mardi 31 juillet 2018

L'hospice des 4 oiseaux "4 Vogels"



L’hospice s’appelle les 4 oiseaux, en référence au fait que nous n’y sommes que 4 résidents. C’est une petite maison située à l’ouest de Rotterdam, proche du centre ville, où quatre chambres spacieuses  occupent le rez-de-chaussée. Une veranda lumineuse et fleurie et un petit jardin y apportent fraîcheur et nature. Au premier étage se situent les bureaux et une immense salle à manger avec des coins canapés, lecture, piano... J’aime m’installer tous les matins sur cette terrasse ou dans la véranda pour goûter à ce petit coin paisible où je me sens en sécurité.

Les traitements palliatifs me permettent de ne plus avoir mal, mon ventre n’est plus gonflé ni douloureux, grâce au patch de morphine et quelques médicaments miracles. 

La maison fonctionne grâce à quelques salariés, des infirmières se relayant 24h/24h, et surtout, beaucoup de volontaires qui se relaient la journée par équipe durant quatre heures. J’admire la structure, je suis tellement reconnaissante aux personnes qui l’ont créée un jour et aux personnes qui continuent de se battre pour que de telles petites structures survivent, les volontaires bien sûr, les donateurs de tous bords.

Je ne sais pas combien de jours il me reste et je me surprends à me sentir de mieux en mieux. Je reste très affaiblie. Il m’est difficile d’écrire ou de peindre de l’aquarelle. Mes mains tremblent encore beaucoup. Je peux marcher de mieux en mieux, et même gravir tous les matins les marches de l’escalier pour rejoindre l’équipe joyeuse qui prend son café à 10h.

Mais chaque jour est une surprise. Chaque matin pourrait annoncer le début du blocage de mes intestins. Mais mes intestins continuent de laisser passer les liquides… et je bois beaucoup, je mange même un peu. 

Je dois manger un régime sans fibres : exactement tout le contraire de ce que j’ai fait ces dernières années ! Mon alimentation se compose surtout de bouillons et jus de fruits. Les craquers ou petits gâteaux secs à la farine blanche passent aussi si je les absorbe avec beaucoup de liquide. Je bois du lait de soja et je mange du yaourth de soja (les laits et yaourths au lait de vache sont difficiles à digérer et m’empêchent de bien dormir). La boisson de soja au chocolat passe bien, hip hip hip hourra, mon petit moment gourmand de la journée! 

En consultant les sites médicaux et une amie nutritionniste, j’ai découvert que l’œuf dur, la viande non grasse bien hachée et le poisson blanc sont aussi des aliments quasiment sans fibre qui peuvent faire partie de mon régime. Petit à petit, un œuf a été ajouté à mon maigre menu quotidien. Pas de problème. Puis de la viande hachée dans le bouillon… et hier soir pour la première fois, tentative de morceaux de truite (et oui dans le bouillon aussi… mais j’avais tellement faim que j’ai adoré !). Très doucement, un ingrédient après l’autre, et toujours avec beaucoup de jus ou sirops pour faire couleur le tout, je prends un peu plus de protéines, et je me sens un peu moins affamée et un peu plus solide chaque jour.

A terme, on m’a dit que les intestins se boucheront complétement, et que les vomissements reprendront alors, signalant la fin de vie. Je pourrai alors choisir d’arrêter de manger et boire ou choisir encore un petit sursis en demandant à être nourrie artificiellement. Je ne sais pas encore ce que je choisirai. Chaque jour est un nouveau jour. Je verrai.

