(site du New York times http://submit.nytimes.com/after-cancer et les photos sont là:
http://www.nytimes.com/interactive/2010/04/08/health/cancer-survivor-photos.html?ref=health)
Cette nouvelle façon de penser prend le devant dans ma vie mentale et j'en comprends quelques unes des causes. Ce n'est pas un déni car cela coexiste avec une forte prise de conscience de notre nouvelle fragilité. C'est un mécanisme de résistance très efficace et très positif qui protège notre santé mentale, en particulier contre les peurs et tous les sentiments qui lui sont liés, comme l'anxiété, la solitude, ou la colère.
Je crois que le cancer (et certainement toutes les autres maladies où le pronostique vital est en jeu) nous force à percevoir les choses différemment. Ce n'est pas simplement la façon dont on pense aux choses. Le risque de mort affecte notre perception elle-même. Le cancer nous ouvre les yeux et nous force à être beaucoup plus présent. Je sens que c'est une transformation qui devient de plus en plus évidente dans la façon dont je pense désormais, et elle devient de plus en plus forte au fil des mois.
Cela commence par la façon dont l'annonce du diagnostique affecte notre
perception du temps. Avant le cancer je pensais que j'avais encore plusieurs décennies à vivre
étant donné mon excellente condition physique. Oh, bien sûr, je savais que la
vie pouvait être brève car j'avais perdu ma mère très jeune (elle est décédée
d'un cancer avant 40 ans). Les deux types de pensées coexistaient pacifiquement
dans mon esprit. Lorsque cela m'arrangeait, je fonçais: "La vie est
courte". Mais je faisais aussi des plans à très long terme.
Le choc du diagnostique m'a laissée confuse. Les premières semaines,
j'étais incrédule. Ensuite, petit à petit, ma notion du temps s'est modifiée.
C'est très difficile à décrire. Pour une large part, ce n'est pas quelque chose
que j'ai choisi. Au départ, je ne me suis pas dit: "Arrête d'y
penser". C'est plutôt comme un processus de conditionnement: le plaisir était
remplacé par une immense peine lorsque je pensais au futur lointain. Du coup
rapidement les représentations du futur lointain ont disparu. Les rêves ou les
soucis associés ne me venaient plus souvent à l'esprit, et surtout plus dans
mes rêveries éveillée.
Mon impression est que notre cerveau et notre esprit s'adaptent progressivement
pour nous permettre de continuer à vivre sans sombrer dans la dépression. Après
la grande tempête dans le crâne suivant le diagnostique, au bout de quelques
semaines et quelques mois, des mécanismes de survie se mettent en place.
Un des bons cotés est que ma vie mentale s'est libérée de beaucoup de
préoccupations inutiles. Plus de soucis extraordinaires sur le futur. Je ne
pense plus à une nouvelles carrière, à mon futur CV, ou à des placements
financiers sur 10 ans. Débarrassée des spéculations sur les différents
scénarios de l'avenir, débarrassée des soucis à propos de ce que les gens
penseront de moi, ou de ce que je devrais commencer à apprendre maintenant pour
entreprendre tel ou tel future projet...
Je fais encore des projets, mais à court terme. Les prochaines vacances de
Mars me réjouissent à l'avance et tout est déjà organisé, tickets de train et
locations. Quelques projets d'écriture pour les mois qui viennent. Beaucoup de
questions à résoudre sur les projets que je vais bientôt reprendre au travail.
Mais j'ai quasiment vidé les 'tiroirs' de mon cerveau où je collectionnais les
projets et soucis de plus d'un an ou deux. Si je suis encore en vie, tant
mieux, et je ferai alors de nouveaux plans le moment venu.
Tout n'est pas automatique. Je me surprends souvent à me battre activement
contre les pensées angoissantes et à repousser les idées sur le futur en tentant
de penser immédiatement à autre chose. Lorsque je n'y arrive pas, j'en parle
parfois à mes amies. Par exemple je me fais du soucis pour mon fils. Mais je me
force à ne pas y penser, car je ne peux pas maîtriser ce futur. Imaginer ce qui
arriverait à mon fils si le cancer revenait, me rempli de tristesse et de
culpabilité. Je suis forcée de repousser ces pensées. Mes amies soulignent ce
que j'ai et ce que j'ai déjà accompli. Elles croient aussi dans mes chances de
survivre longtemps, parfois plus que je n'y crois moi même.
Finalement, vivre sans grands plans rend la vie plus simple et beaucoup
plus belle. Les émotions sont plus intenses. Les priorités dans la vie
deviennent beaucoup plus évidentes et on se débarrasse de ce qui n'est pas
essentiel. On se libère de beaucoup de soucis et de contraintes que l'on
s'imposait sans s'en rendre compte. On apprend à dire non aux voleurs de temps.
Et au final on prend mieux soin de soi même.
Les moines bouddhistes et les personnes qui pratiquent la méditation et le
mindfulness depuis longtemps n'arrêtent pas de le dire. Se concentrer sur le présent, c'est cultiver le bonheur. Il
m'aura fallu ce grand drame pour finalement commencer à l'apprendre, non pas
seulement comprendre cette idée intellectuellement, mais effectivement vivre au
jour le jour avec cette nouvelle manière de penser et en découvrir les
bénéfices.
