samedi 26 août 2017

Commencer


Que faire de notre vie ? Est-il encore temps de commencer quelque chose d’important, de long, d’exigeant, de risqué… quand on est en soins palliatifs ? Je répondrais que oui, et pour plusieurs raisons.

L’une d’elle est d’éviter le sentiment de regret. Le sentiment de regret est extrêmement douloureux. Et chronique : une fois installé, il ne nous quitte plus facilement. Et puis, contagieux, même ! Nos regrets peuvent contaminer nos proches, coupables de nous voir malheureux. Le regret de n’avoir pas essayé, de n’avoir pas osé, vient du fait que nous comparons notre vie réelle (avec tous ses ratés) à un scénario imaginaire (parfait) qui se serait produit dans le passé si nous avions pris telle ou telle décision. On aurait pu tenter de publier un livre (il aurait peut-être été un best-seller), tenter une relation amoureuse avec ce vieil ami d’enfance (il aurait peut-être été le grand et unique amour de notre vie), tenter un nouveau métier (passionnant, sans moments ennuyeux, sans hiérarchie, sans administration, dans lequel nous aurions excellé). Vraiment ? Le regret, c’est comparer les imperfections de ce qui a été accompli à un scénario idéal qui ne s’est jamais produit. Dans la réalité, la relation aurait peut-être capoté, le nouveau métier nous aurait peut-être amené un accident du travail, et nous aurions peut-être découvert que nous n’avons aucun talent pour écrire... Mais ce ne sont pas les scénarios qui nous viennent à l'esprit. Le regret vient car on n'a imaginé que le scénario idéal. Ainsi, l’incertitude douloureuse persiste... "Et si… ?"  

Mieux vaut donc essayer, quitte à échouer, plutôt que regretter de n’avoir pas tenté.

Une des obsessions des adolescents qui sont en palliatif, est de savoir si on se souviendra d’eux. Ils sont angoissés de n’avoir pas accompli assez et de ne pas laisser une contribution significative derrière eux. Les échelles de prises en charge des soins pour adolescents ayant le cancer prennent en charge cette dimension importante de leur bien-être psychologique (cf. références en fin d’article).

Or, si la vieillesse, ou l’âge mûr, nous libèrent quelque peu de cette angoisse, car nous avons donné  et nous avons accompli, il reste que, quel que soit notre âge, le palliatif nous confronte à la question du sens de la vie. Le nouveau sens de notre vie. Ce questionnement sur le sens de la vie et le « quoi faire maintenant », n’est jamais terminé. Il revient souvent lors de grands changements de vie, et surtout lors d’un deuil. À mesure que la maladie progresse, j’avance aussi psychologiquement. Je continue à changer. Et ces changements ne s’arrêteront pas.

Un exemple tout simple. J’ai écrit un codicile : ce que je voudrais qu’il soit fait de mes cendres, etc. Or récemment, j’ai pensé que l’idée de jeter mes cendres en mer n’était plus ce que je voulais. J’ai entendu parler de « jardins du souvenir » et l’idée me semble soudain beaucoup plus romantique et humaine, que de laisser mes cendres au fond de l’océan où finalement, les poissons et les crevettes s’en foutent (ça risque même de leur gratter les yeux). En fait, j’aimerais autant que mes restes profitent aux arbres et aux oiseaux. Finalement, je réalise par ce petit changement, que l'on n’est jamais « prêt à mourir ». On pense peut-être s’y être préparé, mais en réalité, on ne sait jamais dans quel état d’esprit on sera quand elle arrivera. Le sens de la vie, les rêves et les priorités évoluent et changent durant les mois ou les années de période de soins palliatifs.

Parce que la vie continue et parce que l'on change, on apprend, on éprouve, et que par conséquent, tout naturellement, de nouveaux désirs surgissent, entretenus par notre curiosité naturelle. Comme dans la vie ordinaire. Parce que, c’est la vie ordinaire, n'est-ce pas, même si je n’ai plus l’illusion qu’elle durera encore longtemps.

Olga Murray entourée d'enfants
Dans un TED talk, l’écrivaine Isabel Allende cite l’exemple de Olga Murray. Cette femme de 88 ans est partie au Népal à l’âge de 60 ans et a sauvé douze mille enfants d’une vie d’esclavage domestique.

Les histoires de personnes âgées accomplissant des choses extraordinaires sont toujours populaires. Voici une personne faisant face à certains obstacles de la vie (la vieillesse), et qui malgré les obstacles, essaie, commence, se bat, pour accomplir un rêve, une passion, une mission. C’est inspirant. Cela nous fait rêver et désirer. 

