Après la chimiothérapie, la semaine s’était plutôt bien
déroulée. Mon père et Evelyne étaient présents avec moi à mon appartement et m’ont
beaucoup aidée.
Mais malheureusement, quelques jours après, des douleurs abdominales
sont revenues, bientôt suivies de vomissement. Le cauchemar se répétait alors.
Au total, j’aurai passé trois semaines de retour à la maison,
avant une nouvelle hospitalisation en urgence. J’étais en choc, déprimée,
nauséeuse et douloureuse. L’hospitalisation n’a duré que quelques jours, puis
mon oncologue m’a annoncé qu’ils ne pouvaient pas poursuivre la chimiothérapie
du fait des dangers que cela me ferait encourir, et du fait que ses effets ne
sont pas visibles sur les CT scans.
J’ai donc dû arrêter à nouveau tous les traitements, et je
suis retournée… à l’hospice que j’avais quitté pleine d’espoir un mois plus tôt
exactement. Et voilà, c'est de ma chambre des Vier Vogels que je vous écris ce matin.
Je suis arrivée à l’hospice le 13 septembre, en larmes. Je n’arrivais pas à
croire. En juin je m’étais habituée à l’idée de mourir et installée à l’hospice (durant un mois au total), où je trouvais petit à petit une certaine sérénité et acceptation. Repartir
en traitement avec tous les espoirs que cela m’a offerts, pour revenir à l’hospice
quatre semaines plus tard, n’avoir pas pu profiter de ma maison entre temps à
cause de la douleur… je ne peux pas décrire par des mots à quel point j’étais
en choc. Tous ces efforts pour rien. Écœurement. Retour à la case départ, après
quatre semaines de douleurs et souffrances, et tous ces espoirs… tout cela pour
rien.
Alors, je me suis remise petit à petit à m’adapter, il le
faut bien, pour tenter de rester saine d’esprit.
Physiquement, exactement comme
la fois précédente, l’arrivée à l’hospice s’est accompagnée d’une diminution
des crampes abdominales et des nausées. Je peux m’alimenter avec des soupes et
laitages, quelques biscuits et compotes.
Émotionnellement, c’est différent. Je ne sais pas si c’est
plus ou moins difficile. J’essaie de ne pas trop penser au futur proche, à la
mort qui s’approche. Je me concentre sur le moment. Je n’ai pas encore repris
la méditation, et encore moins le yoga. Je compte m’y remettre, par petits morceaux
de trois minutes. La méditation est difficile lorsque le corps souffre et
devient plus présent dans les pensées. Il est plus facile de trouver des
distractions pour l’oublier au contraire…
Que fait-on de ses journées quand on est à l’hospice ? Est-ce
qu’on médite sur la vie et la mort et on se remplit de sagesse ?
Étonnamment, je m’ennuie beaucoup !
On pourrait penser que l’on va utiliser les derniers moments
de sa vie à réfléchir sur la mort, sur le monde qu’on laisse derrière soi, sur
nos descendants… oui parfois j’y pense. Parfois je me demande comment sera la terre
dans des millions d’années, comment les humains auront évolué, s’ils auront
colonisé quelques planètes, Mars, la Lune ? Ou est-ce que la terre sera dominée
par des insectes géants et des reptiles, des oiseaux géants et des baleines
dominant les océans de nouveau ? Et où se baladeront mes atomes sur cette planète,
est-ce que je serai dans des arbres et des fleurs dans un désert ou une forêt
tropicale ?
Malgré ces fantaisies, ces questions sur le devenir des
grands problèmes humains comme la démocratie ou le réchauffement climatique, je m’ennuie car le temps passe doucement pour les personnes inoccupées ! Petit à petit, la fatigue aidant
sans doute, je tolère de mieux en mieux des
moments « de rien », les moments où simplement j’écoute de la musique,
ou bien les moments où rien ne se passe et je laisser flâner mes pensées, et je me trouve quelques distractions qui me ressourcent.
Je me distrais en faisant de la peinture. Je n’ai pas pu
amener mes acryliques qui prennent trop de place, et j’apprends donc l’aquarelle.
