lundi 28 mai 2012

Splenectomie et autres histoires de cicatrices (Splenectomy, Scars and the Healing Power of a Bikini)

English version below


La splenectomie est une procédure de chirurgie pour enlever la rate (le spleen en anglais). Rien à voir avec Baudelaire et son idéal. Rien de poétique, simplement on coupe, on recoue, on récupère ses forces et c'est reparti. Mon opération aura lieu le 29 Juin. 

Je n'ai pas encore reçu tous les détails de la procédure. Je sais que ma rate sera totalement enlevée bien que la tache suspecte soit très petite. La rate est très irriguée et ne peut pas être enlevée partiellement d'après ce que j'ai lu (mais le chirurgien me le confirmera). 

La rate est impliquée dans la fabrication de certaines cellules du système immunitaire, et en particulier les cellules qui nous protègent contre les infections à bastéries encapsulées - leurs noms finissent en "coque" donc il y a des pneumocoques, meningocoques, etc. Il faut se faire vacciner avant l'opération (ce qui m'a déjà coûté 1 heure 15 d'attente dehors en plein soleil hier à la pharmacie de garde du week-end pour pouvoir aller recevoir ma première piqûre demain à 7.50 du matin avant d'aller au travail.) 

Les risques sont assez modérés comparés aux risques d'une métastase, donc mon choix a été vite pris lorsque le chirurgien m'a demandé de réfléchir. 

J'avais peur que mon système immunitaire devienne très affaibli mais les médecins consultés m'ont affirmé que ce n'était pas le cas, sauf pour des infections très spécifiques. Donc cela n'augmente aucunement le risque de récurrence du cancer ou d'autres maladies chroniques dans le futur. La plupart de nos cellules immunitaires viennent d'autres parties de notre corps et surtout de la moelle osseuse. 

Je me sens étonnamment bien! Mes forces sont presques normales et je ne souffre que de douleurs articulaires et musculaires de temps en temps. Tout le reste semble être rentré dans l'ordre. Mentalement je me sens un moral d'acier: Je suis encore sous le coup de la bonne nouvelle de l'absence de métastase dans le foie et je profite de la vie. Le temps est absolument spendide ce qui aide. Je sors. Je suis allée la semaine dernière à la plage, puis aux marchés de Delft et de Rotterdam, avec mon père et Evelyne lors de leur récente visite. Nous avons mangé, bricolé, papoté, marché...

Arpès leur départ, j'ai relevé un grand défi psychologique: Je suis allée à la piscine... et me suis montrée en bikini! Alors que je craignais que ma cicatrice de 30 cm fasse grimacer les adultes et fasse pleurer les enfants, en fait personne ne m'a regardé (en tout cas, s'ils m'ont regardé, ils l'ont fait discrètement, merci). Personne n'est sorti en courant... malheureusement d'ailleurs, car il y avait un monde fou. Au bout de quelques minutes, j'avais oublié ma cicatrice et je lisais tranquillement mon journal à l'ombre d'un arbre, la vie était belle! Mon fils, un peu gèné au départ de mon ventre qui n'avait "pas l'air normal", a aussi paru s'habituer en quelques minutes. 

Eh bien, dans un mois j'aurai une autre cicatrice, et ça ne fera aucune différence extérieurement.  Si je survis à l'opération, je survivrai aussi au test du bikini! Il faut rester optimiste bien sûr, garder la tête haute et regarder plus loin que son nombril - au sens propre comme au figuré  ;-))  

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English version


Splenectomy is a surgical procedure to remove the spleen (la rate in French, de melt in Dutch). Not related to Baudelaire and his famous " Le spleen et l'idéal". Nothing very poetic indeed. Simply cut it, close it, heal and walk again. My operation will take place on Friday, June 29.

I have not yet received full details of the procedure. I know that my spleen will be completely removed eventhough the suspicious spot is very small. The spleen is very heavily irrigated and can not be partially removed from what I read (but my surgeon will confirm).

The spleen is involved in the making of certain immune system cells, particularly cells that protect us against infections with encapsulated bacterias - their names end in "cocci" so there are pneumococci, meningococci, etc. I need to be vaccinated before the operation (and this costed me already 1 hour 15 of waiting outside in the sun yesterday at the week-end pharmacy to buy my first shot, scheduled at 7.50 tomorrow morning before going to work).

The risks are quite moderate compared to the risk of metastasis, so my choice was quickly made when the surgeon asked me to think about it before taking a decision. I was mostly afraid that my immune system could become very weak but doctors told me that it was not the case, except for very specific infections. Most of our immune cells are made in from other parts of our body and especially the bone marrow. The surgery will not increase  my risks of cancer recurrence nor my risks of getting other chronic diseases in the future. 

I feel surprisingly well! My strengths are almost normal and I only suffer from joint and muscle pain from time to time. Everything else seems to be back to normal. Mentally I feel in high spirits like an iron woman: I'm still feeling the joy from learning about the absence of metastasis in the liver and I enjoy life. The weather is absolutely splendid. It helps too. I go out a lot more. Together with my father and Evelyne who visited for a few days, we went to the beach, then at the Delft and Rotterdam open markets. We walked, shopped, did some repairs, planted flours, cooked, ate, chatted...

After their departure, I took on a giant psychological challenge: I went to the pool... and wore a bikini! While I feared that my 30 cm  scar would make adults wince and children cry, the reality is that nobody actually seemed to even look at me (well, if they did, they did it with tactful discretion, thank you) . Nobody ran out... which was perhaps unfortunate because it was quite crowded. After a few minutes, I had forgotten my scar and I was reading my newspaper quietly, lying down under the shadow of a beautiful old tree. Life was perfect! My son, a little embarrassed at the start by me showing my stomach which "doesn't look very normal, mum," also seemed to quickly get used to it and didn't mind.  

Well, in a month I shall have another scar. Now I know that it will make no difference externally. And if I survive the surgery, I will also survive the bikini challenge! Of course, this only happens if you remain optimistic, keep your head up and look beyond your own navel - literally and figuratively ;-))

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dimanche 27 mai 2012

Bien manger (Eating Well) - 2

(English version below)

Depuis Février, mes menus ont progressivement changé. Hormis quelques controverses sur certains aliments spécifiques, les recommandations des spécialistes de la santé sont claires, ce qui m'a permis de commencer à faire une liste des aliments à introduire quotidiennement dans mes repas et mes grignotages.

