réanimation après un arrêt cardiaque. Au total, 140 personnes ont survécu et ont pu être interviewées. Parmi elles, on retrouve un pourcentage faible de personnes qui ont des souvenirs explicites de ce qui s’est passé pendant la réanimation. Cependant, en utilisant des questionnaires (rappel implicite) 46% rapportent des sensations que l’auteur classe en sept thèmes, dont certains semblent assez nouveaux dans ce type d’étude :
- peur,
- animaux ou plantes,
- lumière brillante,
- sentiment de violence ou persécution,
- sentiment de déjà-vu,
- rencontre d’un membre de la famille,
- souvenir d’événements après arrêt cardiaque,

Une seule personne dit avoir vu et entendu quelques détails sur la période de réanimation.

Survole-t-on la pièce ?

Dans l’étude AWARE, un procédé ingénieux est utilisé pour explorer si les patients vont voir des choses qui sont visibles uniquement d’un point de vue aérien dans la pièce : des tableaux sont accrochés en hauteur dans les pièces où ont lieu les réanimations. Or sur tous les survivants interviewés, pas un seul n’a fait mention de ces tableaux : soit ils ne les ont pas vus, soit ils ne s’en souviennent pas. Ainsi, cette large étude ne met pas en évidence qu’un esprit ou conscience pourrait se détacher du corps et survoler la pièce en observant la scène.

Est-ce bien sérieux ?

Certains des phénomènes classiquement décrits comme NDE (sortir de son corps, lumière agréable, bien-être) sont répliqués sur plusieurs études. Cependant, ces études sont souvent menées sur de petits échantillons de personnes avec souvent un ‘biais’ de recrutement, un biais possible dans les interprétation des chercheurs "croyants" à l'au-delà, des biais dans les souvenirs, etc. C'est beaucoup... de biais, et peu de données. 

Par exemple, l’étude de Martial contacte par courrier des personnes par le biais d’associations en lien avec des intérêts sur la NDE. Les personnes qui n’ont pas fait l’expérience de NDE après leur réanimation ou dans leur vie, sont sans doute moins susceptibles d’être en contact avec ces associations. Un autre exemple, dans l’étude prospective AWARE, les pourcentages de personnes rapportant des phénomènes ressemblant à ce que Moody décrivait comme NDE sont très faibles, et ces personnes sont plus susceptibles que d’autres d’avoir ou de raconter de faux souvenirs.

Plusieurs théories dites « matérialistes » peuvent rendre compte de ces phénomènes. Dans les explications neuropsychologiques, des explications pharmacologiques ont été avancées ; l’intrusions de rêves (REM sleep intrusion) ; l’altération de niveaux de certains gaz dans le sang (Klemenc-Ketis et al. 2010), des désordres du lobe temporal ; et d’autres hypothèses ont été avancées pour décrire comment ces phénomènes peuvent s’observer. 

Les théories non matérialistes se développent pour tenter de comprendre si une conscience pourrait exister en dehors de notre cerveau et de notre corps... On parle de théories mystiques ou spirituelles mais ces théories sont du pur domaine de la spéculation. 

Il est donc tout à fait possible que lors de notre grand départ, passage entre la vie et la mort, nous fassions l’expérience de sortir de notre corps, être baigné par une belle lumière agréable, traverser un tunnel et ressentir un immense bien-être.

Mais les pourcentages de personnes rapportant ces phénomènes restent malgré tout assez faibles… 

On peut s’attendre peut-être aussi à revivre sa vie, à rencontrer une personne chère ou un personnage cher, mais les témoignages dans ce sens sont encore moins fréquents.

La bonne nouvelle est que très peu de personnes semblent rapporter des sentiments d’angoisse ou de peur… ou les données sont-elles tellement biaisées que les questions sur les sentiments négatifs ont été escamotées ?

