jeudi 27 septembre 2018

Ma mère m’accompagnera



En ce moment, je n’ai pas envie de m’occuper de mon corps. Je n’ai pas envie de prendre un bon bain chaud qui me relaxerait, j’ai trop peur de voir mon gros ventre gonflé et sa cicatrice. Je n’ai plus envie d’aller marcher pour me raffermir mes muscles : mon ventre me tire et me rappelle le cancer qui s’y trouve logé. Rester en position fœtale sur le fauteuil est tellement plus confortable. Je n’ai plus envie de méditer en effectuant un scan corporel rapide, quelle horreur ! Je n’ai plus du tout envie d’augmenter la conscience de mon corps avec toutes les lourdeurs et douleurs qui me tenaillent dès que je bouge.

Malgré tout, un long massage des pieds et des mains m’a été offert, accompagné de musique douce et guidé légèrement par de petits exercices pour rester dans le présent et visualiser les images qui se présentaient à moi. Avec un résultat vraiment positif et beau.

Les premières images étaient tristes, douloureuses. J’ai beaucoup repensé à ma mère. On m’a dit que ma mère recevait de la chimiothérapie dans les veines des pieds vers la fin de sa vie, lorsque les infirmières ne pouvaient plus trouver de veines sur ses mains ou ses bras. Et lorsqu’on m’a touché les pieds, ce sont ces images douloureuses qui s’imposaient.

Petit à petit, toute la douleur, les regrets, les peurs, liées à ma mère sont venues à ma mémoire. Je pense à mon fils qui va se retrouver seul lui aussi. Je pleure à chaudes larmes.

Puis, en me concentrant sur le présent, ma respiration, et en restant présente avec les images de ma mère, les images douloureuses de ma mère se sont estompées. J’ai imaginé que ma mère avait vieilli (en fait, elle est morte à 37 ans). Et elle aurait maintenant presque 80 ans. Qu’est-ce que nous aurions fait si elle était restée en vie ? Est-ce que nous aurions été faire ensemble du jogging lorsque j’étais ado ? Et une fois adulte, est-ce que j’aurais souvent été marcher avec elle dans les bois de Chaource, pour discuter et lui confier mes soucis ? Elle m’aurait pris par la main pour m’aider et me conseiller. Elle m’aurait m’aimée, tout simplement, durant les années où je me suis détestée.

J’ai pris la main de ma mère dans mon imagination. Nous avons pris un chemin dans un sous-bois lumineux, aux chaudes couleurs de l’automne, quelque part en Bourgogne. Et je me suis dit que ma mère n’est pas morte. Elle vit toujours dans ma mémoire et mon imagination. Mais il faut que j’aille l’y chercher sans avoir peur des fantômes du passé, des traumas, douleurs, regrets, qui cachent les souvenirs les plus doux…

Il faut aller chercher son ange gardien… ne pas avoir peur de la méditation, des massages, de la visualisation. Passer les premiers sentiments effrayants, traverser les premiers kilomètres de la forêt noire et terrifiante, et quand on ne pense plus que cela peut arriver, arrive une clairière qui laisse passer une lumière et une chaleur que rien ne peut plus effacer de notre imagination. Mon ange gardien me tient par la main et me rassure. Elle reviendra si j’ai moins peur d’aller la voir et lui parler. 



mercredi 26 septembre 2018

Les tigres et la fraise, une petite histoire zen



Sophie m´a prêté un petit livre aux histoires très brèves illustrées de peintures à l’encre de Chine, un petit bijou à lire très doucement où les pages se déplient comme les livres de contes enfantins. 

Une des premières histoire m’a beaucoup surprise. La métaphore avec ma situation de danger imminent était frappante, et la moralité de l’histoire très zen était très troublante.

Un homme se promène dans la forêt mais est pris en chasse par un tigre. Il trouve un ravin avec une liane à laquelle il s’accroche. Le tigre reste à son affût en haut du ravin et un autre tigre apparaît en bas du ravin. Deux souris, une blanche et une noire, viennent grignoter la corde sur laquelle l’homme est suspendu. Mais il ne s’en aperçoit pas. Il a trouvé une jolie belle fraise à portée de main. Il la déguste.

Et voilà c’est la fin de l’histoire. L’homme déguste la fraise. Il n’y a pas de morale à La Fontaine pour m’expliquer ce qu’il faut penser ou apprendre de cette histoire.

