vendredi 22 juillet 2016

Ma carte aux collègues


Depuis un an, je suis en congé maladie. Le processus de mise en invalidité permanente a débuté : mon dossier passe entre les mains de l’administration appelée ici le UWV. La décision devrait tomber vers octobre ou novembre cette année.
Je suis passée deux fois au bureau pour discuter de ce processus avec les ressources humaines, mon manager, et deux personnes du syndicat qui me défendent et m’aident à poser des questions auxquelles je ne penserais pas. La personne des ressources humaines s’est montrée vraiment très pro (les deux mecs du syndicat ont permis de mettre sur la touche une personne horrible qui s’occupait de moi au départ et m’avait traitée comme un numéro).
Après les meetings, je suis passée voir quelques collègues, ici et là, dans le grand bâtiment. Beaucoup m’ont aussitôt demandé si j’allais bien… et… si je revenais bientôt. La première fois, je n’ai pas eu le courage de dire que je ne revenais pas. J’ai répondu vaguement que je ne savais pas encore quand, et que j’étais encore en phase de récupération.
À mon deuxième passage, quelques semaines plus tard, j’ai eu le courage de le dire à un de mes anciens managers : « Non, je ne reviens pas, le cancer est devenu chronique… ». Puis un groupe de collègues du premier étage m’a posé la même question. J’ai répondu honnêtement et ils m’ont regardée avec pitié, sans trop savoir quoi dire. Puis il a fallu le redire une troisième fois à une autre collègue du 5ème étage, très chouette collègue qui a su trouver les mots pour continuer la conversation sur le thème de la résilience… Mais j’avais envie de sortir le plus rapidement possible du bâtiment et retourner à ma petite vie où je ne suis pas confrontée aux explications. Et c’est ce que j’ai fait.  
Le pire, c'est quand on me demande : "Que faites-vous dans la vie ? ". Oh, que je crains cette question ! Hier j’ai répondu à un homme qui tenait une galerie d’art et me posais la question : « J’ai été chercheur avant, mais maintenant, je combats le cancer, c’est devenu mon métier ». Il a eu la délicatesse de ne pas poser plus de questions et de parler art… Je redoute les sorties où je vais rencontrer de nouvelles personnes qui risquent de me poser cette question puis vont me regarder avec pitié et compassion. J’ai peur et j’évite ces situations. Je ne sors plus qu’avec les personnes que je connais. « Que faites-vous dans la vie ? ». J’ai refusé des sorties juste parce que j’avais trop peur de me retrouver confrontée à cette question. C’est bête. Il va falloir que j’apprenne à y répondre sans avoir des larmes qui me montent aux yeux.
Pour éviter les questions de mes collègues, j’ai décidé d’envoyer une carte – c’est quand même plus classe qu’un email. Une simple carte – une carte du musées Van Gogh sera parfaite – les amandiers en fleurs. Le symbole du printemps, de la naissance et de la vie. La vie qui continue et se renouvelle.
Sur la carte, j’ai remercié mes collègues pour leur soutien durant ces derniers mois. Je leur ai expliqué la situation médicale et le fait que nous avons décidé de faire une demande d’invalidité permanente (ici il y a deux systèmes, une invalidité temporaire pour laquelle une reprise du travail est attendue, et une invalidité permanente lorsque le pronostic est que le patient de pourra pas retrouver sa santé qui lui permettrait de travailler à mi-temps). J’ai écrit aussi que je réagis bien aux traitements et que j’espère vivre encore quelques années grâce aux thérapies, présentes et à venir. Que je me considère comme à la retraite. Que cette idée me permet de faire face et de continuer à avoir une bonne qualité de vie. J’ai terminé la carte en leur disant que j’espérais les revoir autour d’un verre pour mon départ.
Un poids est tombé de mes épaules. Une grande tristesse. Mais je regarde vers le futur, aussi court soit-il.
Hier, une vieille copine de fac me dit qu’une des étudiantes qui préparait sa thèse avec nous a tout quitté et a repris une exploitation familiale – elle élève des chèvres. Je pensais que ça n’arrivait que dans les films ou dans les fantaisies des cadres au bord du burn-out. J’ai trouvé ça super courageux de sa part. Quitter une situation confortable financièrement. Retourner à la nature, à ses caprices et aux incertitudes.
Je l’ai enviée. Est-ce que j’ai envie moi d’aller élever des chèvres un jour et retourner à la nature ? Non pas vraiment. Je suis envieuse et admirative pourtant. Peut-être parce que la différence fondamentale entre elle et moi, c’est qu’elle a eu un choix.
Il va falloir reconquérir mon estime de moi-même – malgré l’« invalidité ». Garder la tête haute malgré les coups de marteau sur la tête que m’inflige ce cancer au fil des mois. À commencer par, assumer et ne pas avoir honte d’être en « invalidité ». En putain d’invalidité. Ne pas laisser l’amertume et la colère l’emporter. Ne pas m’isoler. Ne pas avoir peur. Avaler les couleuvres et rester digne et forte. M’entourer d’amour.