Comme je ne crois pas dans un au-delà, je ne pense pas que je reviendrai vous faire signe pour vous raconter la suite… mais j’espère que je ferai partie des chanceux qui jouiront de la lumière et du sentiment de bien-être décrit dans les témoignages, car malgré tout mon désir de rester cartésienne, quand on lit ce que ces personnes décrivent, ça parait très très.... cooooool ! J'aime croire que cela m'arrivera aussi ! ;-) 



*****

Quelques références  
Étude AWARE rapportée par son principal investigateur : (https://www.southampton.ac.uk/news/2014/10/07-worlds-largest-near-death-experiences-study.page ;
Commentaires sur l’étude AWARE
https://iands.org/news/news/front-page-news/1060-aware-study-initial-results-are-published.html


Articles de chercheurs croyant à une conscience indépendante des explications matérialistes :
* Un blog (anglais) qui m’a introduit au sujet (merci Siobhan !) https://joshmitteldorf.scienceblog.com/

Quelques études basées (en grande partie) sur des interviews de personnes réanimées après arrêt cardiaque. 

Les 4 études citées par Lommel
* Van Lommel P Wees Van R Meyers V Elfferich I. Near-death experience in survivors of cardiac arrest: a prospective study in the Netherlands. Lancet, 2001. 358:2039–45.
Klemenc-Ketis, Z. Life changes in patients after out-of-hospital cardiac arrest. Int J Behav Med. 2013. 20, :7–1.
* Parnia S. Waller D Yeates R Fenwick P. A qualitative and quantitative study of the incidence, features and aetiology of near death experiences in cardiac arrest survivors. Resuscitation. 2001;48:149– 56.
* Greyson B.Incidence and correlates of near death experiences in a cardiac care unit. Gen Hosp Psychiatry  2003; 269–7623
* Schwaninger J.A prospective analysis of Near Death Experiences in cardiac arrest patients. J Near Death Exp  2002; 20:215–32


* Équipe française: Charlotte Martial, Héléna Cassol, Georgios Antonopoulos, Thomas Charlier, Julien Heros, Anne-Françoise Donneau, Vanessa Charland-Verville, Steven Laureys. Temporality of Features in Near-Death Experience NarrativesFrontiers in Human Neuroscience, 2017; 11 DOI: 10.3389/fnhum.2017.00311. (https://www.frontiersin.org/articles/10.3389/fnhum.2017.00311/full)

6 commentaires:

AnneA a dit…

Superbe compilation et super recherche! je te souhaite ce passage le plus tard possible et le plus sereinement possible. J'avais lu les réflexions de Theodore Monod à ce sujet qui, sans préjuger d'une éventuelle survie apres la mort, disait en gros qu'il était finalement assez curieux de savoir ce qu'il y avait "de l'autre coté". Certes, il nous a quittés à plus de 100ans....
Un autre livre, celui de Philippe Ragueneau, "l'autre coté de la vie" m'avait beaucoup troublé. Il y raconte la fin de sa femme très aimée, Catherine Anglade, d'un cancer de l'estomac, et comment, quelques jours apres, il a reçu des témoignages de sa présence et a continué un dialogue avec elle. C'est un livre très troublant, d'autant que l'auteur n'était pas un illuminé, loin de là.....Pour moi, j'ai eu, apres la mort de mon père, la sensation, parfois, d'une fugace présence. Hors de tout contexte religieux, pourquoi ne pas imaginer que cette énergie qui nous habite, continue "autrement"?
Quoi qu'il en soit, Catherine, merci d'avoir été là, et d'avoir permis à des femmes atteintes du même mal, de discuter, d'échanger. A plusieurs on est moins seules. Je suis sûre que tu continueras à nous aider, différemment. Et le plus tard possible car j'espère que tu profites de ceux qui t'aiment et que tu aimes. Très douces pensées pour toi!