Je suis désarçonnée. Hier, en repensant à cette histoire, je regardais autour de moi, dans ma petite chambre de l’hospice. Où est la fraise ? Est-ce que je vais réussir encore à profiter des petits trésors qui sont encore à portée de mes mains ? Suis-je aveuglée par les tigres qui me guettent ? Est-ce que je peux tendre la main et attraper une belle fraise, ou est-ce que je vais passer mon temps, impuissante et malheureuse, à maudire les tigres et les souris en souhaitant qu’ils s’éloignent magiquement ?


Références :
L’histoire est tirée du livre de Lulu Hansen, Fishing for the Moon. La parabole de la fraise daterait  du 4eme ou 6eme siècle avant notre ère et nous vient du patriarche indien Bodhidharma, qui a contribué à exporter le zen vers la Chine vers 527 av. J.C.

dimanche 23 septembre 2018

Le retour à l'hospice, se réadapter, faire face à l'ennui et à la peur... et puis recevoir une enveloppe pleine d'amour !



Après la chimiothérapie, la semaine s’était plutôt bien déroulée. Mon père et Evelyne étaient présents avec moi à mon appartement et m’ont beaucoup aidée.

Mais malheureusement, quelques jours après, des douleurs abdominales sont revenues, bientôt suivies de vomissement. Le cauchemar se répétait alors.

Au total, j’aurai passé trois semaines de retour à la maison, avant une nouvelle hospitalisation en urgence. J’étais en choc, déprimée, nauséeuse et douloureuse. L’hospitalisation n’a duré que quelques jours, puis mon oncologue m’a annoncé qu’ils ne pouvaient pas poursuivre la chimiothérapie du fait des dangers que cela me ferait encourir, et du fait que ses effets ne sont pas visibles sur les CT scans.

J’ai donc dû arrêter à nouveau tous les traitements, et je suis retournée… à l’hospice que j’avais quitté pleine d’espoir un mois plus tôt exactement. Et voilà, c'est de ma chambre des Vier Vogels que je vous écris ce matin. 

Je suis arrivée à l’hospice le 13 septembre, en larmes. Je n’arrivais pas à croire. En juin je m’étais habituée à l’idée de mourir et installée à l’hospice (durant un mois au total), où je trouvais petit à petit une certaine sérénité et acceptation. Repartir en traitement avec tous les espoirs que cela m’a offerts, pour revenir à l’hospice quatre semaines plus tard, n’avoir pas pu profiter de ma maison entre temps à cause de la douleur… je ne peux pas décrire par des mots à quel point j’étais en choc. Tous ces efforts pour rien. Écœurement. Retour à la case départ, après quatre semaines de douleurs et souffrances, et tous ces espoirs… tout cela pour rien.

Alors, je me suis remise petit à petit à m’adapter, il le faut bien, pour tenter de rester saine d’esprit. 

Physiquement, exactement comme la fois précédente, l’arrivée à l’hospice s’est accompagnée d’une diminution des crampes abdominales et des nausées. Je peux m’alimenter avec des soupes et laitages, quelques biscuits et compotes.

Émotionnellement, c’est différent. Je ne sais pas si c’est plus ou moins difficile. J’essaie de ne pas trop penser au futur proche, à la mort qui s’approche. Je me concentre sur le moment. Je n’ai pas encore repris la méditation, et encore moins le yoga. Je compte m’y remettre, par petits morceaux de trois minutes. La méditation est difficile lorsque le corps souffre et devient plus présent dans les pensées. Il est plus facile de trouver des distractions pour l’oublier au contraire…

Que fait-on de ses journées quand on est à l’hospice ? Est-ce qu’on médite sur la vie et la mort et on se remplit de sagesse ?

Étonnamment, je m’ennuie beaucoup !

On pourrait penser que l’on va utiliser les derniers moments de sa vie à réfléchir sur la mort, sur le monde qu’on laisse derrière soi, sur nos descendants… oui parfois j’y pense.  Parfois je me demande comment sera la terre dans des millions d’années, comment les humains auront évolué, s’ils auront colonisé quelques planètes, Mars, la Lune ? Ou est-ce que la terre sera dominée par des insectes géants et des reptiles, des oiseaux géants et des baleines dominant les océans de nouveau ? Et où se baladeront mes atomes sur cette planète, est-ce que je serai dans des arbres et des fleurs dans un désert ou une forêt tropicale ?

Malgré ces fantaisies, ces questions sur le devenir des grands problèmes humains comme la démocratie ou le réchauffement climatique, je m’ennuie car le temps passe doucement pour les personnes inoccupées ! Petit à petit, la fatigue aidant sans doute, je tolère de mieux en mieux des moments « de rien », les moments où simplement j’écoute de la musique, ou bien les moments où rien ne se passe et je laisser flâner mes pensées, et je me trouve quelques distractions qui me ressourcent. 

