Depuis un an, je suis en congé maladie. Le
processus de mise en invalidité permanente a débuté : mon dossier passe entre
les mains de l’administration appelée ici le UWV. La décision devrait tomber
vers octobre ou novembre cette année.
Je suis passée deux fois au bureau pour
discuter de ce processus avec les ressources humaines, mon manager, et deux
personnes du syndicat qui me défendent et m’aident à poser des questions auxquelles
je ne penserais pas. La personne des ressources humaines s’est montrée vraiment
très pro (les deux mecs du syndicat ont permis de mettre sur la touche une
personne horrible qui s’occupait de moi au départ et m’avait traitée comme un
numéro).
Après les meetings, je suis passée voir
quelques collègues, ici et là, dans le grand bâtiment. Beaucoup m’ont aussitôt demandé si j’allais
bien… et… si je revenais bientôt. La première fois, je n’ai pas eu le courage
de dire que je ne revenais pas. J’ai répondu vaguement que je ne savais pas
encore quand, et que j’étais encore en phase de récupération.
À mon deuxième passage, quelques semaines plus
tard, j’ai eu le courage de le dire à un de mes anciens managers : « Non,
je ne reviens pas, le cancer est devenu chronique… ». Puis un groupe de
collègues du premier étage m’a posé la même question. J’ai répondu honnêtement et ils m’ont regardée
avec pitié, sans trop savoir quoi dire. Puis il a fallu le redire une troisième
fois à une autre collègue du 5ème étage, très chouette collègue qui
a su trouver les mots pour continuer la conversation sur le thème de la
résilience… Mais j’avais envie de sortir le plus rapidement possible du
bâtiment et retourner à ma petite vie où je ne suis pas confrontée aux
explications. Et c’est ce que j’ai fait.
Le pire, c'est quand on me demande : "Que faites-vous dans la vie ? ". Oh, que je crains cette question ! Hier j’ai répondu à un homme qui tenait une galerie d’art et me posais la question : « J’ai
été chercheur avant, mais maintenant, je combats le cancer, c’est devenu mon
métier ». Il a eu la délicatesse de ne pas poser plus de questions et de
parler art… Je redoute les sorties où je vais rencontrer de nouvelles personnes qui risquent de me poser cette question puis vont me
regarder avec pitié et compassion. J’ai peur et j’évite ces situations. Je ne
sors plus qu’avec les personnes que je connais. « Que faites-vous dans la
vie ? ». J’ai refusé des sorties juste parce que j’avais trop peur de
me retrouver confrontée à cette question. C’est bête. Il va falloir que j’apprenne
à y répondre sans avoir des larmes qui me montent aux yeux.
Pour éviter les questions de mes collègues, j’ai décidé d’envoyer
une carte – c’est quand même plus classe qu’un email. Une simple carte – une carte
du musées Van Gogh sera parfaite – les amandiers en fleurs. Le symbole du
printemps, de la naissance et de la vie. La vie qui continue et se renouvelle.
Sur la carte, j’ai remercié mes collègues pour
leur soutien durant ces derniers mois. Je leur ai expliqué la situation
médicale et le fait que nous avons décidé de faire une demande d’invalidité
permanente (ici il y a deux systèmes, une invalidité temporaire pour laquelle
une reprise du travail est attendue, et une invalidité permanente lorsque le
pronostic est que le patient de pourra pas retrouver sa santé qui lui
permettrait de travailler à mi-temps). J’ai écrit aussi que je réagis bien aux
traitements et que j’espère vivre encore quelques années grâce aux thérapies,
présentes et à venir. Que je me considère comme à la retraite. Que cette idée
me permet de faire face et de continuer à avoir une bonne qualité de vie. J’ai
terminé la carte en leur disant que j’espérais les revoir autour d’un verre pour
mon départ.
Un poids est tombé de mes épaules. Une grande
tristesse. Mais je regarde vers le futur, aussi court soit-il.
Hier, une vieille copine de fac me dit qu’une des étudiantes qui préparait sa thèse avec nous a tout quitté et a repris une
exploitation familiale – elle élève des chèvres. Je pensais que ça n’arrivait
que dans les films ou dans les fantaisies des cadres au bord du burn-out. J’ai
trouvé ça super courageux de sa part. Quitter une situation confortable
financièrement. Retourner à la nature, à ses caprices et aux incertitudes.
Je l’ai enviée. Est-ce que j’ai envie moi d’aller
élever des chèvres un jour et retourner à la nature ? Non pas vraiment. Je
suis envieuse et admirative pourtant. Peut-être parce que la différence
fondamentale entre elle et moi, c’est qu’elle a eu un choix.
Il va falloir reconquérir mon estime de
moi-même – malgré l’« invalidité ». Garder la tête haute malgré les
coups de marteau sur la tête que m’inflige ce cancer au fil des mois. À
commencer par, assumer et ne pas avoir honte d’être en « invalidité ».
En putain d’invalidité. Ne pas laisser l’amertume et la colère l’emporter. Ne
pas m’isoler. Ne pas avoir peur. Avaler les couleuvres et rester digne et
forte. M’entourer d’amour.
C’est dur mais ça va le faire J.