Voici la liste des aliments à introduire dans mon alimentation au quotidien ou plusieurs fois par semaine (mes références en langue française sont essentiellement Dr David Servan-Schreiber et Dr Richard Béliveau qui parlent d'une alimentation anticancer; je complete mes recherches par une recherche des revues de question dans les revues internationales sur le site de recherche Pubmed; voire ma liste des références sur ce site):   

- Thé vert japonais Sencha (6 tasses par jour)

- Curcuma et poivre noir

- Légumes crucifères (choux, surtout choux de Bruxelles et brocolis), betteraves, radis, navets

- Ail (2 gousses)

- Oignons verts, échalotes et herbes (coriandre, ciboulette, basilic, persil, thym, etc)

- Champignons (surtout pleurotes et shiitake)

- Fruits rouges (surtout canneberges, framboises, cerises, myrtilles)

- Agrumes (sauf pamplemousses durant les traitements)

- Oméga-3 végétaux (noix de pécan, autres noix, graines de lin)

- Oméga-3 animaux (petits poissons gras)

Les menus (et les petits grignotages entre les repas) doivent contenir surtout des légumes, des fruits, des légumineuses, des noix, et des céréales complètes, avec un petit apport de protéines sans trop de graisses saturées et trans (laitages écrémés, viandes de volaille, poissons, soja, œuf) et un petit apport régulier de graisses insaturées (dites monoinsaturées ou polyinsaturées comme l'huile d'olive ou les aliments riches en oméga-3 mentionnés ci-dessus).   

Les interdits sont nombreux, et au début ce n'est pas facile! Il faut  

- éviter tous les abus: ne pas trop manger, et ne pas boire plus d'un verre d'alcool par jour (et pas tous les jours)

- éviter tous les aliments ayant un haut index glycémique (éviter toutes les céréales "blanches'"comme le riz blanc ou la baguette de pain blanc, et tous les sucres ajoutés)

- éviter tous les aliments et produits contenant des acides gras saturés ou trans (toutes les graisses animales et surtout les viandes les plus grasses comme le boeuf et le porc, mais aussi certaines huiles par exemple l'huile d'arachide présente dans les cacahuètes)

- limiter le beurre qui contient des vitamines intéressantes mais trop de graisses saturées.

Certains aliments sont controversés. C'est surtout le cas du soja qui pourtant me fait le plus grand bien car il diminue l'intensité des bouffées de chaleur (voir mon article sur la ménopause chirurgicale de Novembre 2011). Le soja est très recommandé dans l'alimentation anticancer. Sa consommation devrait être quotidienne. La controverse est due à un risque de croissance de tumeurs cancéreuses (cancer du sein) observé sur l'animal! Donc il semblerait que le soja ait un effet pro-cancer sur certaines tumeurs dans les cancers hormono-dependants. Pour cette raison, on met en garde les femmes ayant eu un cancer du sein ou autre cancer sensible aux œstrogènes, incluant le cancer des ovaires. Cependant, les effets nocifs n'ont été observés chez l'animal qu'avec de doses extrêmes ne pouvant être obtenues qu'en prenant des suppléments. Ces doses sont bien au delà de ce qu'on trouve dans une consommation quotidienne. Les spécialistes nous recommandent donc de consommer du soja régulièrement, dans le cadre d'une alimentation anticancer, mais avec modération ce qui implique de ne pas le consommer sous forme de suppléments (gélules). Après plusieurs semaines d'hésitation, j'ai décidé de réintroduire le soja en petites quantités dans mon alimentation quotidienne... Puis ai changé d'avis... Puis ai commencé à en reprendre a nouveau... et ai encore changé d'avis. Personne n'a de réponse définitive car les données ne sont pas assez nombreuses. Je continuerai à regarder la litérature scientifique régulièrement sur le sujet. Je pense cependant aujourd'hui, qu'étant donné le risque, il vaut mieux s'en abstenir.   

 
Certains aliments délicieux ont également des propriétés anticancéreuses, mais malheureusement leur consommation excessive provoquerait l'effet inverse, c'est pourquoi ils sont controversés. Je veux parler du vin rouge et du chocolat noir. Le vin rouge contient du révérastrol aux effets très bénéfiques sur la santé. Cependant, l'alcool consommé quotidiennement en trop forte quantité (plus d'un verre chez les femmes, deux verres pour les hommes) a des effets très nocifs et augmente les risques de plusieurs types de cancer (pas celui des ovaires). Le soir, je me fais souvent plaisir en buvant un verre de vin rouge bio. J'adore. Il y a des jours où j'aimerais bien boire un peu plus _dans ce cas là je m'autorise un autre verre mais cela doit rester rare.  En général, la peur du cancer l'emporte désormais largement sur la gourmandise ou l'envie de me relaxer en consommant du vin. Comme l'alcool est très addictif, si on ne peut pas s'empêcher de "craquer" et boire plusieurs verres plusieurs fois par semaine, il vaut mieux apprendre à s'en passer complètement.

Quant au chocolat, il contient beaucoup de sucres et degraisses saturées (mauvais pour nous) mais beaucoup de composés anti-inflammatoires (bon pour nous). Il faut donc le choisir avec un taux de cacaco très élevé. J'arrive à n'en consommer que de petites quantités, mais je dois dire que j'ai beaucoup de mal à ne pas finir une tablette entamée. J'en consomme quand même, presque tous les jours, surtout après les repas. C'est très bon pour mon moral. Je ne dis pas que j'ai raison.

Mon changement d'alimentation ne s'est pas fait en un jour, ni en une semaine... ni même en un mois. Non seulement il m'a fallu lire beaucoup, vérifier les sources, et re-lire, pour mémoriser les listes d'ingrédients recommandés ou interdits, mais il m'a fallu ensuite trouver des méthodes pour organiser mes menus, choisir des recettes et les tester. Parfois j'ai fait des choix puis j'ai changé d'avis. Les contraintes sont nombreuses: ingrédients difficiles à trouver (trouvez moi aujourd'hui du jus de canneberge sans sucre ou du jus de betterave fermenté), trop chers (on ne peut pas tout acheter bio), pas à notre goût (une pizza sans fromage?), très longs ou complexes à cuisiner (45 minutes pour le riz complet) voire même inconnus (le tempeh, c'est quoi comme animal?). Et puis on ne vit pas seul bien sûr. Il faut aussi penser aux personnes qu'on aime et qu'on veut continuer à gâter, mon fils au sourire ravi lorsque les "lasagnes normales" arrivent sur la table, et les amis que j'aimerais continuer à inviter à dîner sans rougir. Quel casse-tête!

