mardi 10 janvier 2012

Commencer à vivre dans le présent (Starting to live in the Now)

Sur le site internet du New York Times, des survivants du cancer postent une photo et un bref commentaire sur leur vie après le cancer. Beaucoup mentionnent qu'ils profitent mieux de la vie et de ce qu'ils ont qu'avant le  cancer. C'était pour moi une idée très choquante au départ. Je me demandais si ces personnes n'étaient pas dans le déni, un mécanisme de défense dont mes professeurs de psychologie clinique imprégnés de théorie psychanalytique nous parlaient souvent. Une façon inappropriée de fuir la réalité.

(site du New York times  http://submit.nytimes.com/after-cancer et les photos sont là:
http://www.nytimes.com/interactive/2010/04/08/health/cancer-survivor-photos.html?ref=health)

Cette nouvelle façon de penser prend le devant dans ma vie mentale et j'en comprends quelques unes des causes. Ce n'est pas un déni car cela coexiste avec une forte prise de conscience de notre nouvelle fragilité. C'est un mécanisme de résistance très efficace et très positif qui protège notre santé mentale, en particulier contre les peurs et tous les sentiments qui lui sont liés, comme l'anxiété, la solitude, ou la colère.

Je crois que le cancer (et certainement toutes les autres maladies où le pronostique vital est en jeu) nous force à percevoir les choses différemment. Ce n'est pas simplement la façon dont on pense aux choses. Le risque de mort affecte notre perception elle-même. Le cancer nous ouvre les yeux et nous force à être beaucoup plus présent. Je sens que c'est une transformation qui devient de plus en plus évidente dans la façon dont je pense désormais, et elle devient de plus en plus forte au fil des mois.

Cela commence par la façon dont l'annonce du diagnostique affecte notre perception du temps. Avant le cancer je pensais que j'avais encore plusieurs décennies à vivre étant donné mon excellente condition physique. Oh, bien sûr, je savais que la vie pouvait être brève car j'avais perdu ma mère très jeune (elle est décédée d'un cancer avant 40 ans). Les deux types de pensées coexistaient pacifiquement dans mon esprit. Lorsque cela m'arrangeait, je fonçais: "La vie est courte". Mais je faisais aussi des plans à très long terme.

Le choc du diagnostique m'a laissée confuse. Les premières semaines, j'étais incrédule. Ensuite, petit à petit, ma notion du temps s'est modifiée. C'est très difficile à décrire. Pour une large part, ce n'est pas quelque chose que j'ai choisi. Au départ, je ne me suis pas dit: "Arrête d'y penser". C'est plutôt comme un processus de conditionnement: le plaisir était remplacé par une immense peine lorsque je pensais au futur lointain. Du coup rapidement les représentations du futur lointain ont disparu. Les rêves ou les soucis associés ne me venaient plus souvent à l'esprit, et surtout plus dans mes rêveries éveillée.

Mon impression est que notre cerveau et notre esprit s'adaptent progressivement pour nous permettre de continuer à vivre sans sombrer dans la dépression. Après la grande tempête dans le crâne suivant le diagnostique, au bout de quelques semaines et quelques mois, des mécanismes de survie se mettent en place.

Un des bons cotés est que ma vie mentale s'est libérée de beaucoup de préoccupations inutiles. Plus de soucis extraordinaires sur le futur. Je ne pense plus à une nouvelles carrière, à mon futur CV, ou à des placements financiers sur 10 ans. Débarrassée des spéculations sur les différents scénarios de l'avenir, débarrassée des soucis à propos de ce que les gens penseront de moi, ou de ce que je devrais commencer à apprendre maintenant pour entreprendre tel ou tel future projet... 

Je fais encore des projets, mais à court terme. Les prochaines vacances de Mars me réjouissent à l'avance et tout est déjà organisé, tickets de train et locations. Quelques projets d'écriture pour les mois qui viennent. Beaucoup de questions à résoudre sur les projets que je vais bientôt reprendre au travail. Mais j'ai quasiment vidé les 'tiroirs' de mon cerveau où je collectionnais les projets et soucis de plus d'un an ou deux. Si je suis encore en vie, tant mieux, et je ferai alors de nouveaux plans le moment venu.

Tout n'est pas automatique. Je me surprends souvent à me battre activement contre les pensées angoissantes et à repousser les idées sur le futur en tentant de penser immédiatement à autre chose. Lorsque je n'y arrive pas, j'en parle parfois à mes amies. Par exemple je me fais du soucis pour mon fils. Mais je me force à ne pas y penser, car je ne peux pas maîtriser ce futur. Imaginer ce qui arriverait à mon fils si le cancer revenait, me rempli de tristesse et de culpabilité. Je suis forcée de repousser ces pensées. Mes amies soulignent ce que j'ai et ce que j'ai déjà accompli. Elles croient aussi dans mes chances de survivre longtemps, parfois plus que je n'y crois moi même.

Finalement, vivre sans grands plans rend la vie plus simple et beaucoup plus belle. Les émotions sont plus intenses. Les priorités dans la vie deviennent beaucoup plus évidentes et on se débarrasse de ce qui n'est pas essentiel. On se libère de beaucoup de soucis et de contraintes que l'on s'imposait sans s'en rendre compte. On apprend à dire non aux voleurs de temps. Et au final on prend mieux soin de soi même.  

Les moines bouddhistes et les personnes qui pratiquent la méditation et le mindfulness depuis longtemps n'arrêtent pas de le dire. Se concentrer  sur le présent, c'est cultiver le bonheur. Il m'aura fallu ce grand drame pour finalement commencer à l'apprendre, non pas seulement comprendre cette idée intellectuellement, mais effectivement vivre au jour le jour avec cette nouvelle manière de penser et en découvrir les bénéfices.