Je dessine des portraits, des fleurs, quelques arbres. La lecture est
difficile, je ne lis que des articles brefs, je ne me lance pas dans un livre, car
je ne me sens pas capable de me concentrer très longtemps sur quelque chose. Les
séries télé drôles m’aident à me distraire aussi, ainsi que les documentaires
sur les contrées lointaines…Tout cela est bien éloigné d’un projet de
méditation ou de développement de sagesse et de philosophie.
Au fond de moi, je sens que je reste agitée, que j’ai peur
de l’avenir, et c’est sans doute pour cette raison que je n’arrive pas à me
concentrer. J’ai peur et je ne peux pas me débarrasser de cette peur. Je n'ai pas peur de la mort du tout, mais peur d'avant la mort.
J'ai très peur que les nausées reviennent - et pourtant je bois et je mange de plus en
plus car j’ai faim après plusieurs semaines passées pratiquement sans manger. J’ai
peur que la nourriture que je consomme se remette à me tordre les intestins.
Peur du moment où tout va se bloquer à nouveau à où ce sera la fin.
Mon médecin et les infirmières m’ont beaucoup rassurées sur
ce plan. La morphine aidera à supprimer les douleurs et si je souffre beaucoup,
elle sera donnée à doses de plus en plus forte jusqu’à la sédation complète qui
m’évitera de souffrir. Pour les nausées, ils me disent que des médicaments
forts existent aussi et que ce ne sera pas une fatalité. Surtout, on me dit de
prendre un jour après l’autre, car on ne sait pas.
Pour ne pas sombrer dans la dépression, j’essaie aussi de
penser à de petits projets positifs. Parfois, juste une peinture, peindre juste
une rose, regarder un tutoriel pour regarder des démonstrations de peinture, alors
se promener sur Google image pour trouver des idées. Je pense aussi à l’anniversaire de mon fils qui arrive et nous avons des discussions avec son père, mon ex-mari, pour nous mettre d’accord pour lui acheter un
beau cadeau. Ce sera le dernier anniversaire que je vais lui fêter, donc j’ai
envie de casser ma tirelire…
Les moments de visite aident beaucoup même s'ils sont parfois fatigants. Lorsque les amies proches et la famille me rendent visite, nous parlons de sujets divers, et j’aime bien ces moments où je m’oublie. Les visites de personnes qui viennent rarement sont plus difficiles car je me sens obligée de parler un peu de mon parcours ou de ma santé, et je n’en ai plus envie du tout. Je n’ai plus envie de me répéter, de parler de moi-même, ce qui me rappelle trop la sombre réalité. Et lorsque des personnes qui ne sont pas très proches se mettent à pleurer, je n’y arrive plus, j’ai envie qu’elles sortent. Je n'ai plus la patience d'aider. J’ai parfois repoussé ou refusé des visites et parfois j'ai même demandé à une personne d’abréger sa visite tellement l'émotion était forte et m'épuisais.
Au final, j’essaie de profiter de tout l’amour que
je reçois, et j’essaie de me concentrer sur ce qu’on me dit, écouter, aider ou
rire lorsque c’est possible, être encore là, être encore une bonne amie, une
bonne maman. C’est la conclusion à laquelle j’étais arrivée cet été lorsque je
me posais des questions sur ma raison de vivre alors que ma vie se limitait
désormais aux murs de l’hospice. Je n’ai pas trouvé de meilleure réponse.
Continuer à essayer d’être une bonne personne, ne pas se laisser dévorer par la
douleur, l’amertume, la jalousie ou les regrets.
Je ne pensais pas avoir le courage de vous écrire encore,
mais j’ai reçu hier une grande enveloppe de l’association Ovarior, à Metz en France.
Natacha a organisé la collecte de lettres, emails et cartes postales pour me
les envoyer toutes ensemble à mon domicile ! Quelle surprise !!! Une
immense enveloppe, pleine d’amour, pleine de messages de soutien, d’histoires,
d’encouragement, de beauté, de moments qu’on a toutes envies de partager. Merci
à toutes celles qui m’ont écrit, parfois de très loin (j’ai reçu un message et
une une carte magnifique de la Guadeloupe !) et même des aquarelles !!!
C’est vous qui m’avez donné envie de remettre en route mon laptop et de vous
écrire à nouveau de mes nouvelles.
Je vous aime, je vous embrasse !!!!