(à suivre)

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English version

Since February, my menus have changed gradually. Apart from a few controversies on specific foods, the recommendations of health experts are clear, which allowed me to start making a list of foods to introduce daily in my meals and snacks.

Here is the list of foods to include in my diet daily or several times a week, mostly based on French researchers Dr David Servan-Schreiber and Dr. Richard Béliveau who both talk about "anticancer foods":

- Japanese Sencha green tea (6 cups per day)

- Curcuma (extract of turmeric) and black pepper

- Cruciferous vegetables (cabbage, especially broccoli and Brussels sprouts), beets, radishes, turnips

- Garlic (2 cloves)

- Green onions, shallots and herbs (coriander, chives, basil, parsley, thyme, etc.)

- Mushrooms (especially pleurotus and shiitake)

- Red fruits (especially cranberries, raspberries, cherries, blueberries)

- Citrus (except grapefruit during treatment)

- Omega-3 from vegetable sources (pecans, other nuts, flax seeds)

- Omega-3 from animals sources (small oily fish)


Menus (and small snacks between meals) must contain mostly vegetables, fruits, legumes, nuts, and whole grains, with a small intake of protein without much saturated and trans fat (skim dairy, poultry, fish, soy, egg) and a small regular intake of unsaturated fats (monounsaturated or polyunsaturated such as olive oil or foods rich in omega-3  - see above).

The forbidden foods are numerous, and at first it is not easy to stop consuming all of these! We must indeed:  

- Avoid large servings, and not drink more than one glass of alcohol per day (preferably not everyday)

- Avoid all foods with high glycemic index (such as white rice or white bread; all added sugars)

- Avoid all foods and products containing saturated fats or trans fats (all animal fats and meats especially the most fat ones such as beef and pork, but also some vegetable oils such as peanut oil present in peanuts)

- Limit butter intake: it contains interesting vitamins but too much saturated fat.

Some foods are controversial. This is especially the case of soy, and it's an issue because it reduces the intensity of my hot flashes (see my article on surgical menopause in November 2011). Overall, soy is highly recommended as an anticancer food. A daily intake is needed. The controversy is due to a risk of growth of breast cancer tumors observed in animals, in a limited number of studies. However, the adverse effects were observed only in extreme doses that can not be obtained by food intakes and can only be reached by taking supplements. These doses are far beyond what is found in everyday consumer products. Experts therefore recommend that we consume soy regularly as part of an anti-cancer diet, but with moderation - so no supplements. After several weeks of hesitation, I had decided to reintroduce soy in small amounts in my daily diet... Then changed my mind ... Then I started to eat soy again after reading somewhere else that it was really beneficial... and changed my mind again... Nobody really knows, so we can only keep our eyes open for new studies. But for today, I think it is safer to just avoid it or, in any case, not consume it daily and in high quantities.

Some delicious foods also have anticancer properties, but unfortunately their excessive consumption would cause the opposite effect, therefore they are still often debated: Red wine and dark chocolate. Red wine contains reverastrol which has beneficial effects against all sorts of inflammation processes, and is not found in large quantities in other foods or drinks. However, alcohol consumed daily in excessive amount (more than one drink for women, two drinks for men) has very harmful effects on health and increases risks of certain cancers (though not ovarian cancer per se). Once again here, moderation is important. In the evening, I often enjoy drinking a glass of organic red wine. I love it. There are days I'd like to drink a little more _in this case I allow myself another drink another glass, but it must remain rare. Personally, the fear of cancer largely prevails now on my the desire to relax by drinking wine. But given its addictif properties, if you can not help drinking several glasses a day, it is better to learn to stop drinking all together.

As for chocolate, it contains too much sugar and saturated fat (bad for us) but many anti-inflammatory compounds (good for us). Buy chocolate with a very high percentage of cacao. I should only consume small amounts of it, but I must say I have a hard time not finishing an open package. So I have chocolate almost every day, especially after meals. It lifts up my spirits too. I'm not saying I'm right.

Changing my diet didn't take a day or a week ... or even in a month. It took months and I am still working on it. Not only did I read, check, and re-read, to memorize lists of ingredients prohibited or



recommended, but then I had to find ways to organize my menus, select recipes and test them. Sometimes I made choices then I changed my mind. There are many constraints: some ingredients are difficult to find (cranberry juice without sugar or fermented beet juice are not found everywhere but only in special stores); or too expensive (you can not buy everything organic); not to our taste (a pizza without cheese? com'on!); very long or complex cooking (45 minutes cooking for brown rice); and some are simply never heard of (tempeh? What kind of beast is this?). And then you do not live alone of course. We must also think about people we love and want to continue to spoil: my son has such a delighted smile when the "normal lasagna" arrive on the table, and I want to continue to invite my friends and family to dinner without blushing. What a headache!


(to be continued)


vendredi 18 mai 2012

Bulletin de santé: toujours l'attente (Health News: Still Waiting)

Lundi, dans 3 jours, j'ai rendez-vous avec mon gynécologue oncologue pour discuter des suites de mon traitement. Nous allons discuter de la tache suspecte repérée sur ma rate.

 
Si vous avez manqué les derniers épisodes de mes aventures en cancerland, voici où nous en sommes cette semaine.

Lorsque mon gynéco oncologue et son équipe avaient demandé l'avis d'une seconde équipe médicale sur Rotterdam, il y a déjà quelques semaines, on leur avait conseillé de consulter l'équipe plus qualifiée d'Amsterdam. L'équipe d'Amsterdam avait alors détecté une tache suspecte également sur me foie. Mon gynécologue avait étudié la question et leur avait répondu que la tache sur le foie n'était pas suspecte, conclusion à laquelle son équipe était parvenue en regardant en détails de multiples résultats de mes CT-scans. L'équipe d'Amsterdam a mis plusieurs jours à réfléchir à nouveau, se réunir et envoyer ses nouvelles recommandations.

Et c'est dans ce contexte que j'attends d'entendre ce que mon équipe, de l'hôpital Sint Franciscus, aura décidé de recommander, à la lumière des dernières communications avec le centre de cancer d'Amsterdam.

Deux scénarios sont possibles. Premier scénario: Ils recommandent de m'opérer ce qui signifiera enlever tout l'organe car on ne peut pas enlever seulement une partie de la rate qui est très irriguée en vaisseaux sanguins. Il faudra alors me faire vacciner et je vivrai ensuite sans cet organe qui joue un rôle dans le système immunitaire. Je deviendrai plus à risque de souffrir de diverses infections. Mais ce n'est rien comparé à une récurrence du cancer bien sûr.

