mardi 9 octobre 2018

Partir quand le monde va mal



J’ai l’impression de partir alors que le monde va beaucoup plus mal que dans ma jeunesse. J’ai 49 ans et avant mes vingt ans, je n’avais pas entendu parler de réchauffement climatique, d’extinction massive des espèces, ni de l’anthropocène. Nous pensions que le monde devenait de plus en plus démocratique, le mur de Berlin avait chuté, l’Union Soviétique et les pays communistes semblaient s’ouvrir à la démocratie et semblaient accorder de plus en plus de libertés à leurs citoyens. Le sexisme et la discrimination des femmes, il y a en avait, et j’en ai même été victime dans ma carrière… mais le phénomène semblait s’amenuiser rapidement au fil des générations. Le racisme ? On était en plein dans la période « touche pas à mon pote », ça allait forcément disparaître avec le temps, on était modernes, nous, quoi.

Il y avait des problèmes à régler, bien sûr, le nucléaire, la pollution, les maladies toujours incurables (le Sida, le cancer bien sûr, les démences, la résistance aux antibiotiques …), mais je n’avais pas l’impression du tout que les civilisations allaient en arrière. Si j’avais entendu parler du changement climatique, j’aurais sûrement voulu être climatologue, mais j’ai choisi d’être psychologue pour m’attaquer aux problèmes de santé mentale. Un problème parmi d’autres où la science semblait avancer, forcément car tout avançait sur le plan scientifique et technologique, n'est-ce pas ? 

Le monde aujourd’hui donne l’impression que des dangers globaux et imminents vont faire basculer des civilisations entières. Que le réchauffement climatique va détruire des populations humaines et des écosystèmes entiers, en les privant d’eau ou en les inondant. La disparition des espèces, la disparition même de l’Amazonie et des forêts d’Indonésie, et de Arctique, sont inéluctables. Les démocraties vont bientôt se compter sur les doigts d’une main, les grandes nations sont dominées par des tyrans corrompus, et l’appauvrissement de la population moyenne semble globale et impossible à stopper partout dans le monde. Rien que ça.  

Et souvent, je me sens désolée, triste, coupable, de laisser un tel chantier derrière moi. Je ne suis pourtant pour rien dans tous ces phénomènes qui ont démarrés avant même ma naissance. Si ? Est-ce que j’ai fait ou n’ai pas fait des choses que je devrais regretter !?

J’ai pensé que les pays et toute la civilisation sur Terre allait en montant. Est-ce que je vivais dans une grande illusion ?

Alors pour m’aider, je cherche à prendre de la distance. Non pas une distance émotionnelle, mais une distance intellectuelle. Je regarde la Terre à travers les âges…

Je ne pense plus à l’histoire comme à une pente ascendante où petit à petit nous progressons. Je pense plutôt aux cycles. Un cercle qui tourne, en avançant certes, mais en nous faisant aller de haut en bas puis de bas en haut.

Le haut du cercle, c’est la collaboration et l’amour entre les humains. Depuis des centaines de milliers d’années, deux millions d’années d’après des spécialistes, les humains collaborent pour survivre, s’aiment, se protègent les uns les autres. Et ils résistent et survivent, progressent, parfois détruisent, souvent construisent.

Mais en bas du cercle, ce sont les peurs de l’autre, provoquant guerres, conflits et destruction. Les humains qui paniquent et s’entre-tuent. Pas beau à voir.

Cette roue tourne, depuis des millions d’années, dans chaque groupe humain. Les guerres et la destruction, les révolutions démocratiques et les tyrans, alternent. Je vais quitter ce monde au moment où il semble que nous allions vers le bas du cercle. La démocratie s’amenuise, la haine empire, les peurs s’amplifient. Je suis tellement triste.

Je veux pourtant me forcer à rester optimiste. Si c’est un cycle qui se répète, les forces positives et constructives reprendront le dessus. Ces forces sont déjà là. Des efforts énormes sont faits pour diminuer notre emprunte carbone, sur le plan des entrepreneurs, des industries, et sur un plan individuel par des millions de personnes qui tentent de changer certaines de leurs habitudes pour réduire leur emprunte carbone ou protéger nature de diverses manières. D’énormes efforts sont faits pour lutter contre les tyrans, les menteurs, les populistes de tout bord et les corrompus, ils n’ont pas encore gagné.

Pour rester optimiste, je tente de regarder par-delà les générations, dans le long terme. Je tente aussi de me dire que j’ai fait de mon mieux. Est-ce que j’ai fait de mon mieux ? Je ne peux plus aller manifester, et les prochains votes auront lieu sans moi. J’ai fait ce que j’ai pu lorsque je n’étais pas malade.

