mercredi 4 janvier 2012

Entre pronostics sombres et lumières de l'espoir (Between dark prognoses and the lights of hope)

(English translation below)

Pendant des mois, mes clics de souris ont joué au yoyo sur les sites Internet où je dénichais les statistiques de survie du cancer de l’ovaire. Je voulais connaitre mon pronostic de survie mais les informations que je lisaient me terrifiaient, et le plus souvent j’abandonnais rapidement mes recherches.

Daniel Kahneman, le psychologue prix Nobel d’économie 2002, parle de deux principaux systèmes qui guident nos interprétations et nos prises de décision. Le premier est le système intuitif sur lequel nous nous reposons en permanence dans la plupart de nos choix, décisions et interprétations. C’est un système rapide et largement inconscient qui est source de beaucoup d’erreurs de jugement, et qui repose sur des "statistiques" intuitives et imparfaites, basées elles-mêmes en grande partie sur nos erreurs de perception et de mémoire. Ce système de pensée fait des moyennes approximatives et simplifie la réalité à l'extrême.

Au contraire, le système rationnel est beaucoup plus objectif, mais lent, et difficile à utiliser. C'est le raisonnement mathématique et scientifique que nos professeurs souffrent à nous enseigner, et que même les professionnels et les scientifiques parfois maîtrisent mal (même les psychologues d'ailleurs, allez je l'ai dit). Ce système devrait secouer nos croyances et nous aider à questionner nos certitudes, mais nous sommes souvent trop paresseux pour cela, car utiliser la pensée rationnelle est très couteux en énergie mentale.

Comprendre les statistiques du cancer, c’est tenter d'utiliser son système rationnel pour chercher des réponses objectives à notre situation. Pour bien faire, il faudrait étudier les données publiées dans les journaux scientifiques ou trouvées sur les sites médicaux (les vrais). Mais notre système rationnel est rapidement pris d’assaut par nos émotions, nos désirs de lire de bonnes nouvelles, ou nos terreurs. Tout peut devenir confus. Toutes ces émotions ralentissent ou paralysent notre compréhension ou notre objectivité.

Alors que je me bas maintenant depuis plus de 6 mois contre ce cancer, et que les chiffres pronostiques deviennent plus familiers, je suis toujours pleine d'émotions contradictoires. Mais j'essaie et je cherche certaines réponses même si elles sont plutôt floues et décevantes. Je vois des lueurs d'espoir, comme ces jeunes filles des tableaux de Georges la Tour qui semblent isolées dans des endroits très obscurs, éclairées seulement par une bougie. Je cherche la chaleur et la douce lumière de la chandelle dans un contexte dominé par les pronostiques sombres.

J'ai trouvé plusieurs raisons de garder beaucoup d'espoir malgré la mortalité très élevée du cancer ovarien.

La première certitude qui s'impose, lorsque l'on étudie les pronostics du cancer du point de vue du patient, est que les chiffres donnés en termes de moyennes ou de médianes sont inutiles pour nous qui souhaiterions des réponses individuelles.

Certains patients s'arrêtent là et préfèrent ne rien savoir, ce qui en fait est presque logique, car toutes les meilleures statistiques du monde ne donneront jamais une bonne estimation du temps qu'il nous reste à vivre.

Effectivement, les chiffres de survie pour un cancer ovarien épithélial varient énormément: de 95 à 10% de survie après 5 ans (après le premier diagnostique). Donc les moyennes et médianes se situent autour des 45% ans (les chiffres varient légèrement selon les pays et les cohortes étudiées; je consulte les données publiées par les instances officielles ou les publications scientifiques des Pays-Bas, France, USA et Royaume Uni). Ce chiffre ne veut certainement pas dire que nous avons toutes un risque sur deux de mourir avant 5 ans. Les variations sont si grandes qu’il faut aller chercher les statistiques en fonction de facteurs spécifiques.

Les facteurs importants qui influencent le pronostic sont surtout : l’étendue de notre tumeur (les stades de I à IV), notre âge, le grade (ou différentiation) des cellules, le fait que le cancer soit récurrent ou traité pour une première fois, et le nombre d’année de survie que nous avons déjà derrière nous.

C'est là que commence le yoyo des sentiments, l'espoir ou le découragement.