De plus si la tache est cancéreuse, il me faudra refaire une série de 3 chimiothérapies, comme les précédentes (carboplatine et taxol). Et le traitement à l'Avastin serait alors interrompu.

Il s'agit donc à nouveau d'un processus lourd.


La seconde possibilité est que les médecins n'interviendront pas mais continueront d'observer l'évolution de la tache par des CT-scans réguliers. D'après une brève conversation téléphonique avec mon gynécologue, ce n'est pas ce que l'équipe d'Amsterdam recommande. Reste à entendre Lundi pourquoi. Cela fait des mois que je vis avec, et elle rétrécit.
 

Je n'ai pas de préférence et je ne peux que préparer mes questions pour mieux comprendre leurs conclusions et leurs recommandations. Je suivrai certainement leur avis. Curieusement je suis très calme lorque je pense à tout ça. J'ai vraiment bien appris à prendre les choses comme elles viennent depuis quelques mois! Carpe diem.  

Pour le moment, profitons de ce beau week-end qui s'annonce relativement ensoleillé! Une amie vient passer quelques jours avec moi, on va bien s'amuser! 


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English Version:


Monday, in three days, I have an appointment with my gynecologist oncologist to discuss the aftermath of my treatment. We will discuss the suspicious spot marked on my spleen.

If you missed the latest episodes of my adventures in cancerland, here is where we are this week.

When my gynecologist oncologist and his team had asked the opinion of a second medical team in Rotterdam a few weeks ago, they were advised to consult the most qualified team in Amsterdam - my case was complex. The Amsterdam team then detected a suspicious spot on my liver as well. My gynecologist studied this new question and replied that the stain on the liver did not look malignant, a conclusion which his team came to after looking in much details all my previous CT scans. The team of Amsterdam took several days to think again, get together and send new recommendations.

And it is in this context that I expect to hear what my team, at the Sint Franciscus Hospital, has decided to recommend, in light of recent communications with the cancer center of Amsterdam.

Two scenarios are possible. First scenario: They recommend to operate me which will mean removing the entire organ because you can not remove only a portion of the spleen which is very much irrigated by blood vessels. I will have to get vaccinated and then I'll live without this organ that plays a role in the immune system. I will become more likely to suffer from various infections in the future. But that's nothing compared to a cancer recurrence of course.

Moreover, if the spot is cancerous, it will take me another new series of three chemotherapy regimens, similar to the ones I had before (carboplatin and taxol). And Avastin treatment would be interrupted.

So this is again a heavy treatment in view.

The second possibility is that doctors will not intervene but will continue to observe the evolution of the spot by taking CT-scans regularly. According to a brief telephone conversation with my gynecologist, that's not what the Amsterdam specialists advise. I shall hear next Monday why they think so. For months I have lived with it, and it's shrinking.

I have no preference and I can only prepare my questions to better understand their findings and recommendations. I will most certainly just follow their advice. Curiously, I feel quite relaxed about this whole situation. I have learned to take one day at a time now. Carpe Diem.

For now, let's just enjoy this beautiful long weekend. It looks like it's going to be sunny! A friend comes to visit for a few days. We'll have fun!




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Bien manger (Eating Well) - 1



Toutes les cellules de mon corps viennent de ce que j'ai mangé. Toutes. Chaque molécule a été transportée, transformée, et a activé des processus chimiques extrêmement complexes pour former mon corps et le faire fonctionner à tous les niveaux. Sucres, protéines, graisses, minéraux, vitamines, et autres éléments aux noms complexes dont beaucoup sont encore à découvrir, des milliers de pièces de puzzle en milliards d'exemplaires déterminent ainsi la vie, la survie, le déclin ou la bonne santé de mes organes. Elles produisent de l'énergie, mais pas seulement. Elles créent ou remplacent les parties des cellules qui vivent dans mon corps, leurs noyaux où siège notre ADN, leurs membranes qui bougent en permanence pour les nourrir et leur permettre d'accomplir leur travail, les messagers qu'elles utilisent pour communiquer entre elles. Ces molécules et éléments divers issues de l'alimentation nourrissent ou tuent les organismes vivants qui peuplent mon corps, les milliards et milliards de bactéries, plus nombreuses encore que mes propres cellules, entretenant l'équilibre des organismes vivants peuplant tous mes organes. La nutrition, c'est donc ce qui détermine de quoi seront faites nos cellules et leur environnent.


Je travaille depuis plusieurs années comme chercheur dans l'industrie sur des sujets touchant à l'impact de la nourriture sur le cerveau, dans sa dimension biologique, et surtout sur les fonctions intellectuelles et réactions émotionnelles, dimensions psychologiques des changements qui pourraient résulter des choix alimentaires. Les questions que nous nous posons sont du type: Est-ce que les déficits en micronutriments observés chez les enfants souffrant de malnutrition altèrent le développement intellectuel de l'enfant? Est-ce que les déficits en oméga-3 observés dans les populations occidentales altèrent le développement mental de l'enfant, sa mémoire ou ses capacités attentionnelles?


Les réponses précises sont très difficiles à obtenir et dans l'ensemble, en toute rigueur scientifique, il est toujours très difficile de conclure, alors même que beaucoup d'études animales et épidémiologiques suggèrent, mais sans toujours le démontrer directement, des relations de cause à effet chez les humains. Lorsque les hypothèses doivent passer par le test de la recherche clinique systématique sur les humains, les études deviennent coûteuses, longues et techniquement délicates. Les résultats sont faibles, lorsqu'ils sont détectables, car l'impact d'un ingrédient ou d'une composante sur le système entier (le corps et ses fonctions) ne peut être que modeste. L'organisme est très performant pour maintenir l'équilibre de notre corps malgré des changements environnementaux (les périodes de jeûnes par exemple) ce qui contribue à la survie de l'espèce. Il est logique que les changements induits par l'alimentations soient peu perceptibles, et se produisent sur de longues périodes de temps. Si les effets d'un nutriment étaient immédiats et puissants, nous souffririons de sauts d'humeur ou de changements physiologiques fréquents en fonction de ce que nous mangeons, ce qui nous mettrait en grand danger.


