mardi 27 septembre 2011

Les pronostics? Non merci, docteur… Enfin dites moi quand même. (Prognosis...)

 
Ce dimanche dernier, je suis allée prendre un petit déjeuner en ville pour rencontrer un ami médecin. J’avais un mal de ventre affreux le matin mais j’ai pris mon paracétamol à l’avance, et j’allais assez bien pour y aller. Depuis que j’ai commencé la chimio, je marche beaucoup mieux _ probablement un signe que la tumeur réduit… ou un effet placebo. Mais je préfère penser que la tumeur réduit.

Je voulais vraiment avoir du temps avec un professionnel et lui parler de mon pronostique, mais je ne savais pas encore quelle question poser ou comment la poser. Je savais juste que mon pronostique me rendait très confuse, et n’apportait pas grand-chose de plus à mon quotidien à part beaucoup d’anxiété.

Je connais bien les statistiques, c’est quasiment mon métier car on ne fait pas de psychologie scientifique sans statistiques. J’ai trouvé les statistiques concernant mes chances de survie à 5 ans sur Internet, qu’un ami oncologiste m’a confirmées. A mon stade, mes chances d’être encore en vie dans 5 ans sont d’environ 30% (les chiffres varient un peu selon les sources). Le risque que mon cancer revienne même s’il est soigné cette fois-ci sont extrêmement élevés : d’après Internet toujours et sur des sites anglophones (le site américain du NHI, National Health Institute et une association spécialisée dans le cancer ovarien) j’ai un risque de 70 à 90% que mon cancer revienne. Je n’ai pas encore soigné celui-ci que je pense déjà au prochain !

Je vis avec ces statistiques en tête en permanence, tout en sachant parfaitement que cela ne veut rien dire pour moi, en tant qu’individu. Je le sais mais je voulais quand même savoir ! Je veux tenter de maîtriser l’aléatoire… car les caprices des cellules cancéreuses sont extrêmement difficiles à comprendre pour les médecins et chercheurs. Je sais qu’ils ne peuvent pas me dire « chère madame, vous avez encore environ 4 ans à vivre (alors profitez-en !), et peut-être plus mais on ne peut pas vous garantir. »

Ces statistiques ne m’aident pas à mieux vivre, au contraire. Le pronostic est donné sous forme de survie pendant 5 ans suivant le diagnostique _ une statistique calculée sur des données passées et sur tous les patients et tous types de cellules. Ce ne sont que des moyennes. En fait, la variabilité des réactions au traitement est très élevée. Cela ne me dit pas si je vais vivre seulement 1 an ou 4 ans et 364 jours. Cela ne me dit pas si dans 5 ans je serai en vie et à dos de chameau à visiter les pyramides d’Egypte ou bien dans mon lit au seuil de la mort. Et surtout cela ne me dit pas qui passera le cap des 5 ans : les plus jeunes, les plus sportives, les plus chanceuses, les végétariennes, les plus battantes… ?

Il y a deux questions qui sont importantes pour moi maintenant. C’est qu’est-ce que je dois faire pour m’en sortir vivante ? Et comment est-ce que je dois vivre, maintenant, aujourd’hui, sachant que je n’ai pas idée du temps qu’il me reste à vivre.  Et c’est cette deuxième question qui me torturait l’esprit ce dimanche matin et dont j’ai parlé à cet ami en pleurant sur mon thé et en m’excusant de pleurer.

Désormais lorsque je commence à faire des plans, je suis aussitôt très triste et je me stoppe dans mon élan. «  Non Catherine, ne te fais pas trop de plans ». Je ne veux pas être déçue s’ils ne peuvent pas être réalisés. Je cherche à être réaliste, et mon coté intellectuel ne m’aide pas et me force à ne pas me laisser aller à mes émotions mais à penser rationnellement. Or ne pas faire de plans est une torture mentale. J’ai l’impression de ne plus avoir de raison de vivre si je ne peux pas me réveiller le matin avec la perspective de faire quelque chose de chouette dans la journée. Et je veux dire, quelque chose de vraiment important, pas simplement prendre un bon bain et écouter de la musique. Je suis ambitieuse et de plus je n’arrive pas à vivre juste pour moi-même, je veux quelque chose qui compte et qui aide...

Oh, je sais profiter du présent, aller me promener dans le parc à coté de chez nous, jouer avec William à un jeu de société ou regarder ensemble un programme télé qui nous fait rigoler. Je rigole et je suis heureuse. Mais ça ne remplit pas ma vie. Je suis loin d’être la seule : il faut que la vie ait un sens, le sens que chacun de nous lui donne en faisant les choses qu’on aime et dont on reconnaît l’importance.

