L’hospice s’appelle les 4 oiseaux, en référence au fait que nous
n’y sommes que 4 résidents. C’est une petite maison située à l’ouest de
Rotterdam, proche du centre ville, où quatre chambres spacieuses occupent le rez-de-chaussée. Une veranda lumineuse
et fleurie et un petit jardin y apportent fraîcheur et nature. Au premier étage se situent les bureaux et une immense salle à manger avec des coins canapés, lecture, piano... J’aime m’installer
tous les matins sur cette terrasse ou dans la véranda pour goûter à ce petit coin
paisible où je me sens en sécurité.
Les traitements palliatifs me permettent de ne plus avoir
mal, mon ventre n’est plus gonflé ni douloureux, grâce au patch de morphine et quelques médicaments miracles.
La
maison fonctionne grâce à quelques salariés, des infirmières se relayant
24h/24h, et surtout, beaucoup de volontaires qui se relaient la journée par équipe
durant quatre heures. J’admire la structure, je suis tellement reconnaissante
aux personnes qui l’ont créée un jour et aux personnes qui continuent de se
battre pour que de telles petites structures survivent, les volontaires bien sûr,
les donateurs de tous bords.
Je ne sais pas combien de jours il me reste et je me
surprends à me sentir de mieux en mieux. Je reste très affaiblie. Il m’est
difficile d’écrire ou de peindre de l’aquarelle. Mes mains tremblent encore
beaucoup. Je peux marcher de mieux en mieux, et même gravir tous les matins les
marches de l’escalier pour rejoindre l’équipe joyeuse qui prend son café à 10h.
Mais chaque jour est une surprise. Chaque matin pourrait
annoncer le début du blocage de mes intestins. Mais mes intestins continuent de
laisser passer les liquides… et je bois beaucoup, je mange même un peu.
Je dois
manger un régime sans fibres : exactement tout le contraire de ce que j’ai
fait ces dernières années ! Mon alimentation se compose surtout de
bouillons et jus de fruits. Les craquers ou petits gâteaux secs à la farine
blanche passent aussi si je les absorbe avec beaucoup de liquide. Je bois du
lait de soja et je mange du yaourth de soja (les laits et yaourths au lait de
vache sont difficiles à digérer et m’empêchent de bien dormir). La boisson de soja au chocolat passe bien, hip hip hip hourra, mon petit moment gourmand de la journée!
En consultant
les sites médicaux et une amie nutritionniste, j’ai découvert que l’œuf dur, la viande
non grasse bien hachée et le poisson blanc sont aussi des aliments quasiment sans
fibre qui peuvent faire partie de mon régime. Petit à petit, un œuf a été
ajouté à mon maigre menu quotidien. Pas de problème. Puis de la viande hachée
dans le bouillon… et hier soir pour la première fois, tentative de morceaux de
truite (et oui dans le bouillon aussi… mais j’avais tellement faim que j’ai
adoré !). Très doucement, un ingrédient après l’autre, et toujours avec
beaucoup de jus ou sirops pour faire couleur le tout, je prends un peu plus de
protéines, et je me sens un peu moins affamée et un peu plus solide chaque
jour.
A terme, on m’a dit que les intestins se boucheront complétement,
et que les vomissements reprendront alors, signalant la fin de vie. Je pourrai
alors choisir d’arrêter de manger et boire ou choisir encore un petit sursis en
demandant à être nourrie artificiellement. Je ne sais pas encore ce que je
choisirai. Chaque jour est un nouveau jour. Je verrai.
Au jour le jour, ma routine se met en place. Je déjeune un
peu le matin. Je médite quelques minutes, de préférence dans la salle de
méditation qui donne sur le jardin. Je lis ou je tente une petite aquarelle… J’essaie
de ne pas me laisser tenter par la lecture des nouvelles du jour sur ma
tablette et je privilégie les lectures de fond, les lectures plus en profondeur
souvent plus optimistes, sur le développement des méthodes pour protéger les
animaux ou la planète par exemple. Cela m’aide à voir l’humanité sous son meilleur
jour et me remplit d’optimisme et d’amour pour ceux qui vont rester et à qui
nous laissons une planète avec tellement de problèmes à résoudre encore…
Le midi, mon fils vient me voir, et nous déjeunons ensemble.
C’est mon moment de soleil dans la journée. Des visites se succèdent, la
famille, ou les amies, et parfois des connaissances. Des dames de mon
association de peinture m’ont offert un gigantesque patchwork ; une amie
est venue des Etats-Unis juste pour me rendre visite, une autre d’Écosse, et une
amie viendra demain de Dijon….. Les témoignages d’amour et d’amitié sont
nombreux. Je suis heureuse de comprendre que je peux encore être là. Nous parlons
de la vie, de la mort parfois, du futur, des valeurs importantes… tous ces
petits moments sont précieux.
Je ne suis pas forcément heureuse dans le sens ou je
continue de ressentir que c’est difficile de quitter la vie si tôt. Je ne peux
pas dire que j’ai accepté mon sort. Je trouve injuste d’avoir perdu ma mère si
tôt et de voir que mon fils me perdra lui aussi trop tôt. Bien que consciente de
toutes les chances que j’ai eues également, et bien que ne regrettant pas mes
choix dans ma vie (pas parfaits, mais j’ai fait de mon mieux…), je suis parfois
triste, et parfois je pleure à chaudes larmes.
Mais je tente de prendre chaque jour encore comme un cadeau.
Après chaque moment de méditation, le matin, je réfléchis à qui je vais
rencontrer, ou bien à qui je peux encore écrire, et à ce que je peux encore
faire pour être une bonne personne, pour donner encore un peu de sens à ma
petite vie.
Le soir, je réfléchis au bonheur que j’ai eu dans la journée et en
particulier à tout l’amour dont j’ai profité et que j’ai reçu. Cela n’a pas été
facile d’accepter de l’aide mais je crois que j’arrive désormais à l’accepter sans
culpabilité, juste comme du pur amour.
Voilà, je voulais partager un peu ces moments et leur aspect parfois presque surnaturel... Que la vie est étrange et pleine de surprises, même quand on y croit plus, un nuage se dissipe et un petit coin de soleil apparaît encore dans la vie...
Merci pour les messages de soutien que j’ai reçus ici dans
les commentaires précédents, merci pour votre gentillesse et pour tous les partages
de moments rares et spéciaux. A tous ceux qui se battent contre le cancer, ou
qui ne se battent plus, à vos familles et amis, je vous embrasse et vous
souhaite encore beaucoup de courage et beaucoup de moments d’amour et de
partage.