Or me voici désormais dans le camps des survivants du cancer et non plus dans celui des chercheurs - ces puristes qui veulent publier des résultats impeccables scientifiquement, et cherchent l'approbation d'autres experts pour publier leurs idées dans les revues internationales. C'est un changement de paradigme! En tant que chercheur, je prenais très peu de risque et restais sur des positions conservatrices pour arriver à des conclusions sur lesquelles la plupart des autres scientifiques s'accorderaient temporairement... en attendant d'autres études. Je ne renie pas cette position, bien au contraire, je continue à penser que la connaissance ne peut se développer que pas à pas et avec beaucoup de prudence.


Cependant, étant maintenant aussi du coté du malade, je veux prendre plus de risques. Car ce n'est plus la recherche et la connaissance universelles qui m'intéressent, mais ma petite vie à moi que j'essaie de sauver - sa qualité et si possible sa longueur. Je dois prendre plus de risques.


En tant que scientifique je souhaite invalider des hypothèses avec un risque d'erreur de 5% (erreur de type I, aussi appelée erreur de fausse alarme, ou encore le risque de conclure à un effet alors qu'il n'y en a aucun). De plus, les effets dont je cherche à démontrer l'existence seront modestes.


Or en tant que patiente, je suis prête à prendre des risques très différents et à tenter une méthode qui peut-être ne marche pas (pourvu qu'elle ne soit pas nocive). Autrement dit, je suis prête à envisager un risque très élevé de me tromper. L'erreur de fausse alarme à 5% telle que nous la choisissons classiquement dans nos protocoles scientifiques, pourrait passer à 10%, voir 20%, voir pourquoi pas 50% lorsque je raisonne comme une patiente, puisque je suis désespérée de trouver des solutions. Or, les scientifiques continuent imperturbablement à publier leurs résultats avec des risques d'erreur de type I de 5% ou 1%.


En matière de nutrition et de méthodes douces, un autre problème vient du fait que les études conclusives sur les humains sont relativement rares. Les méthodes scientifiques occidentales tirent leurs conclusions d'études avec des groupes contrôles ou placebo et en utilisant des protocoles de recherches où patients et praticiens en contact avec les patients ne sont pas informés des groupes pour éviter les effets de suggestion. Cependant tester la nutrition ou certains aliments de cette manière, en particulier leur rôle dans la prévention de certaines maladies ou de leur récurrence, s'avère très difficiles à réaliser. Comme les effets sont légers et noyés dans les différences de styles de vie comme les habitudes alimentaires, l'activité physique, les variabilités génétiques et la santé physique et mentale, d'immenses cohortes sont nécessaires. De telles études prennent de nombreuses années et nécessitent des observations très détaillées (et évidemment beaucoup de moyens financiers pour lesquels on pourrait argumenter qu'ils seraient mieux investis dans d'autres types de recherche). Les obstacles sont donc nombreux et la recherche progresse lentement.


Voilà pourquoi j'ai choisi de lâcher les cordes de la rigueur scientifique, et d'accepter de croire à certaines conclusions préliminaires d'études animales et épidémiologiques. On ne sait pas vraiment, mais on espère et on s'assure surtout que ça ne peut pas faire de mal. Je rentre alors dans le camp de ceux qui commencent à changer leur nutrition en espérant que cela aidera mon organisme à combattre les cellules cancéreuses et renforcera mon système immunitaire.


La lecture de David Servan-Schreiber dont j'ai découvert l'existence et les livres en Février cette année m'a permis d'embrasser cette nouvelle manière de penser sans complexe, de briser mes vieux paradigmes de chercheur, et m'a ouvert la porte à ce que je nomme l' "espoir rationnel". Ce médecin chercheur (décédé l'année dernière après 20 ans de lutte contre un cancer du cerveau très agressif) a eu une démarche de scientifique tout en faisant des compromis scientifiques en toute conscience, sachant que les conclusions de la science pure et dure étaient trop limitées pour le patient atteint du cancer qui cherche des méthodes pour protéger son "terrain". Il fit des compromis sans devenir aveuglé par de fausses croyances.


J'ai donc pris David Servan-Schreiber comme point de départ, ai lu et relu son lentement son livre "Anticancer: Les gestes quotidiens pour la santé du corps et de l'esprit". Petit à petit j'élargis mes lectures et ai déjà  exploré d'autres pistes telles que les recherches du Dr Béliveau que Servan-Schreiber cite beaucoup (les deux chercheurs sont francophones). Certaines lectures sur les sites web de recherche américains et anglais dédiés aux patients m'ont confortée dans ma démarche. Et tout en continuant de lire et prendre des notes, j'ai commencé à changer mes habitudes alimentaires.

              (à suivre)



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English Version: Eating Well, part 1


Every cell of my body comes from what I ate. All of them. Each molecule was transported and processed. It activated extremely complex chemical processes to form my body and make it function at all levels. Carbohydrates, proteins, fats, minerals, vitamins, and other elements with complex names, many of which probably still to be discovered, thousands of puzzle pieces with billions of copies will determine life, survival, decline or the health of my organs. They produce energy, but not only. They create or replace parts of the living cells in my body, their nuclei (DNA headquarters), their membranes that move constantly to feed them and to enable help them perform their work, the messengers they use to communicate. These various elements and molecules from food will also feed or kill living organisms that inhabit my body, the billions and billions of bacteria, which are even more numerous than my own cells, maintaining the life equilibrium of organisms inhabiting all my organs. Nutrition determines what our cells will be and their environment they live in.



I've worked for several years as a researcher in the industry on topics related to the impact of food on the brain, in its biological aspects, on intellectual functions, emotional reactions, and other psychological dimensions of change that may result from our food choices. The questions we study are for example: Do micronutrient deficits observed in malnourished children impair their intellectual development? Do deficits in omega-3 observed in Western populations impair the mental development of children, their memory or attention ability?


The specific answers are very difficult to obtain. Overall, in all scientific rigor, it is always very difficult to conclude. Even though many epidemiological and animal studies suggest a cause to consequence relationships, they are not a direct evidence. When hypotheses have to pass the gates of systematic clinical trials in humans, studies are expensive, lengthy and technically difficult. The results are small, when detected, because the impact of an ingredient or component on the entire system (the body and its functions) can only be modest. Our body is very efficient in maintaining an internal balance environmental changes (periods of fasting, for example) which has contributed to the survival of our species. It makes sense that the changes induced by the food supplies are barely perceptible, and occur over long periods of time. If the effects of a nutrient were immediate and powerful, we would suffer from mood swings or frequent physiological changes depending on what we eat, which would put us in great danger.