C’est dur mais ça va le faire J

4 commentaires:

Anonyme a dit…

bonjour, je suis moi même en invalidité. le plus difficile a été l'acceptation que je refusais parce que je la confondais avec la résignation. Je réalise avec le recul que l'invalidité est une protection, un statut lorsque le travail, la vie "normale", je dirais plutot intensive est devenue trop difficile. vous avez d'autres centres d'intérêt et allez avoir le temps de vous y consacrer. c'est ainsi que j'ai décidé de voir les choses. Il y a ce qu'on peut changer et ce qu'on ne peut pas changer

Unknown a dit…

Coucou Catherine,

La question du statut professionnel est une question qui m'a hantée depuis le début de cette satanée maladie. Au début j'ai accepté l'arrêt maladie car je pensais qu'après tout rentrerait dans l'ordre. Ensuite lors de la première rechute, je me suis efforcée de continuer à travailler me sentant moins malade ainsi. mais la fatigue, une septicémie ont eu raison de moi. Puis j'ai repris près de dix mois avant de devoir à nouveau arrêter pour une deuxième rechute. Puis dernièrement j'avais décidé de reprendre à mi temps pour maladie chronique me disant que ça allait aller même si devais refaire une chimio je pourrais alterner maladie et boulot. Puis patratas, nouveaux déboires avec mes marqueurs, nouveaux traitements en vue et là j'ai renoncé à ma reprise du travail. Mais cela reste difficile dans un coin de ma tête il y a encore l'idée que peut-être après je pourrai reprendre...Vu mon âge (61 ans) c'est plus facile pour moi que pour toi si j'arrête de travailler car personne ne s'étonnera si je dis que je suis pensionnée. C'est ce qui va m'arriver... après un an de maladie passé 60 ans, on est pensionné d'office dans l'administration. Ce que je ne voulais pas. Je voulais choisir moi-même la date de mon départ.
Quand on te demande ce que tu fais dans la vie tu pourrais aussi dire que tu animes un groupe de partage, que tu te consacres à l'écriture etc. dans notre société on se définit toujours par son statut professionnel. Quand on est malade on se définit par son statut de malade. Alors qu'on est bien plus que tout cela... Toujours il faut qu'on rentre dans une case..; Pour ma part, l'arrêt complet du travail et la mise automatique à la pension me font peur mais en définitive, le boulot n'a peut-être plus rien à m'apporter et comment est-ce que je veux vivre les dernières années (ou mois ?) de ma vie. Donc toi tu vas avoir un statut d'invalidité qui va te permettre de vivre une vie décente mais qui ne te définit certainement pas toi en tant que personne, tout comme une personne handicapée ne peut être définie par son handicap. heureusement que le temps nous aide à cheminer pour aller vers l'acceptation. Bisous

Catherine T. a dit…

Bonjour "anonyme", je m'excuse de n'avoir pas répondu en juillet. J'ai lu votre commentaire, je me suis dit que j'allais y réfléchir, et puis voilà, il vaut mieux répondre tout de suite au lieu de trop réfléchir car j'ai oublié. Je reprends un peu le temps de la réflexion et du bilan de l'année, cette semaine, avant de rejoindre 2017... C'est vrai cette phrase "résignation", je me suis aussi dit que si j'acceptais l'invalidité c'est comme me dire qu'à partir de maintenant j'attends la mort. Et puis petit à petit, la pensée s'est un peu éloignée. J'ai bien profité de cette invalidité. J'ai fait un peu de bénévolat mais même avec deux après-midi par semaine, il y a des semaines où c'est dur car j'ai l'impression de n'avoir pas le temps de faire le reste, tellement tout me coute de l'énergie. Et puis, j'ai été malade et j'ai manqué plusieurs après-midi de bénévolat. Tout cela m'a fait accepter que je ne peux vraiment plus travailler et que ce n'est pas seulement une mesure humanitaire pour les gens qui ne peuvent plus être soignés mais une mesure pratique, car je ne peux vraiment plus travailler normalement. C'est difficile de s'en rendre compte car je me lève le matin j'ai l'impression que je peux tout faire normalement comme avant, mais tout me coute de plsu en plus d'effort.
Merci, j'espère que vous allez bien et que vous profitez des périodes de fêtes.
Catherine

Catherine T. a dit…

Bonjour Anne-Marie, merci de ton commentaire. Entre temps, nous nous sommes rencontrées dans la "vie réelle" et puis nous somme ensemble sur le forum, mais je te réponds quand même, puisque je suis de retour sur mon blog. Je n'ai toujours pas trouvé de réponse évidente et 'lègére' à la question de ce que je fais dans la vie, depuis l'invalidité. En fait, on ne me la pose presque jamais. Une fois on me l'a posé et cela m'a pris par surprise car c'était dans un magasin. J'ai répondu "je survis au cancer" et voilà. Cela met la personne en face forcément mal à l'aise car que répondre à ça ? Il faut trouver autre chose... J'aime bien ta solution, mais "je suis écrivain" c'est vraiment trop orgueilleux pour moi. Il m'est arrivé récemment de dire "je suis en invalidité car j'ai eu une grave maladie" et ça passe bien, personne ne pose de question, c'est la vérité et ce n'est pas trop lourd, si on te pose la question le soir du réveillon quand tu as envie de parler d'autre chose ;-)
Je t'embrasse !