Et je vais continuer à m'y entraîner car la bataille est loin d'être gagnée, la tristesse et les soucis ne se laissent pas dominer facilement. Ils sont liés à la peur et autres pensées négatives, forces mentales beaucoup plus fortes que les pensées positives (le plaisirs quotidiens dus aux sentiments agréables comme la joie, la contemplation, l'amour, le contentement, etc). Il faut au moins 3 pensées positives pour effacer une pensée négative nous dit Dr Frederickson, la spécialiste du bien-être. C'est une bataille quotidienne.




Photos du mois de Novembre dernier, avec mon fils William le jour de sa ceinture orange de Karaté.
Quelques jours avant, ma première sortie dehors après mon opération.
Je pouvais à peine marcher et je portais sur la tête mon bandeau fétiche, un bandeau "Tour de France" que Florence m'avait apportée.
Les photos sont d'Evelyne qui était venue passer trois semaines pour m'aider.
Pictures from last November, with my son William, on the day of his Orage Belt in Karate.
A few days before, my first walk outside after surgery. I could barely walk and I carried on the head my favourite band, "Tour de France", that Florence had offered to me.
The pictures are by Evelyne who came to spend three weeks to help me.


 ***

English translation: Starting to Live in the Now 


On New York Times' website, cancer survivors can post their picture and a brief commentary about their life after cancer. Many say they get more out of life than before they have cancer. For me it was a very shocking idea to begin with. I wondered if they were not in denial, a defence mechanism that my former professors of clinical psychology immersed in psychoanalytic theories used to talk about very often.

(New York Times website: http://submit.nytimes.com/after-cancer )

But this type of joy and type way of thinking is progressively coming also in my mental life and I understand some of its causes, and starting to enjoy some of its consequences. This is not a denial because it coexists with a strong awareness of our new fragility. This is a very effective mechanism of resistance (or resilience) and certainly a very positive way to protect our mental health, especially against the fears and the feelings associated with it, such as anxiety, loneliness, or anger.

Cancer (and all diseases where the prognosis is life threatening) forces us to perceive things differently. It's not just how we think about things. The risk of death affects our perception itself. Cancer opens our eyes and forces us to be much more present. I feel it's a transformation that is becoming increasingly evident in the way I feel now, and it is becoming stronger over the months.

It started with how the announcement of the diagnosis affected my perception of time. Before cancer I thought I had several more decades to live because of my excellent physical condition. Oh sure, I knew that life could be brief because I lost my mother very young (she died of cancer before age 40). But the two types of thought coexisted pacifically in my mind. When it suited me, I rushed: "Life is short." But I was also very good at making lots of very long-term plans.

The shock of diagnosis has confused me. The first few weeks, I was incredulous. Then, little by little, my sense of time has changed. It's very hard to describe. To a large extent, this is not something I chose. Initially, I did not say, "Stop thinking about it." It's more like a conditioning process: the pleasure was replaced by a great sorrow when I thought of the distant future. So quickly the representations of the far future were not coming back easily. Dreams or concerns related to my future didn't come to mind often anymore, and certainly not in my daily dreams.

My impression is that our brains and our minds are gradually adapting to enable us to continue to live without sinking into depression. After the great storm in the skull following diagnosis, after a few weeks and months, coping mechanisms or resilience mechanisms are being established.

One silver lining is that my mental life has been freed from a lot of unnecessary concerns. No more extraordinary worries about the future. I do not worry about starting a new career, about living somewhere else, or about financial investments. I am free of endless speculations about future scenarios, but also free of worries about what people think of me, or about what I should start learning now to undertake a specific future project.

I still have plans, but in the short term. There will be holidays in March that I look forward to; everything has been booked, train tickets and rentals. And some writing projects for the coming months. And some questions regarding the projects I will undertake once I am back to work. But I've almost emptied the 'drawer' of my brain where I collected the projects and concerns over a year or two. If I'm still alive, well and good, I will make new plans when the time comes.

All these changes are not entirely automatic. I often catch myself fighting actively against distressing thoughts and pushing away thoughts about long-term future. I try to think of something else immediately. When I can not, sometimes I talk to my friends about all my worries. For example, I'm worried for my son. But I force myself to not think about it, because I can not control the future. Imagining what would happen to my son if the cancer came back, fills me with sadness and guilt. I am forced to push away thoughts like these. My friends emphasize all what I have done, and keep telling me that my son is strong and will make it whatever the circumstances. They also believe in my chances of surviving a long time, sometimes more than I believe it myself.

Finally, live without big plans makes life simpler and more beautiful. Emotions are more intense. Priorities in life become much more obvious and we get rid of what is not essential. It is free of many worries and stresses that are necessary without realizing it. You learn to say no to time thieves. And finally we take better care of yourself.

Buddhist monks and people who practice meditation and mindfulness for a long time keep on telling us: Focusing on the present is cultivating happiness. It took me this traumatic life event to finally begin to learn it, and not just understand the idea intellectually. I knew it but until now it was not so strong. Now I can feel that living in the present has a lot of benefits, a better perception of the environment and a better enjoyment of life, free from many (not all, but many) worries.

And I will continue to go and build strength this way, because the battle is far from over: sadness and worry do not let themselves easily dominate. They are related to fear and other negative feelings, negative mental forces much stronger than the positive ones (positive feelings are pleasant feelings coming from daily circumstances such as joy, contemplation, love, contentment, etc.). It takes at least three positive thoughts to compensate for a negative one, wrote Dr. Frederickson, a renown specialist in well-being. It's a daily battle.

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