Ainsi les sujets plus jeunes ont de très bons pronostics. La moyenne d’âge à laquelle le cancer ovarien est découvert est d’environ 63 ans. La plupart des statistiques faites sur l’ensemble des patients tous âges confondus sont donc faites sur des personnes qui ont autour des 60 ou 65 ans, et dont le corps va souffrir des traitements beaucoup plus que chez les sujets ‘jeunes’. Pour moi c'est une bonne nouvelle. Mon diagnostique a été fait lorsque j’avais 41 ans, or les diagnostiques faits de 20 ans à 44 ans ne représentent que 12% des femmes atteinte de ce cancer. Donc pour les patients de mon groupe d'âge, toutes les moyennes ou médianes données sur l'ensemble des cohortes de patientes doivent être rectifiées à la hausse.

En revanche, le stade à la découverte de la tumeur et le type de cellule est également crucial. Pour mon type de tumeur (cancer épithélial, stade IIIB), le taux moyen de survie à 5 ans (temps calculé à partir du diagnostique) est d'environ 38%. Pas de quoi ouvrir le champagne. Au départ, je pensais que j’avais une chance sur trois seulement d’être encore en vie dans 5 ans et j'étais déprimée par ce chiffre. J'aurais même souhaité ne pas avoir voulu savoir! Mais en fait, pour le groupe des 20 à 49 ans, le chiffre est beaucoup plus élevé, à environ 62%.

Il faut également regarder les taux de survie 1 an après le diagnostique : tous âges confondus, ce taux est de 65% (pour les tumeurs IIIB) – au lieu des 38% que je viens de mentionner. En fait, les chiffres à retenir ici sont que les  toutes premières années sont cruciales et que les chances de survie après un an, puis deux, puis cinq, deviennent de plus en plus élevées comparées aux moyennes calculées au moment du premier diagnostique.

Plusieurs mois après mon diagnostique, juste avant mon opération, j’ai commencé à comprendre que chez certaines femmes, le cancer des ovaires peut totalement disparaitre et ne jamais revenir. Le cancer ovarien peut toujours revenir, et il ne faut pas vivre dans l’illusion que nous serons un jour débarrassées de cette anxiété, car il peut revenir même 15 ans ou 25 ans après le diagnostique initial. Cependant, plus le temps passe, moins cela est probable. Par exemple pour la tumeur ovarienne épithéliale en stade IIIB, les taux de survie après 1 ans, 5 ans, et 10 ans sont de, respectivement, 81%, 38% et 25% (données du SEER, un site américain de statistiques de santé). Cela signifie que un quart des femmes tous âges confondus sont encore en vie après 10 ans… Là encore ces chiffres sont plus élevés lorsque l’on est jeune et lorsqu’ils sont calculés un an après le diagnostique (donc chez les femmes qui ont survécu à l'année où la mortalité est très forte).

Curieusement j'ai mis du temps à être certaine du fait qu'un bon nombre de femmes vivaient sans que le cancer revienne. J'imagine que je n'osait pas y croire car je ne voulais pas espérer trop puis être très déçue. Et puis, comment y croire alors que ce n'est jamais marqué noir sur blanc dans les rapports. On étudie les patientes pendant 10 ans, on publie les statistiques, puis on ne donne  plus de nouvelles... Mais mon médecin gynécologue oncologue me l’a confirmé. Une fois cette découverte faite, mon anxiété a diminué et l’espoir pouvait être permis _ et il n’avait rien d’irrationnel.

Tout est relatif et les chiffres qui me déprimaient l'été dernier me sont maintenant familiers et j'y vois des lueurs d'espoir que je ne voyais pas auparavant.
L'automne dernier, je ne connaissais pas encore cette maladie, je n'avais lu que quelques chiffres généraux (à un moment donné, je pensais que j’avais 80% de risques de mourir d’ici 5 ans !), je ne savais pas encore si j’allais bien réagir à la chimiothérapie, et mon chirurgien lui-même n'était pas certain que la tumeur serait opérable. Comme beaucoup de patients qui préfèrent ne pas connaître leur pronostic, au tout départ je n'ai pas voulu poser de questions à ce sujet à mon oncologue. J'avais peur de sa réponse. Je pensais que je serai plus courageuse pendant le traitement si je ne savais pas tout.