Au jour le jour, ma routine se met en place. Je déjeune un peu le matin. Je médite quelques minutes, de préférence dans la salle de méditation qui donne sur le jardin. Je lis ou je tente une petite aquarelle… J’essaie de ne pas me laisser tenter par la lecture des nouvelles du jour sur ma tablette et je privilégie les lectures de fond, les lectures plus en profondeur souvent plus optimistes, sur le développement des méthodes pour protéger les animaux ou la planète par exemple. Cela m’aide à voir l’humanité sous son meilleur jour et me remplit d’optimisme et d’amour pour ceux qui vont rester et à qui nous laissons une planète avec tellement de problèmes à résoudre encore…

Le midi, mon fils vient me voir, et nous déjeunons ensemble. C’est mon moment de soleil dans la journée. Des visites se succèdent, la famille, ou les amies, et parfois des connaissances. Des dames de mon association de peinture m’ont offert un gigantesque patchwork ; une amie est venue des Etats-Unis juste pour me rendre visite, une autre d’Écosse, et une amie viendra demain de Dijon….. Les témoignages d’amour et d’amitié sont nombreux. Je suis heureuse de comprendre que je peux encore être là. Nous parlons de la vie, de la mort parfois, du futur, des valeurs importantes… tous ces petits moments sont précieux.

Je ne suis pas forcément heureuse dans le sens ou je continue de ressentir que c’est difficile de quitter la vie si tôt. Je ne peux pas dire que j’ai accepté mon sort. Je trouve injuste d’avoir perdu ma mère si tôt et de voir que mon fils me perdra lui aussi trop tôt. Bien que consciente de toutes les chances que j’ai eues également, et bien que ne regrettant pas mes choix dans ma vie (pas parfaits, mais j’ai fait de mon mieux…), je suis parfois triste, et parfois je pleure à chaudes larmes. 

Mais je tente de prendre chaque jour encore comme un cadeau. Après chaque moment de méditation, le matin, je réfléchis à qui je vais rencontrer, ou bien à qui je peux encore écrire, et à ce que je peux encore faire pour être une bonne personne, pour donner encore un peu de sens à ma petite vie.

 Le soir, je réfléchis au bonheur que j’ai eu dans la journée et en particulier à tout l’amour dont j’ai profité et que j’ai reçu. Cela n’a pas été facile d’accepter de l’aide mais je crois que j’arrive désormais à l’accepter sans culpabilité, juste comme du pur amour.

Voilà, je voulais partager un peu ces moments et leur aspect parfois presque surnaturel... Que la vie est étrange et pleine de surprises, même quand on y croit plus, un nuage se dissipe et un petit coin de soleil apparaît encore dans la vie...  

Merci pour les messages de soutien que j’ai reçus ici dans les commentaires précédents, merci pour votre gentillesse et pour tous les partages de moments rares et spéciaux. A tous ceux qui se battent contre le cancer, ou qui ne se battent plus, à vos familles et amis, je vous embrasse et vous souhaite encore beaucoup de courage et beaucoup de moments d’amour et de partage.

mercredi 11 juillet 2018

Sur la route des soins palliatifs



Depuis fin mai, je suis hospitalisée car j’ai développé une occlusion intestinale totale, un ‘iléus’ en langage médical. Le cancer a envahi mes intestins et bloque leur fonctionnement. L’hospitalisation a été vraiment difficile, en particulier à cause d’un tube gastrique reliant mon nez et mon estomac, qui a été maintenu environ trois ou quatre semaines. Il m’empêchait d’avaler ma salive normalement, de dormir, de parler normalement...

Là-dessus redémarrage d’une chimiothérapie, carboplatine et Caelyx. Malheureusement, au bout de deux chimiothérapies espacées d’un mois, aucun résultat n’a été observé, mes intestins continuant à ne pas bouger et à ne pas faire leur travail. Me voici donc désormais au bout du chemin… Je suis très triste de vous l’annoncer.

Les premières semaines ont été vraiment difficiles. Je pensais, puisque j’avais bien réagi aux deux premières chimiothérapies en 2011 puis en 2015, que je faisais partie des personnes qui pourraient bénéficier de plusieurs longues rémissions… or le cancer comme d’habitude est imprévisible, et une troisième rémission n’est pas au rendez-vous. Et je ne savais pas comment on meurt du cancer de l’ovaire, je ne connaissais pas cet iléus, il m’était donc difficile de comprendre ce qui m’arrivait, pourquoi, comment.