Je me distrais en faisant de la peinture. Je n’ai pas pu amener mes acryliques qui prennent trop de place, et j’apprends donc l’aquarelle. Je dessine des portraits, des fleurs, quelques arbres. La lecture est difficile, je ne lis que des articles brefs, je ne me lance pas dans un livre, car je ne me sens pas capable de me concentrer très longtemps sur quelque chose. Les séries télé drôles m’aident à me distraire aussi, ainsi que les documentaires sur les contrées lointaines…Tout cela est bien éloigné d’un projet de méditation ou de développement de sagesse et de philosophie.  

Au fond de moi, je sens que je reste agitée, que j’ai peur de l’avenir, et c’est sans doute pour cette raison que je n’arrive pas à me concentrer. J’ai peur et je ne peux pas me débarrasser de cette peur. Je n'ai pas peur de la mort du tout, mais peur d'avant la mort. 

J'ai très peur que les nausées reviennent -  et pourtant je bois et je mange de plus en plus car j’ai faim après plusieurs semaines passées pratiquement sans manger. J’ai peur que la nourriture que je consomme se remette à me tordre les intestins. Peur du moment où tout va se bloquer à nouveau à où ce sera la fin.

Mon médecin et les infirmières m’ont beaucoup rassurées sur ce plan. La morphine aidera à supprimer les douleurs et si je souffre beaucoup, elle sera donnée à doses de plus en plus forte jusqu’à la sédation complète qui m’évitera de souffrir. Pour les nausées, ils me disent que des médicaments forts existent aussi et que ce ne sera pas une fatalité. Surtout, on me dit de prendre un jour après l’autre, car on ne sait pas.

Pour ne pas sombrer dans la dépression, j’essaie aussi de penser à de petits projets positifs. Parfois, juste une peinture, peindre juste une rose, regarder un tutoriel pour regarder des démonstrations de peinture, alors se promener sur Google image pour trouver des idées. Je pense aussi à l’anniversaire de mon fils qui arrive et nous avons des discussions avec son père, mon ex-mari, pour nous mettre d’accord pour lui acheter un beau cadeau. Ce sera le dernier anniversaire que je vais lui fêter, donc j’ai envie de casser ma tirelire…


Les moments de visite aident beaucoup même s'ils sont parfois fatigants. Lorsque les amies proches et la famille me rendent visite, nous parlons de sujets divers, et j’aime bien ces moments où je m’oublie. Les visites de personnes qui viennent rarement sont plus difficiles car je me sens obligée de parler un peu de mon parcours ou de ma santé, et je n’en ai plus envie du tout. Je n’ai plus envie de me répéter, de parler de moi-même, ce qui me rappelle trop la sombre réalité. Et lorsque des personnes qui ne sont pas très proches se mettent à pleurer, je n’y arrive plus, j’ai envie qu’elles sortent. Je n'ai plus la patience d'aider. J’ai parfois repoussé ou refusé des visites et parfois j'ai même demandé à une personne d’abréger sa visite tellement l'émotion était forte et m'épuisais.

Au final, j’essaie de profiter de tout l’amour que je reçois, et j’essaie de me concentrer sur ce qu’on me dit, écouter, aider ou rire lorsque c’est possible, être encore là, être encore une bonne amie, une bonne maman. C’est la conclusion à laquelle j’étais arrivée cet été lorsque je me posais des questions sur ma raison de vivre alors que ma vie se limitait désormais aux murs de l’hospice. Je n’ai pas trouvé de meilleure réponse. Continuer à essayer d’être une bonne personne, ne pas se laisser dévorer par la douleur, l’amertume, la jalousie ou les regrets.

Je ne pensais pas avoir le courage de vous écrire encore, mais j’ai reçu hier une grande enveloppe de l’association Ovarior, à Metz en France. Natacha a organisé la collecte de lettres, emails et cartes postales pour me les envoyer toutes ensemble à mon domicile ! Quelle surprise !!! Une immense enveloppe, pleine d’amour, pleine de messages de soutien, d’histoires, d’encouragement, de beauté, de moments qu’on a toutes envies de partager. Merci à toutes celles qui m’ont écrit, parfois de très loin (j’ai reçu un message et une une carte magnifique de la Guadeloupe !) et même des aquarelles !!! C’est vous qui m’avez donné envie de remettre en route mon laptop et de vous écrire à nouveau de mes nouvelles.

Je vous aime, je vous embrasse !!!!