Puis rapidement, ma position a été opposée et j'ai commencé à vouloir connaitre les détails. Et je ne le regrette pas. Quelque chose dans ces chiffres me fascine et m'attire. C'est peut-être mon premier système, comme dirait Khaneman. Ce n'est pas rationnel. Je cherche dans ces chiffres un moyen de maîtriser mon futur, de tenter de contrôler une situation qui m'échappe, et de trouver la bonne nouvelle qui me redonnera beaucoup d'espérance. Petit à petit je me suis familiarisée avec la maladie et tous ces chiffres sont devenus moins angoissants; je connais leurs limites et je commence à connaitre leur langage. Et l'important pour moi, en tant que patiente, est que malgré le fait que cette maladie soit très dangereuse et que beaucoup d'entre nous n'en sortiront pas vivantes, les chiffres laissent quand même la porte ouverte à la possibilité que nous puissions encore vivre beaucoup de belles années.


 Peinture de Georges de la Tour
Magdalen with the Smoking Flam


***

English translation: Between dark prognoses and the lights of hope

For months, my mouse clicks have played yo-yo on the websites where I unearthed the statistics for ovarian cancer. I wanted to know my prognosis for survival, but the information I read terrified me, and usually I'd quickly abandon my research.

Daniel Kahneman, the psychologist who won the Nobel Prize in Economics in 2002, talks about two main systems that guide our interpretations and decisions. The first is the intuitive system, with which we establish most of our choices, decisions and interpretations. This is a fast and largely unconscious thinking system that is the source of many misjudgments. It is based on intuitive and imperfect 'statistics', based themselves largely on our subjective and biased perception and memory. This system tends to average things, to simplify reality, and to provide us with quick answers, instead of dealing with complexities and uncertainties.

Instead, the rational system is much more objective, but slow, and difficult to use. This is the mathematical and scientific reasoning that our teachers painfully tried to teach us, and that even professionals and scientists fail to use (and even psychologists for that matter). It should shaken our believes and help us question our confidence but most often we are too lazy to do so because using rationality is just hard.

Understanding cancer statistics is trying to use the rational system to seek objective answers to our situation. Ideally, one should study data published in scientific journals or found on (real) medical sites. But our rational system is quickly taken over by our emotions, our desires to read good news, or our fears. We become confused. Emotions slow down and impair our understanding and our objectivity.

As I have been fighting for over 6 months against this cancer, and as prognoses figures have become more familiar, I am still always full of conflicting emotions. But I keep trying to find some answers even if they will be rather vague and disappointing. I see glimmers of hope, just like these girls isolated in the dark and lit only by small candles in George de la Tour's paintings. I am looking for the warmth and soft light of the candle in a context dominated by the dark prognosis.

I found several reasons to remain very hopeful despite the very high mortality of ovarian cancer.

The first certainty that imposes itself, when considering the prognosis of cancer patient's perspective, is that the figures given in terms of means or medians are unless for people like us who would like to find individual responses.

Some patients prefer to stop there and know nothing, making it almost makes sense because all the best world statistics will never give a good estimate of the time left to live for one person. Not even a close approximation.

Indeed, the survival figures for epithelial ovarian cancer vary widely: from 95 to 10% survival after 5 years (after the first diagnosis). So the mean and median are around 45% of years (the numbers vary slightly depending on the countries and cohorts studied, I consult the data published by the official or scientific publications of the Netherlands, France, United States and United Kingdom) .

This figure certainly does not mean we all have a risk to die within 5 years. The variations are so large that we should seek statistics based on specific factors.

Important factors that influence prognosis are mainly: the extent of our tumors (stages I to IV), our age, grade (or differentiation) of cell, whether the cancer is recurrent or treated for first time , and the number of years of survival that are already behind us.

Here begin the yo-yo feelings, hope and discouragement.

Younger people have a very good prognosis. The average age at which ovarian cancer is found is about 63 years old. Most of the statistics made on all patients of all ages are made on people who have around 60 or 65 years, and whose body will suffer much more from the treatments than 'young' subjects. For me this is good news. My diagnosis was made when I was 41. The age group of women diagnosed between 20 and 44 years only represents only 12% of women. So for patients in my age group, all mean or median data for all cohorts of patients must be corrected upward.

However, the discovery stage of the tumor and the type of cell is also crucial. For my type of tumor (epithelial cancer, stage IIIB), the average 5-year survival (calculated from time of diagnosis) is only around 38%. Not enough to open a bottle of our best Champagne. At first I even thought I had only one chance in three to be still alive in 5 years and I was depressed by this figure. I even wished not to have wanted to know in the first place! But in fact, for the group of 20 to 49, this figure is much higher, about 62%.