Peu de temps après la seconde chimiothérapie, j’ai demandé l’arrêt de tous mes traitements, tant la douleur du tube gastrique et les nausées devenaient insupportables. Après discussion avec mon oncologue, et la découverte qu’il n’y aurait pas d’autre traitement possible, mon oncologue m’a donc laissée partir de l’hôpital pour rejoindre un service de soins et rééducation, une situation temporaire en attendant une place dans une structure plus spécialisée en soins palliatifs. À partir de maintenant, on traite seulement mes symptômes et on tente de faire en sorte que je souffre le moins possible. Je n’aime pas ce service qui me semble trop grand et impersonnel et j’attends avec impatience de pouvoir entrer dans la petite structure que j’avais visitée et choisie il y a trois ans lorsque je me préparais pour le pire. Je suis heureuse de l’avoir fait lorsque j’allais bien !

Pour le moment, je souffre peu, quelques crampes dans le ventre, pas (pas encore) de nausées, mais je ne peux pas manger quoi que ce soit de solide. Mon régime se compose de bouillons, jus de fruits, et yaourths à boire (pas trop car ce n’est pas quelque chose que l’estomac malmené apprécie). Ne plus manger est difficile, je rêve de bonnes choses à grignoter… mais il y a pire. Le pire est de se dire que c’est vraiment fini, basta, alors que le cerveau continue de marcher relativement bien. Cela paraît irréel au début… La solitude est immense et la tristesse se déverse dans mon cœur comme les chutes du Niagara…

Avec le temps, j’ai commencé à endurer cette nouvelle épreuve avec un peu plus de courage. Au départ, je souhaitais mourir vite, sans souffrir, ni physiquement, ni émotionnellement (embarras de voir tout le monde aux petits soins et impression de ne plus servir à rien, à-quoi-bonisme sévère). Je voulais juste partir, puisque c’est fini, rideau, qu’on en finisse, que l’agonie soit brève merci.

Avec les visites et tout l’amour dont j’ai été entourée, depuis quelques jours, je suis plus à même de continuer à profiter de chaque moment présent. Chaque heure passée avec mon fils est un grand cadeau, même si nous jouons seulement au rumikub. Nous avons encore des conversations intéressantes, sur son avenir, ses amis, ses envies, ses petits soucis de cœur. Je reste la maman, même s’il me voit ici toute affaiblie. Il vient me voir tous les jours. Ma famille et mes amies m’apprécient toujours autant. Puisque je ne peux rien faire, il faut simplement être. Les aimer, écouter attentivement, être une présence douce et aimante, même si je suis fatiguée… chaque jour est encore un cadeau. Pas la peine de se presser de mourir…

J’ai peur de souffrir… mais à chaque jour suffit sa peine. Rien ne sert de trop y penser puisque je ne peux pas y faire grand-chose à l'avance. Je profite de tout l’amour dont je suis entourée, et je trouve que la vie est belle. C’est une grande tristesse de la quitter trop tôt, mais je regarde ce que j’ai accompli et qui je suis devenue, et j’ai le bonheur de me dire que j’ai fait de mon mieux. Pas de regrets. J'imagine et je remercie intérieurement tous les gens qui ont aidé et contribué à mon bien être, les personnes qui ont cueilli le thé que je vois, ceux qui ont construit l'hôpital, qui ont transporté tout ce qu'il contient, les soignants bien sûr, les personnes qui ont construit les routes qui nous permettent de véhiculer la nourriture qui nous permet de vivre, etc.etc.etc... La liste des remerciements intérieurs est infinie.

Encore quelques jours ou quelques semaines encore à profiter de l’amour qui va m’entourer… Non vraiment, pour le moment, pas la peine d'être pressé de mourir. Vivons jusqu'à la fin ! 

Je vous embrasse tous, mes chers lecteurs et lectrices ! Merci des gentils mots et commentaires qui ont accompagné mon écriture et m'ont encouragée à continuer le blog. Je vous souhaite beaucoup d’amour et de paix intérieure malgré la maladie.