lundi 10 décembre 2018

Résister à l’effet nocebo



Est-ce que je ne suis pas victime parfois d’un effet nocebo ? A force de penser que je meurs parce qu’on me l’a annoncé, est-ce que je ne baisse pas les bras et est-ce que je pourrais aller mieux, encore mieux, et survivre plus longtemps ?

Comme si on ne m’avait rien dit !?… Est-ce que ma vie serait différente aujourd’hui si je pensais que je prends un traitement qui stoppe la progression du cancer ? Que ferais-je de ma journée, et que je ne vais pas faire ou ressentir aujourd’hui ?

Le nocebo, c’est l’inverse du placebo. L’effet placebo est l’effet positif sur la santé physique et mentale qui est provoqué lorsque le patient croit (à raison ou à tort) que le traitement qu’il prend a un effet positif. Il est dû aux attentes et à un apprentissage par conditionnement. Plus on pense qu’un traitement est positif pour nous, mieux on se sent physiquement et mentalement : ce phénomène entraîne des effets d’apprentissage non conscient qui s’additionnent et se renforcent.

L’effet nocebo, c’est la version négative du placebo, observée lorsque le patient s’attend (à tort ou à raison) à faire l’expérience d’effets négatifs du traitement ou de la maladie. Par exemple, dans une expérience, des médecins informent des patients qu’un traitement risque de provoquer des troubles de la sexualité. Un tiers des patients informés de ce risque se plaignent alors de cet effet secondaire, tandis qu’un très faible pourcentage de patients s’en plaint dans le groupe qui n’est pas mis en garde contre ce même effet. Un effet nocebo va provoquer par exemple des maux de tête, de la confusion, de l'anxiété, et d'autres symptômes annoncés, redoutés et attendus par les patients. 

D’après certaines revues de question, ces effets influenceraient peu l’évolution de la maladie, et n’influenceraient que la perception et le vécu des symptômes qui seraient aggravés, en particulier la douleur. Cependant les études systématiques sur le sujet sont peu nombreuses et les conclusions des revues de questions sont donc sujettes à discussion.

Au contraire, certaines observations faites en dehors d’essais cliniques contrôlés, rapportent des effets nocebo influençant directement la santé. Non seulement la perception des symptômes serait grandement influencée, mais des marqueurs biologiques liés à ces symptômes indiqueraient que l’état de santé du patient se dégrade (http://www.bbc.com/future/story/20150210-can-you-think-yourself-to-death).  

Des anecdotes rapportent même des cas de personnes mortes sous l’effet d’avoir anticipé qu’elles allaient mourir. Le fait d’être persuadé d’avoir un médicament nocif peut provoquer des symptômes met en danger la vie du patient chez un patient persuadé d'avoir pris des médicaments actifs et qui en fait avait pris des gélules inoffensives (https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0163834307000114).

Ainsi, je me suis parfois demandé si le fait que je sois à l’hospice et qu’on m’ait annoncé qu’il n’y avait plus de traitement possible pour moi, n’allait pas m’amener moi aussi à baisser les bras plus vite, à croire à des symptômes imaginaires, ou encore, à ressentir une fatigue et des douleurs issues en partie de mon imagination.

Parfois, assise dans ma chambre et découragée, j’ai l’impression que je ne peux plus me lever et je ne veux plus rien faire de la journée sauf rester assise à regarder dans le vide. Arrive une amie et nous allons marcher dans le quartier, je me découvre une force que je n’imaginais pas quelques minutes plus tôt !

Et donc, certainement, j’ai parfois été la victime d’un effet nocebo. Est-ce que j’accepte l’inéluctable et me laisse aller doucement en faisant de moins en moins d’efforts ? Est-ce que je me rebelle encore un peu, décide de faire un peu de yoga et de marche à pieds tous les jours pour tenter jusqu’au bout de prolonger encore ma santé, mes forces, mes muscles, mes os et toute la machine biologique qui marche encore à l’intérieur de mon ventre, mon cœur, mes poumons, mes pauvres intestins… ?
Est-ce que je suis une battante ? Et faut-il encore être une battante à ce stade ou faut-il accepter la fatalité ?

La vérité est en milieu, car j’ai accepté de regarder la mort en face et je me sens sereine face à l’arrivée de l’échéance. Je n’ai pas le choix, disent les médecins. J’ai accepté et je ne cherche pas de nouveaux traitements. Je n’ai pas trop de douleur, je veux partir tranquillement désormais et sans toute une batterie de traitements douloureux. Je ne veux plus souffrir.

Mais pour le moment, je fais partie des personnes chanceuses dont la santé s’est améliorée depuis mon arrivée à l’hospice. On me dit que cela arrive relativement souvent. Un petit nombre d’entre nous survivent quelques semaines ou quelques mois, de manière tout à fait imprévisible… Et presque impossible à prédire. Est-ce que je serai encore là la semaine prochaine, personne ne le sait.

Alors je me bats encore un peu, doucement, pour vivre plus longtemps, si me battre signifie que je peux gagner quelques jours ou quelques semaines de survie en plus, avec une bonne qualité de vie c’est-à-dire sans douleur et entourée d’affection.  

Se battre, à mon stade, c’est me forcer à monter les marches de l’escalier tous les matins à 10 heures lorsque je vais rejoindre les bénévoles à leur pause café. Très doucement.

Se battre, c’est aller marcher lorsqu’une amie vient me rendre visite, bras dessus bras dessous.