Anonyme a dit…

Bonjour Catherine,
Merci pour ce billet très objectif.
Je te recommande (même si tu ne crois pas en l’au delà) la lecture d’un livre de Stéphane Allix : le test.
Je peux te l’envoyer par mail si tu veux. (Purplerain@icloud.com)

Monique

Catherine T. a dit…

Bonjour AnneA,

en fait j'ai dû simplifier et restreindre juste à la question du ressenti "entre deux" car j'avais commencé aussi à écrire sur la question de l'au-delà et cela entrainait sur des tonnes de questions encore plus complexes.

Et justement sur la question de l'impression de "présence", j'avais lu des choses super intéressantes sur le livre dont j'ai écris le résumé dans un billet précédent (neuropsy Paul Broks). Alors la question c'est vraimemt est-ce qu'on peut avoir une conscience en dehors de son corps... et il y a un moment ou il parle d'une idée que j'ai aimée. L'idée que la conscience, dans la mesure où c'est juste, juste, l'instant présent (et pas le passé ni le futur) la conscience pourrait habiter une personne très proche (époux, parent). Je ne me souvians déja plus de son explication scientifique mais c'était... intéressant, pas impossible.

Mais alors ces questions de conscience, cela dérive sur qu'est-ce que la conscience et ce problème je trouve c'est la boite de pandore... je ne serais pas en mesure d'écrire un article dessus sauf si j'ai encore dix ans devant moi et toute ma tête ce qui n'est plus le cas, je suis fatiguée et ces lectures sont incroyablement complexes :-)

Je ne connaissais pas les autres références dont tu parles, merci d'avoir partagé ! C'est vraiment tout un monde auquel je me m'intéressais pas, trop paranormal pour moi, mais c'est fun de se poser les questions. Car au fond, j'aimerais bien y croire je pense. :-)

Amicalement,
Catherine

Catherine T. a dit…

Bonjour Monique,
merci pour cette référence. Je ne vais pas me lancer dans des lectures sur les médiums, mais j'avais presque commencé en commençant à écrire l'article. mais comme jevoulais le faire de manière 'scientifique' cela menait à trop d'autres lectures et j'ai laissé tomber cet aspect (voir aussi ma réponse à AnneA).
Mais évidemment c'est aussi la question : et les médiums?

Mais bon en fait, réponse pragmatique, je ne vois pourquoi, si le fait de communiquer avec les morts était possible, pourquoi ce serait un petit privilège réservé à quelques initiés (pourquoi eux?). Ce serait un phénomène démocratique, ce serait quelque chose de plus connu, ce serait quelque chose qu'on peut enseigner et développer... voilà c'est tout ce que je me dis. Si communiquer avec les mots était possible, 90% des gens devraient pouvoir le faire, et non pas une personne sur un million :-) Je ne sais pas si ma réponse est scientifique mais je la trouve logique et de bon sens :-)))

Amicalement :-)
Catherine

Catherine T. a dit…

Lapsus-typo Je voulais écrire "communiquer avec les morts" et non 'Communiquer avec les mots".

Pâquerette a dit…

Ma Catherine moi ça me plais l'idée de tunnel, de lumière, de bien être, te connaissant curieuse je sais que tu vas l'explorer de fond en comble, mais sois pas pressée, on a envie de lire tes articles et admirer tes aquarelles et mandalas encore un bout de temps! Quelques jours avant sont départ maman nous avait dit n'ayez pas peur, c'es beau, elle était si proche de l'entrée du tunnel qu'elle pouvait admirer l'intérieur... Alors oui, ce sera beau, ce sera agréable et puis "ça ne mange pas de pain" de s'imaginer le deuxième tome de notre histoire s'ouvrant dans un cocon de douceur. Quant à communiquer avec les morts, c'est déjà si compliqué avec les vivants, quelle galère! à moins de pouvoir faire le tri, pas toi, ni toi, toi ok, que peut-on leur demander? et puis franchement, si on est si bien de l'autre côté, faut être maso pour perdre son éternité à causer avec des vivants! c'est peut-être pour ça que si peu y arrivent, faut pouvoir prouver sa détermination... Catherine où me fais tu voyager?! Je t'aime et t'embrasse bien fort.