We must also look at survival rates 1 year after diagnosis: for all age groups, this rate is 65% (for tumors IIIB) _ instead of 38% that I just mentioned. Quite a contrast.

The facts to remember from all these numbers are that the early years are crucial and that the chances of survival after one year, then two, then five, become higher and higher as compared with the averages calculated at the time of first diagnosis.

Several months after my diagnosis, just before my surgery, I began to understand that in some women, ovarian cancer can completely disappear and never return. Ovarian cancer can always come back and I am not saying that we should live in the illusion that one day we will be rid of this anxiety. Because it is sneaky and can come back even 15 or 25 years after initial diagnosis. However, as time passes, this is less and less likely.

For example in epithelial ovarian tumor stage IIIB, the survival rate after 1 year, 5 years and 10 years are respectively 81%, 38% and 25% (data from SEER, a U.S. site for Health Statistics ). This means that a quarter of women of all ages are still alive after 10 years ... Again these figures are higher when you are young and when calculated one year after diagnosis (ie women who have survived the year in which mortality is very high).

Curiously I have been slow in believing that many women could live without the cancer coming back. I guess I did not dare to believe it because I did not want to expect too much and be very disappointed. And how then to believe that fact that is never written in black and white in the reports. They study patients for 10 years, publish their statistics, then we're left without further news... But my gynecologist oncologist confirmed it to me: yes, some women do not see their cancer coming back. Even for ovarian cancer. After this discovery, my anxiety has decreased and I allowed myself to be much more hopeful _ hope was not irrational anymore.

Everything is relative and the numbers that I made me feel depressed last summer are now familiar figure. I see glimmers of hope. Last fall, I did not yet know this disease; I had read only some general figures (at one point, I thought I had 80% chance of dying within 5 years!); I did not know yet if I would respond well to chemotherapy; and my surgeon himself was uncertain whether the tumor is operable. Being optimistic was like being in denial.

So I really understand that many patients prefer not to know their prognosis. I even remember that at the very very start I was also not willing to ask questions about my prognosis to my oncologist! I was afraid of his answers. I thought I would be braver if I did not know everything.

Then quickly, my position has been the opposite and I started to want to know the details. And I do not regret it. Something in these figures fascinates me and attracts me. This may be my first system, as Khaneman would say. It is not rational. I am looking at these figures as a way to control my future. I am trying to control an elusive situation, and trying to find some good news that will give me much hope. Gradually I became familiar with the disease and these numbers have become less scary and I know their limits and I begin to know their language. The most important thing to me now, as a patient, is that despite the fact that this disease is very dangerous and that many of us will not come out alive, the figures still leave the door open to the possibility that many of us can still live many happy years in the future.
Painting from Georges de la Tour
Magdalen with the Smoking Flam




3 commentaires:

Siobhan a dit…

This is a great entry--it's so fascinating seeing how you have to stop yourself from jumping to conclusions after reading some web pages on survival rates (as I did too when I looked up ovarian cancer.
It's funny, I think of the intuitive system as the one most connected to the amygdala: always ready to over-react in order to keep one's self alive in the short term but not very good at keeping you alive in the long term. I'm glad your frontal cortex i.e. the "candle of hope of reason" is helping you through your fears!

Catherine T. a dit…

Hi Siobhan,
did you read this new Khaneman book? He writes a lot about this interference of emotions and 'gut feelings' in making decisions, it's fascinating.
He reminds us that fear is much more powerful than hope even in small decisions (like in Fredericskon theory of happiness or Gottman on relationships, with their ratios of 3:1 or 5:1 positive things to counterbalance negative events).
Also the power of a 100% statistique against a 99,9%, the certitude effect. Whatever the statistiques will be, as long as we dont hear a 100% success of treatment, there will always be fear. I am not sure that a 30% or a 60% makes a lot of difference for me, the need to "build" hope is the same.
I've registered to a mindfulness therapy and hope this will help me manage all these fears; it's a 8 weeks intensive meditation class for cancer patients so stay tuned, my frtonal lobe should grow further :-))

Catherine T. a dit…

Siobhan, i am just thinking further about your comment. Is amygdala 'turned on' in chronic stress models? is this what activates the chain of stress reaction and its impact on the immune system in the long term? I guessed that's what you meant but perhaps i am wrong.
Cheers, C