Alors, commencer de nouvelles choses, oui, pour ne pas regretter, pour réaliser ou respecter les nouveaux désirs, pour éprouver la joie d’essayer d’accomplir quelque chose de significatif.

Le seul risque, c’est celui de l’échec. Mais l’échec n’est pas équivalent du regret. L’échec, c’est la fierté d’avoir essayé, c’est l’opportunité d’apprendre les leçons, c’est aussi l’opportunité d’essayer à nouveau et mieux.



Athlète sénior, photographie de Alex Rotas. 
Références :

Sur les adolescents et enfants soignés pour le cancer :
- Lori Wiener, Sima Zadeh, Haven Battles et Kristin Baird. (2012). Allowing Adolescents and Young Adults to Plan Their End-of-Life Care », Pediatrics. lire en ligne.
- Nicole Mavrides et Maryland Pao. (2014). Updates in paediatric psycho-oncology, International Review of Psychiatry, vol. 26, no 1,‎ 63–73.  (lire en ligne).

Photographie d'athlètes âgés par Alex Rotas : http://www.bbc.com/news/uk-england-bristol-40886339

TED Talk de Isabel Allende, Comment vivre avec passion quel que soit notre âge : https://www.ted.com/talks/isabel_allende_how_to_live_passionately_no_matter_your_age/transcript (transcript en français)


Pourquoi les histoires des personnes âgées tombant amoureuses à 80 ou 90 ans sont-elles inspirantes (en néerlandais) : https://decorrespondent.nl/6850/waarom-verhalen-over-duikende-tachtigers-en-verliefde-negentigers-zo-populair-zijn/2617137351950-807a0b87   


4 commentaires:

fanny a dit…

Bonjour Catherine,
Je me présente, je m'appelle Fanny,j'ai eu 40 ans cette année.Je suis mariée et maman d'une petite fille de 8 ans. Nous vivons dans le sud de la France. Le 3 juin 2016, on me découvre un cancer des ovaires stade IIIC avec ascite. Après 3 mois de chimio, j'ai subit la même opération que vous(debulking en septembre 2016 )suivie à nouveau de 3 mois de chimio + avastin. J'ai touché le fond en décembre et janvier car j'ai subi une deuxième opération suite à une occlusion sur bride + staphylo sur le portacath + abcès + septicémie. Le corps est une machine incroyable et aujourd'hui je vais mieux. Je suis tjrs sous avastin. Je n'ai jamais osé vous écrire mais je vous lis depuis que je suis malade. J'ai acheté votre livre. Vous m'avez fait du bien et donner du courage car j'avais besoin d'un témoignage, j'avais besoin d'être rassurée. Prenez soin de vous et svp continuez d'écrire.

Catherine T. a dit…

Bonjour Fanny,

je n'avais pas vu votre commentaire avant, je m'excuse de vous répondre si tard. Merci beaucoup d'avoir pris le temps de m'écrire. Cela me fait du bien de lire que mon témoignage est utile. Je pense qu'il est dommage qu'il n'y ait pas beaucoup plus de témoignages publiés, car nous en avons vraiment besoin pour nous sentir moins seuls dans la maladie. Heureusement qu'il y a les blogs ! :-)) C'est bien que vous ayez un mari et une fille à vos cotés. Cela va beaucoup vous aider. J'espère qu'ils vont bien, car c'est très difficile aussi pour la famille et ceux qui nous aiment. De votre coté, la rémission a aussi ses difficultés, j'espère que vous arrivez à faire face. Je vous souhaite beaucoup de courage.

Je vous embrasse,
Catherine

Anonyme a dit…

bonsoir
moi aussi je vous lis depuis 2014
Cancer des ovaires stade 3c , chirurgie chimio avec un bon résultat .
J 'ai parfois participé au premier forum , moins après.On est partagé entre le fait de profiter simplement et un peu egoistement et le fait d'en parler avec des gens parfois plus atteints et donc de replonger dans la maladie .
Vous m'avez beaucoup aidé sans le savoir.
Je vous souhaite pleins de belles années encore à venir, du courage , de la chance ..
marion

Catherine T. a dit…

Merci beaucoup pour ce gentil commentaire, Marion. Je ne viens plus tellement sur mon blog et je suis désolée de répondre si tardivement. Je comprends tout à fait ce que vous décrivez, parfois on veut ne plus penser au cancer. Il m'est difficile aussi de rester présente dans les forums de soutien lorsque je vais vraiment bien et que j'ai envie de vivre sans y penser. Moi, j'alterne les périodes où je suis très présente sur le forum, avec des moments où je m'en éloigne pour me ressourcer. J'espère que tout se passe bien pour vous, et que vous profitez de la vie :-)