Et je vais continuer à m'y entraîner car la bataille est loin d'être
gagnée, la tristesse et les soucis ne se laissent pas dominer facilement. Ils
sont liés à la peur et autres pensées négatives, forces mentales beaucoup plus
fortes que les pensées positives (le plaisirs quotidiens dus aux sentiments
agréables comme la joie, la contemplation, l'amour, le contentement, etc). Il
faut au moins 3 pensées positives pour effacer une pensée négative nous dit Dr
Frederickson, la spécialiste du bien-être. C'est une bataille quotidienne.
Photos du mois de Novembre dernier, avec mon fils William le jour de sa ceinture orange de Karaté.
Quelques jours avant, ma première sortie dehors après mon opération.
Je pouvais à peine marcher et je portais sur la tête mon bandeau fétiche, un bandeau "Tour de France" que Florence m'avait apportée.
Les photos sont d'Evelyne qui était venue passer trois semaines pour m'aider.
Pictures from last November, with my son
William, on the day of his Orage Belt in Karate.
A few days before, my first walk outside after surgery. I could barely walk and I
carried on the head my favourite band, "Tour de France", that Florence had offered to
me.
The pictures are by Evelyne who came to spend three weeks to help me.
English translation:
Starting to Live in the Now
On New York Times' website, cancer survivors can
post their picture and a brief commentary about their life after cancer. Many
say they get more out of life than before they have cancer. For me it was a
very shocking idea to begin with. I wondered if they were not in denial, a defence
mechanism that my former professors of clinical psychology immersed in
psychoanalytic theories used to talk about very often.
(New York Times website: http://submit.nytimes.com/after-cancer )
But this type of joy and type way of thinking is progressively coming also in my mental life and I understand some of its causes, and starting to enjoy some of its consequences. This is not a denial because it coexists with a strong awareness of our new fragility. This is a very effective mechanism of resistance (or resilience) and certainly a very positive way to protect our mental health, especially against the fears and the feelings associated with it, such as anxiety, loneliness, or anger.
Cancer (and all diseases where the prognosis is
life threatening) forces us to perceive things differently. It's not just how
we think about things. The risk of death affects our perception itself. Cancer
opens our eyes and forces us to be much more present. I feel it's a
transformation that is becoming increasingly evident in the way I feel now, and
it is becoming stronger over the months.
It started with how the announcement of the
diagnosis affected my perception of time. Before cancer I thought I had several
more decades to live because of my excellent physical condition. Oh sure, I
knew that life could be brief because I lost my mother very young (she died of
cancer before age 40). But the two types of thought coexisted pacifically in my
mind. When it suited me, I rushed: "Life is short." But I was also
very good at making lots of very long-term plans.
The shock of diagnosis has confused me. The
first few weeks, I was incredulous. Then, little by little, my sense of time
has changed. It's very hard to describe. To a large extent, this is not
something I chose. Initially, I did not say, "Stop thinking about
it." It's more like a conditioning process: the pleasure was replaced by a
great sorrow when I thought of the distant future. So quickly the
representations of the far future were not coming back easily. Dreams or
concerns related to my future didn't come to mind often anymore, and certainly
not in my daily dreams.
My impression is that our brains and our minds
are gradually adapting to enable us to continue to live without sinking into
depression. After the great storm in the skull following diagnosis, after a few
weeks and months, coping mechanisms or resilience mechanisms are being
established.
One silver lining is that my mental life has been
freed from a lot of unnecessary concerns. No more extraordinary worries about
the future. I do not worry about starting a new career, about living somewhere
else, or about financial investments. I am free of endless speculations about future
scenarios, but also free of worries about what people think of me, or about
what I should start learning now to undertake a specific future project.
I still have plans, but in the short term. There
will be holidays in March that I look forward to; everything has been booked, train
tickets and rentals. And some writing projects for the coming months. And some
questions regarding the projects I will undertake once I am back to work. But I've
almost emptied the 'drawer' of my brain where I collected the projects and
concerns over a year or two. If I'm still alive, well and good, I will make new
plans when the time comes.
All these changes are not entirely automatic. I
often catch myself fighting actively against distressing thoughts and pushing
away thoughts about long-term future. I try to think of something else
immediately. When I can not, sometimes I talk to my friends about all my
worries. For example, I'm worried for my son. But I force myself to not think
about it, because I can not control the future. Imagining what would happen to
my son if the cancer came back, fills me with sadness and guilt. I am forced to
push away thoughts like these. My friends emphasize all what I have done, and
keep telling me that my son is strong and will make it whatever the
circumstances. They also believe in my chances of surviving a long time,
sometimes more than I believe it myself.
Finally, live without big plans makes life
simpler and more beautiful. Emotions are more intense. Priorities in life
become much more obvious and we get rid of what is not essential. It is free of
many worries and stresses that are necessary without realizing it. You learn to
say no to time thieves. And finally we take better care of yourself.
Buddhist monks and people who practice
meditation and mindfulness for a long time keep on telling us: Focusing on the
present is cultivating happiness. It took me this traumatic life event to finally
begin to learn it, and not just understand the idea intellectually. I knew it
but until now it was not so strong. Now I can feel that living in the present
has a lot of benefits, a better perception of the environment and a better
enjoyment of life, free from many (not all, but many) worries.
And I will continue to go and build strength this
way, because the battle is far from over: sadness and worry do not let
themselves easily dominate. They are related to fear and other negative feelings,
negative mental forces much stronger than the positive ones (positive feelings
are pleasant feelings coming from daily circumstances such as joy,
contemplation, love, contentment, etc.). It takes at least three positive
thoughts to compensate for a negative one, wrote Dr. Frederickson, a renown specialist
in well-being. It's a daily battle.
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