But here I am now, in the camps for cancer survivors, and not among my fellow researchers - those purists who want to publish results scientifically impeccable, and seeking approval of other experts to publish their ideas in international journals. This is quite a paradigm shift! As a researcher, I was taking very little risk and remained on conservative positions to arrive at conclusions on which most other scientists would agree temporarily... pending further studies. I do not deny this position: I still believe that knowledge can only be developed step by step and with great caution.


However, now also being on the side of the patient, I want to take more risks. For it is not research and universal knowledge that interest me any more, but my little life which I'm trying to save - its quality and its length if possible. I have to take more risks.


As a scientist I want to invalidate hypotheses with an error risk of 5% (type I error, also called false alarm error, or the risk of finding an effect when there is none ). But as a patient, I am ready to take very different risks and try a method that may not work (provided it is not harmful). In other words, I am willing to consider a very high risk of being wrong. The error of 5% false alarm as we choose in our classically scientific protocols, could grow to 10%, 20%, or why not even 50% when I reason as a patient because I am desperate to find solutions . However, scientists continue imperturbably to publish their results with risk of type I error of 5% or 1%.


In the field of nutrition research, another problem is that conclusive studies in humans are relatively rare. The Western scientific methods draw their conclusions from studies with control groups or placebo and use research protocols in which patients and practitioners in contact with patients are not informed of their groups to avoid the effects of suggestion. As a result, testing diets or specific foods or nutrients in this way, especially their role in disease prevention and recurrence, is very difficult. Since the effects are mild and embedded in the differences in lifestyles such as eating habits, physical activity, genetic variability and physical and mental health background, huge cohorts are needed. Such studies take many years and require very detailed data collection (and obviously a lot of money for which it could be argued that it would be better invested in other types of research). The obstacles are many and research has been slow.


That's why I chose to loosen the grip of scientific rigor, and decided to accept to believe in some preliminary conclusions from epidemiological observations, animal studies and preliminary findings in interventions studies. The conclusions are certainly blurred and imperfect, but I keep hoping and I make sure that the foods do not interfere with the allopathic treatments (the chemotherapy and Avastin). While adopting this new mindset, I entered the large group of the survivors who began to change their nutrition in the hope that it will help their body fight cancer cells and strengthen their immune system.


Reading David Servan-Schreiber, whose books I discovered in February, allowed me to embrace this new way of thinking without embarrassment, to break my old paradigms, and opened for me the doors of what I would like to call "rational hope". This researcher and  physician (who died last year after 20 years fighting a very aggressive form of brain cancer) had a scientific approach while making compromises. He did it in all awareness, knowing that the findings of hard science were too limited to the cancer patient who seeks methods to protect its "ground". He compromised without becoming blinded by developing false believes.



So I took David Servan-Schreiber as a starting point, I read twice and slowly his book "Anticancer: The daily actions for health of body and mind." I gradually expand my readings and have already explored other books such as the research of Dr. Béliveau that Servan-Schreiber cites a lot (both researchers have access to international research published in English and both write in French and have been translated in English). Further reading American, Canadian and British health and research websites dedicated to patients have reinforced my conviction that I was on the right track. That how, while continuing to read and take notes, I've started changing my eating habits.




       (To be continued)

jeudi 3 mai 2012

Montagnes russes émotionnelles (Emotional Rollercoasters)

(English Version below)

Ce n'était rien! La tache sur mon foie. Les spécialistes ont tranché. Mon cancérologue les a convaincus qu'une tache qui reste sur le foie, isolee, sans bouger, ni grossir, ni diminuer d'un millimètre pendant 10 mois malgré les chimios, ca ne peut pas etre un cancer. Il avait donc raison mon sacré gynéco! 

Ces dernières semaines ont été dures mais je suis heureuse de m'être découverte assez forte. J'ai trouvé de bonnes thérapies pour rester positive malgré beaucoup de moments de tristesse et beaucoup de larmes.

D'abord j'ai appris à accepter mes larmes et les moments où la solitude me fait souffrir. Le cours de méditation m'a vraiment beaucoup aidée à m'accepter avec ma propre souffrance sans sombrer dans la pitié de moi-même ou l'attitude de victime. Je me prends par la main avec douceur, comme je le ferais avec mes meilleures amies. Je respecte ma douleur mais je n'en rajoute pas non plus: je ne me complais pas dans les regrets ou la colère. 

Comme d'habitude, le téléphone a bien servi. 

Cuisiner s'est avéré tout à fait thérapeutique. Je cherche de nouvelles recettes et j'invente. Je déguste. Si la recette est bonne, je la note dans mon classeur encore embryonnaire de menus anticancer.

Je sais aussi qu'il ne faut pas rester trop enfermée et ruminer du noir seule, sinon c'est la spirale descendante. Si je reste à la maison, je médite, ou je lis, je regarde une émission intéressante à la télé, ou je travaille sur mon blog... 

Sinon, je sors! Je bouge ce corps qui a besoin de reconstruire ses muscles et tout le reste. Si je sors me promener, j'ouvre les yeux et je fais l'effort de tout regarder comme si c'était la première fois, plutôt que de rester enfermée dans mes pensées à ne rien regarder que mes pieds. 

Et puis on finit aussi par se connaitre mieux après quelques mois passés à combattre le cancer. Je sais que j'aime parler de mon cancer et que parler aux amis dédramatise les situations. Mais je sais aussi m'arrêter (du moins je l'espère!). Il faut aussi rire et se distraire. 

Je cherche à être utile. Aider les autres pour s'aider soi-même est très important. Le retour au travail, même s'il est pour le moment plutôt symbolique qu'efficace, car je ne passe que quelques heures par semaine au bureau, m'a fait le plus grand bien. Une amie m'a invitée à une mini-conférence organisée par des urbanistes cherchant à améliorer l'accueil aux étrangers dans la ville, et nous avons parlé de mon prochain livre. Je me suis sentie utile, ma vie reprenait son sens et je n'étais plus centrée sur moi même et mes problèmes de santé, j'étais à nouveau une personne ayant sa place dans une communauté. Ca m'a fait énormément de bien! 

Pourtant il y a eu aussi beaucoup de moments d'angoisse et de tristesse. Je pensais à la mort et aux choses que je ne ferai pas. Je pensais à mon fils, mon père, mes proches, et comme ils seraient tristes si je partais. 