Je n’avais pas trouvé la solution ce dimanche et je ne savais même pas comment formuler mes questions, je me sentais seulement très confuse, triste et anxieuse en pensant à ces statistiques et mon avenir ou mon manque d’avenir.

Je dis à mon ami que j’aime écrire mais écrire un livre prend tellement de temps que je pourrais mourir plusieurs fois avant d’y arriver. Et j’ai tellement de fatigue, est-ce que je peux toujours lire la littérature scientifique et la synthétiser ? Je n’en suis pas sûre du tout. Je pleure. Mon ami me dit qu’il vaut mieux être réaliste et ne pas se bercer d’illusions, sinon on tombe de haut et on n'est pas prêt à affronter les prochaines épreuves. Il ne faut pas vivre dans le déni. Cela m’aide qu’il me dise cela. Je me sentais coupable de me sentir triste et parfois sans espoir. Cela me fait du bien qu’on me dise que ce n’est pas une mauvaise chose. Etre réaliste, cela nous rend plus triste, mais on peut aussi simplement faire des plans plus réalistes. On n'économisera pas pendant 7 ans pour prendre une année sabbatique et faire le tour du monde… mais on peut penser aux prochaines vacances d’été quand même et y penser comme si ce seront nos dernières vacances d’été. Alors si mes prochaines vacances d’été doivent être les dernières,  où est-ce que j’aimerais les passer et qu’est-ce que j’aimerais vraiment voir et faire ? Des images d’une croisière en Norvège pour voir les Fjords et les aurores boréales me viennent à l’esprit… est-ce que William aimera ça ?

En psychologie, le dilemme de l’optimiste et du pessimiste a été discuté par des psychologues spécialisés dans la « résistance » (resilience en anglais) et la psychologie positive (Martin Seligman est souvent cité). Selon les psychologues positivistes, de nombreuses études montrent que les optimistes sont plus heureux et qu’ils accomplissent aussi plus de choses que les pessimistes car ils ont moins peur de l’échec. Mais, les pessimistes sont en fait plus objectifs, et en règle générale ils ont raison…

Au bout du compte je vais sûrement être du coté des pessimistes mais tenter de l’être sans être anéantie par la perspective de ne vivre qu’une vie courte. Je pense que maintenant je dois faire des plans à plus court terme. Je ne pense pas que cela influence mes chances de survie… ou plutôt je l’espère ! Je ne crois pas que les super optimistes  se sortent mieux du cancer mais après tout je ne sais pas et je vais aller tenter de jeter un coup d’œil dans les publications scientifiques. Je ne dis pas que j’ai raison, peut être que les « battants » s’en sortent mieux, mais je ne peux pas me mentir a moi-même et nier que mes chances sont minces… c’est tout mon problème au fond.

Cela ne veut pas dire non plus que je baisse les bras, loin de là ! Je pense qu’une attitude positive est de continuer à faire attention à sa santé, bien manger, bien dormir, bien rire et s’entourer d’amis. Et c’est ce que je fais tous les jours. De toute évidence, ceux qui baissent les bras et ne font plus attention à eux vont souffrir mentalement et négliger les choses qui pourraient prolonger leur vie. Mais je veux me battre à ma façon, ce qui pour moi veut dire sans dénier la réalité, en évitant la dépression, et même plus, en étant sereine et heureuse même sans savoir si j’ai encore 1 an à vivre ou 20 ans. Un équilibre difficile à trouver…  


***
My English translation:  



My prognosis? No thanks... oh, just tell me anyway.

This past Sunday, I went to have breakfast in town to meet with a doctor friend. I had a terrible stomach ache in the morning but I took some light painkiller beforehand, and I was well enough to go. Since I started chemo, I walk a lot better _ probably a sign that the tumor is reducing ... or a placebo effect. But I prefer to think that the tumor is reducing.

I really wanted to have time with a professional and tell him about my prognosis, but I did not know what to ask or how to ask. I just knew that my prognosis was making me very confused and did not bring much to my daily life except a lot of anxiety.

I know statistics. It's almost my job because there is no scientific psychology without statistics. I found the statistics concerning my chances of survival at 5 years on the Internet; and an oncologist friend confirmed. At my stage, my chances of being alive in 5 years is approximately 30% (figures vary slightly depending on the source). The risk of my cancer comes back even if treated this time are very high: according to Internet sites (U.S. site of the NHI, National Health Institute and an association that specializes in ovarian cancer) I have a risk of 70 to 90% that my cancer comes back. I’m not done yet with this one that I'm already thinking about the next!