C’est dire « oui » à une visite lorsque mon premier instinct est de rester cachée au fond de mon lit.  

Se battre, c’est mentalement aussi, ne pas céder au désespoir et à la tristesse. Laisser passer la tristesse et diriger ses pensées sur des points positifs : toute l’affection et l’aide dont je suis entourée, les beaux moments de la vie que j’ai eu la chance de vivre... faire mentalement la liste des choses que j’ai accomplies (malgré les échecs et les toutes les choses que j’aurais voulu accomplir et dont la liste pourrait être infinie et complètement déprimante !)… faire mentalement la liste des gens qui m’aident… me comparer aux personnes qui ont moins de chance que moi et apprécier ce que j’ai et que j’ai eu dans la vie plutôt que céder à l’égoïsme facile (ne plus penser qu’à sa propre tristesse et à ses propres problèmes comme au centre du monde…).  

Tout n’est pas dans la tête bien sûr. Le fait que je sois encore en vie ? C’est la chance d’avoir bien réagit aux chimios, et peut-être ai-je un cancer moins virulent que d’autres ?

Mais en partie, et même si c’est seulement en toute petite partie, je pense que conserver un bon moral et faire quelques efforts physiques, manger, bouger, interagir avec les gens qui nous entourent, etc. tout cela contribue un peu à prolonger la vie.

Alors sus à l’effet nocebo 😊 Il faut tenter d’oublier un peu ( !!!!) que les médecins m’ont dit que je n’ai plus beaucoup de temps à survivre. Ne pas rester sur mon fauteuil sans bouger en attendant la dame à la grande faux… continuer à croire que je peux encore bouger, vivre, sortir.

Mes douleurs et ma fatigue ne sont pas imaginaires, comment les respecter et comment savoir si et quand je les exagère ?

C’est difficile. Il faut essayer et constater qu’on peut encore faire, et il faut aussi vaincre des peurs légitimes. Il faut faire ou refaire confiance en son corps qui pourtant n’arrête pas de me trahir. 

Marcher dehors ? J’ai peur de tomber ; j’ai peur d’attraper un rhum. 

Aller au cinéma ou au concert ? J’ai peur de tomber, de devoir quitter la salle, d’attraper une grippe ou une autre infection à cause du public, j’ai peur d’avoir des crampes dans le ventre en étant mal assise…

Il faut encore faire confiance à son corps malgré les peurs. Se pousser et se forcer un peu.  Mais en douceur aussi, et en respectant ses limites.

Une bénévole me demandait si je me battais. La question m’a étonnée. Non, je ne me bats plus lui ai-je répondu. J’ai dépassé le stade où je cherche de nouveaux traitements et où j’espère entrer dans un essai clinique qui allongerait ma vie…

Et pourtant, si je me bats encore un peu. Je ne me laisse pas enterrer par des mots et des attentes. Je cherche encore à vivre un tout petit peu plus longtemps, et à profiter des moments qui me restent.
Parfois je me dis que si ça se trouve, j’ai encore quelques mois à vivre ! C’est sans doute le moment où l’effet nocebo est celui qui est mort et que j’ai réussi à le terrasser pour quelques minutes !?

Bon courage à tous ceux et celles qui se battent aussi. 😊 La vie est belle 😊  

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Quelques références.
Un article de presse général en français :
L’article renvoit sur cet article plus développé, en anglais : http://www.bbc.com/future/story/20150210-can-you-think-yourself-to-death qui cite une revue de question publiée dans un journal scientifique : https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0091743597902280

Trouvé en cherchant sur Pubmed les articles de revue de question, une revue récente et disponible gratuitement en ligne  (anglais):


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4 commentaires:

Anonyme a dit…

bonjour
vous êtes à la juste place
vous n'êtes pas dans le déni de l'évolution et vous avez posé vos limites pour garder une qualité de vie acceptable
l'effet nocebo et placebo existe dans la thérapeutique ou la relation thérapeutique mais ne font pas tout
pleins de pensées
marion

Danou a dit…

Je pense que tu es ...juste ...une très grande dame qui réfléchit beaucoup
Tu continues de m aider dans ce combat
Biz pour ta belle journée
Daniele ou danoumonsieurbobo

Pâquerette a dit…

Je veux juste te faire une grosse bise, juste me sentir près de toi par la pensée.

Catherine T. a dit…

Merci Marion, Danou et Pâquerette.
Hier je suis allée avec mon frère et ma belle-soeur faire une petite promenade au bord du lac de Kralingen, un petit lac situé à l'est de Rotterdam. Il faisait assez doux pour la saison, et des milliers d'oiseaux d'étaient posés sur l'eau. On voyait les gratte-ciels de la ville au loin, ce qui donnait l'impression d'être dans un petit havre de paix loin de l'agitation de la ville. C'était très agréable.
On a fini la ballade par un verre de vin (les dames) et monsieur a pris un chocolat.
Tandis que mon corps très doucement me laisse tomber et que de plus en plus de symptômes m'incommodent (souvent les effets secondaires du traitement au déxamétazone), en fait, mentalement, et émotionnellement, les visites de la famille et des amies m'aident beaucoup à tenir. L' "effet nocébo" ne gagne pas du terrain sur mon mental!
Merci énormément pour vos messages d'encouragement et vos messages d'amitié ! Ils m'aident à continuer à écrire !
Je vous embrasse,
Catherine