Est-ce que penser à la mort peut faire mourir plus tôt? Peut-être, mais pas forcément. Alors que j'étais triste, je continuais de me prendre en main et d'espèrer. Les moments de tristesse alternaient avec les bons moments passés à rire, bouger, apprendre, partager... Etre triste et avoir peur était une réaction tout à fait normale dans cette situation. Dans la mesure où cela alternait avec des moments où la vie reprenait son cours habituel, je ne sombrais pas dans la dépression même si mon humeur n'était généralement pas joyeuse. 

De ces dernières semaines, je ressors plus humble face à cette maladie et à la vie, qui prend des chemins que nous ne maîtrisons pas. Je pense souvent à ce que seraient mes dernières paroles et mes derniers conseils à mon fils. Fais ce que tu peux, et fais de ton mieux. Ni plus, ni moins. 

Je suis heureuse de voir que je ne suis pas en métastase, et je vais certainement m'amuser à le célébrer avec des copines et ma famille qui viendra me rendre visite la semaine prochaine. 

Mais je reste humble. Je tente de faire de mon mieux, mais je ne peux que faire ce que je peux.



***

English version

It was nothing! The spot on my liver, I mean. Experts agree. My oncologist has convinced them that this worrisome spot seen on CT-scans in my liver, which looked isolated, and did not move, nor grow, nor diminish by a millimeter for the last 9 months despite the chemotherapy, can not be cancer. They agreed. My gynecologist was right then! 

These past weeks have been tough but I'm happy to have discovered that I was strong enough though. I found some good ways to stay positive despite many moments of sadness and many tears.

First I learned to accept my tears and that loneliness hurts. The meditation course has really helped me to accept myself with my own suffering without ending into self-pity or developing a the victim stance. I take myself by the hand gently, as I would with my best friends. I respect my pain but I do not add to it either by adding anger or regrets.

As usual, the phone was warm after a few hours discussions with my best friends.

Cooking also proved very therapeutic. I've looked for new recipes and I've invented some. I tasted some delicious things. If the recipe was good, I noted it in my new embryonic workbook that I intend to fill in with delicious anticancer menus.

I also know that I should not stay too much indoors and brooding, otherwise it is the downward spiral. If I stay at home, I meditate, I read, I watch an interesting program on TV, or I work on my blog ...

Otherwise, I go out! My body needs to rebuild its muscles and everything else. If I go out walking, I open my eyes and I make the effort to look at everything as if it was the first time, instead of staying locked in my thoughts with nothing to look at but my feet.

Ultimately you get to know yourself better after months fighting cancer. I know I like talking about my cancer and that talking to friends defuses situations. But I also know when to stop (at least I hope I know). I need to laugh and have fun as well! 

I try to be helpful. Helping others is very important to help yourself. Returning at the office, although it is currently more symbolic than really efficient, because I spend just a few hours a week there, made me feel great. A friend invited me to a mini-conference held by city planners seeking to improve the arrival of foreigners in the city of Rotterdam, and we talked about my future book. I felt good. My life felt very meaningful again. I was not so focused on myself and my health problems anymore. It made me feel really good to help others and participate into some projects to improve other's lives.

Yet there were also many moments of anxiety and sadness. I thought about death and things that I will not be able to do. I thought about my son, my father, my relatives, and how they will suffer if I leave.

Does thinking about death make one die sooner? I would not be honest if I didn't say that I was a bit worried about it. But while I was sad, also I kept hoping. The moments of sadness alternated with the good times, all the opportunities to laugh, move, learn, share ... were still there. Being sad and fearful was quite a normal reaction in my situation as I could not know if I was entering a terminal stage of the disease or if the "spot" was nothing to worry about. These moments however alternated with times where life had returned to its usual course. I did not sank into depression even if my mood was generally not ecstatic.

Today when I look back, I feel even more humble than before: this disease and life in general just take many paths that we can not control. I often thought about what would be the last and the most important message to my son. 

"Do what you can, and do your best." Nothing more, nothing less.

I'm glad I'm not in metastasis, and I will definitely have fun to celebrate with friends and family who come to visit me next week.

But I remain humble. I try to do my best, but I can only do what I can.

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Statistiques et pronostics :L’opinion du biologiste Stephen J. Gould

Un célèbre biologiste évolutionniste de l'Université de Harvard, Stephen Jay Gould, confronté à un cancer au pronostic très sombre, a écrit un article important sur le sujet. Je me suis lancée dans sa traduction. Cet article est devenu célèbre dans les milieux anglophones de patients atteints du cancer et autres maladies dites incurables, car il explique précisément pourquoi les médianes obtenues sur les grands ensembles de patients ne permettent pas de donner des pronostics individuels. L'article va paraitre ardu aux personnes qui n'ont pas beaucoup de formation en statistiques, mais j'espère que vous apprécierez son humour et le message d'espoir dont il est porteur.

[mes notes personnelles sont entre crochets]

La médiane n'est pas le message, par Stephen Jay Gould

«  Ma vie a récemment croisé, d'une manière toute personnelle, deux boutades célèbres de Mark Twain. L’une dont je parlerai à la fin de cet essai. L'autre (parfois attribuée à Disraeli), est qu’on peut convenir de trois formes de mensonge, chacune pire que la précédente: le mensonge, le sacré mensonge, et les statistiques.

Prenons un exemple type de distorsion de la vérité par les chiffres - l'exemple aidera à comprendre la suite de mon histoire. Les statistiques reconnaissent différentes mesures d'une tendance centrale. La moyenne est le concept habituellement utilisé pour exprimer une norme générale: les objets sont ajoutés puis divisé par le nombre de leurs propriétaires (100 bonbons recueillis par 5 enfants le soir d'Halloween, donne un résultat de 20 bonbons pour chacun, dans un monde équitable). La médiane, une mesure différente de la tendance centrale, est un point à mi-chemin. Si je range cinq enfants par la taille, l'enfant représentant la médiane est plus petit que deux et plus grand que deux autres (qui auront certainement des difficultés à obtenir leur part moyenne de bonbons). Un politicien au pouvoir pourrait dire avec fierté: «Le revenu moyen de nos citoyens est de 15.000 dollars par an ». Le chef de l'opposition pourrait rétorquer: «Mais la moitié de nos citoyens gagne moins de 10.000 dollars par an." Les deux ont raison, mais aucun ne cite une statistique en usant d'une impassible objectivité. Le premier invoque une moyenne, le second une médiane. (Dans ce cas la moyenne est plus élevée que la médiane, car un millionnaire peut l'emporter sur des centaines de personnes pauvres dans le calcul de la moyenne, mais il vaut autant qu'un mendiant dans le calcul de la médiane).