Mais ce n’est pas facile de partir quand le monde va plus mal. Je tente de regarder ce qui va bien, ce qui a progressé. Il faut alors lire des articles de fond qui transcendent les nouvelles quotidiennes et hebdomadaires. Lire plutôt vers les revues qui présentent des articles de fond sur les personnes qui construisent un monde meilleur depuis des décennies mais qui ne sont pas à la Une.

Quand cela ne suffit pas, j’imagine un laps temporel immense, je prends encore plus de distance. J’imagine les humains vivant durant les ères glacières qui ont survécu l’impossible, et je pense aussi à ceux du futur, qui finalement feront face aux mêmes épreuves, voire à des épreuves encore pires que les nôtres, et j’espère qu’ils auront su construire de nombreuses aides technologiques « propres » pour les aider à mieux survivre sans détruire leur environnement. Dans des milliers d’années, finalement, le monde ressemblera encore au nôtre. Certaines civilisations se seront effondrées, d’autres se seront construites à leur suite. Mais les humains n’auront pas disparu, ils sont si résistants ! 

Il y aura encore des humains qui se réuniront ensemble pour chanter et danser, pour tomber amoureux, pour avoir des bébés qu’ils chériront et protégeront plus que tout au monde. Ils se lèveront aussi, tôt le matin, pour travailler afin de se nourrir, au minimum, ou afin de se payer un produit technologique, qui pour nous relève de la science fiction. Tout comme les humains depuis des millions d’années se réunissent, s’aiment, se protègent, s’entraide pour se protéger du climat difficile et pour trouver de l’eau et cueillir ou cultiver des vivres. Et cela me redonne le sourire. Et dans deux millions d’années ?! Est-ce qu’on aura vraiment une tête en forme de pastèque ?! Alors là je me mets à rire !

Je suis une minuscule fourmi dans cette immensité temporelle. J’ai fait ce que j’ai pu. Je ne pouvais pas changer un tel monde. Je pouvais juste être une bonne personne influençant quelques autres personnes. Je ne pouvais pas faire tourner le cercle. Mais j’ai tenté d’être une bonne personne, et je dois maintenant dire au revoir à ce monde sans regrets et avec espoir. C’est difficile, mais en regardant plus loin, beaucoup plus loin que ma génération et celle de mon fils, pourquoi pas ?   


Mère jouant avec son enfant. Aquarelle.

***

4 commentaires:

Unknown a dit…

Such a breathtakingly beautiful post, Catherine. Know that you inspire now and will for years to come. Your writing will live on as well. You have such hopeful thoughts, which is hard for all of us these days. I love the watercolor you selected to go with this post. I know your time with William was special; he is such a treasure - as are you. Thank you many times over, for all the good you showed all the years I've known you. I know my mother - William's grandmother - felt much the same way. She was discouraged by much she saw in the world (good that she never saw Trump become president!), but in the end she felt what meant the most was her relationships with family and close friends. We start out dreaming of the big contributions we want to make (where's that Nobel prize I thought I'd get?!), but then we see it's our close relationships with people, with nature and beauty and art that give us meaning. We hope we have helped others in some small way, brought someone joy, helped guide children to see the beauty in life. Much love, Lisa

Anonyme a dit…

La peste noire a décimé la moitié de la population européenne dans le passé, non, le monde ne va pas plus mal, nous avons d'autres défis à affronter, ils sont immenses mais nous rendent plus forts, nos enfants y participeront.
On se doit d'y croire.

Catherine T. a dit…

Thank you Lisa for your beautiful comment. I have nothing to add, I fully agree with you. It's about the quality of our contributions, having done things is the right way. Of course, having a Nobel Price is a spectacular and respectful achievement but only very few people will get this type of fame. What matters is that when we achieve something, we do it respectfully of our family, friends, environment. I mean even more than respectfully : with love.

Love,
Catherine

Catherine T. a dit…

Bonjour Anonyme,
oui je suis d'accord, et même les changements climatiques ne sont pas nouveaux, on pense aux ancêtres survivant les âges glaciaires et les réchauffements et glaciations successives. Je venais de lire un numéro spécial sur la grotte de Chauvet, contenant de nombreuses illustrations des groupes humains qui vivaient à ces époques qui s'étendent sur des milliers d'années. On les voyait coopérer pour trouver de la nourriture, se réchauffer, etc. à l'intérieur des tribus mais également entre tribus éloignées. J'avais ces images en tête en écrivant ce poste.
Merci pour ce commentaire !
Catherine