I live with these statistics in mind all the time, knowing well that they mean nothing for me as an individual. I do know it’s not very helpful… but I did want to know! It’s like wanting to control randomness _ because cancer cells are extremely difficult to understand for practitioners and researchers. I know they can not tell me "dear lady, you still have about 4 years to live (so enjoy!), And perhaps more but we cannot guarantee. "

These statistics do not help me live better, however. The prognosis is given in the form of survival for 5 years after diagnosis _ a statistic calculated on past data and on all patients and all cell types. These are just averages and variability of response to treatment is very high. This does not tell me if I will live only a year or 4 years and 364 days. This does not tell me if in five years I will be riding a camel to go visit the pyramids of Egypt or be in my bed on the verge of death. And above all this does not tell me who will pass the milestone of 5 years: the youngest, the athletic ones, the luckiest, the vegetarians, the fighters...?

There are two issues that are important to me now. First, what I need to do now to get out of all this alive? And second how do Ilive’ now, today, knowing that I have not idea how long I have left to live. It is this second question that tortured mind this Sunday morning and that I discussed with my friend while crying in my tea and apologizing for crying.

Now when I start making plans, I feel very sad and I stop in my tracks. "No, Catherine, do not get too many plans." I want to avoid disappointment if they can not be achieved. I try to be realistic, and my intellectual side does not help me but forces me to not let go my emotions and to think rationally. But to live without plans is a mental torture. I feel like I no longer have a reason to live if I can not wake up in the morning with the prospect of doing something good in the day. And I mean something really important, not just enjoying a good bath. I am ambitious and, besides, I can not just live for myself. I want something that matters and is useful...

Oh, I know how to enjoy every moment; I fully enjoy still walking in the park next door, or playing a boardgame with William or watching a TV program that makes us laugh. I laugh and I'm happy then. But that is not it. It does not fulfill my life. I know I am no exception. Life must have meaning, the sense that each of us gives him by doing things you love and which recognizes the importance.

I had not found a solution, or a position, this last Sunday and I did not even know how to formulate my questions; I was just very confused, sad and anxious thinking about these statistics and my future or my lack of future.

I told my friend that I love to write, but writing a book takes so long that I could die many times before arriving there. And I'm so tired _ am I able still to read the scientific literature and synthesize it to write about it? I'm not sure at all. I cry. My friend tells me that it is better to be realistic and not fool ourselves, otherwise we fall down and we are not ready for the next events. Do not live in denial. It helps that he tells me that. I felt guilty to feel sad and sometimes hopeless _ thinking that perhaps it would worsen my condition. It feels good to be told that this is not a bad thing. Being realistic makes you sad, but you can also simply make plans more realistic. Instead of saving money for 7 years to to take a year off and go around the world, you can think about next summer holidays _ even if you have to think that perhaps this will be your last ones. So if my next summer vacation should be the last, where do I want to go and what I really want to see and do? Images of a cruise in Norway to see the Fjords and the northern lights come to mind ... will my William like the idea?

In psychology, the dilemma of optimism and pessimism has been discussed by psychologists who specialize in “resilience” and positive psychology (Martin Seligman is often cited). According to positivist psychologists, many studies show that optimists are happier and they achieve more things than the pessimists because they have less fear of failure. But the pessimists are actually more objective, and usually… they are right.

In the end, I guess I am on the side of the pessimists, but I know I am also not being destroyed mentally by the prospect of not living a long life. I think now I should simply make plans in the shorter term. I do not think it will influence my chances of survival _ or I hope so. I do not think that super optimists do better against cancer _ but after all I do not know and I'll go try to take a look qt the scientific literature. I'm not saying I'm right, maybe the "fighters" are doing better, but I can not lie to myself and ignore that my chances are slim... it's my problem.

This does not mean more than I give up, far from it! I think a positive attitude is to continue to pay attention to my health, and this means: eat well, sleep well, laugh and let’s be surrounded by friends. And this is what I do every day. Obviously, the ones give up and no longer pay attention to their body will suffer a lot more physically and mentally, and neglect things that could prolong their lives. I want to fight my way, which for me means without denying the reality, avoiding depression, and, above all, being calm and happy _ even without knowing if I still have a year to live to 20 years. A delicate balance...

***

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Beau titre et beau début...
Flo