[Je ne traduis pas ici un long paragraphe relatif aux débats politiques et intellectuels de l’époque aux USA]

En juillet 1982, j'ai appris que je souffrais d'un mésothéliome abdominal, un cancer rare et grave souvent associé à l'exposition à l'amiante. Quand j'ai repris mes esprits après la chirurgie, la première question que j'ai posée à mon médecin et chimiothérapeute a été: « Quelles sont les meilleures publications techniques sur le mésothéliome? » Elle répondit, avec une touche de diplomatie (la seule exception qu'elle n’ait jamais faite à sa franchise tranchante), que la littérature médicale ne contenait rien qui vaille vraiment la peine d'être lu. Bien sûr, tenter d'éloigner un intellectuel des travaux de littérature scientifique est aussi efficace que de recommander la chasteté à l'homo sapiens, le plus sexué de tous les primates. Dès que j'ai été capable de marcher à nouveau, je suis allé tout droit à la bibliothèque médicale de Harvard Countway et ai entré énergiquement le mésothéliome dans le programme de recherche bibliographique de l'ordinateur. Une heure plus tard, immergé par la littérature la plus récente sur le mésothéliome abdominal, j'ai réalisé, la gorge serrée, pourquoi mon médecin ne m'avait offert que ce conseil humaniste. La littérature n'aurait pas pu être plus brutalement claire: le mésothéliome est incurable, avec une mortalité médiane de seulement huit mois après sa découverte. Je suis resté assis, étourdi, pendant une quinzaine de minutes, puis j'ai souri et je me suis dit: alors c'est pour ça qu'ils ne me donnent rien à lire. Puis, mon esprit a recommencé à marcher, ouf, merci.

Je rencontrai là un cas classique démontrant qu'un peu de connaissance ne peut jamais faire grand mal. Clairement, l'attitude a son importance dans la lutte contre le cancer. Nous ne savons pas pourquoi (sur la base de ma bonne vieille perspective matérialiste, je soupçonne que les états mentaux envoient des informations au système immunitaire). Mais si vous comparez des personnes avec le même type de cancer, même âge, classe, santé, statut socio-économique, et bien, en général, ceux qui ont des attitudes positives, avec une forte volonté et un but dans la vie, un engagement à lutter, accompagné d'une réaction contribuant activement à leur propre traitement et pas seulement une acceptation passive de tout ce que disent les médecins, ces personnes ont tendance à vivre plus longtemps. Quelques mois plus tard, j'ai demandé à Sir Peter Medawar, mon gourou personnel scientifique et prix Nobel en immunologie, ce que serait la meilleure prescription pour battre le cancer. « Une personnalité optimiste [a sanguine personality, dans le texte original] », répondit-il. Heureusement (car on ne peut pas se refaire rapidement et dans un but précis), si j'ai une qualité, c'est bien d'être d'humeur égale et confiant, tout comme il le disait.

D'où le dilemme pour les médecins voulant faire preuve de magnanimité: si l'attitude a une telle importance, une  conclusion aussi sombre devrait-elle être annoncée, étant donné que peu de gens ont une compréhension suffisante des statistiques pour comprendre tout ce que de telles phrases signifient vraiment? Pendant mes années passées à étudier quantitativement l'évolution à petite échelle des escargots terrestres des Bahamas, j'ai développé ce savoir technique - et je suis convaincu que cela a joué un rôle capital dans ma survie. La connaissance est en effet le pouvoir, selon le proverbe de Bacon.

Le problème peut se résumer ainsi: Qu'est-ce que «la mortalité médiane de huit mois» signifie en langage courant? Je soupçonne que la plupart des gens, sans formation statistique, traduisent une telle phrase par: « Je vais probablement être mort dans huit mois. » Or c'est exactement ce qu'il faut éviter, d'une part parce que ce n'est pas le cas, et d'autre part parce que l'attitude a beaucoup d'importance.

Je n'étais pas, bien sûr, enchanté, mais je n'ai pas lu le texte d'une façon simplifiée non plus. Ma formation technique m'enjoint à une perspective différente sur la « mortalité médiane de huit mois ». Le problème est subtil, mais profond - car il incarne une manière de penser toute particulière à mon domaine d'étude, la biologie évolutionniste et l'histoire naturelle.

Nous portons toujours avec nous le bagage historique de notre héritage platonicien qui cherche les formes stables et les limites déterminées. (Ainsi, nous espérons trouver un « début de la vie » ou « définition de la mort » qui ne seraient pas ambigües, alors que la nature souvent se présente à nous comme un continuum irréductible). Cet héritage platonicien, qui met l'accent sur les distinctions claires et les entités immuables et séparées, nous amène à interpréter à tort les mesures statistiques de tendance centrale, l'interprétation appropriée étant au contraire de prendre en compte les variations, les nuances, et les continua de notre monde environnant. En bref, nous considérons que les moyennes et les médianes sont des réalités pures et dures, et la variation qui permet leur calcul comme un ensemble de mesures transitoires et imparfaites de cette réalité [essence, dans le texte original] cachée. Si la médiane était la réalité et la variation autour de la médiane juste une partie de la méthode de calcul, le « je serai probablement mort dans huit mois » serait une interprétation raisonnable.

Mais tous les biologistes évolutionnistes savent que la variation elle-même est la réalité irréductible de la nature, et non pas des mesures imparfaites de la tendance centrale.  Moyennes et les médianes sont des abstractions. Par conséquent, j'ai regardé les statistiques du mésothéliome bien différemment - et pas seulement parce que je suis un optimiste qui a tendance à voir le verre à moitié plein, mais surtout parce que je sais que la variation elle-même est la réalité. Je devais donc chercher ma place dans cette variation.

Quand j'ai lu que la médiane était de huit mois, ma première réaction a été intellectuelle: d’accord, la moitié des gens vont vivre plus longtemps, maintenant quelles sont mes chances d'être dans cette moitié ? J'ai lu, pendant une heure de fureur et nervosité, et ai conclu, avec soulagement: sacrément bonnes. Je possédais chacune de toutes les caractéristiques conférant une probabilité de survie plus longue: j'étais jeune, ma maladie avait été reconnue à un stade relativement précoce, je recevrais le meilleur traitement médical du pays, j'avais beaucoup de raisons de vivre et je savais comment lire les données correctement et ne pas désespérer.

Un autre point technique est venu m'apporter encore plus de réconfort. J'ai tout de suite compris que la distribution de la variation autour de la médiane de huit mois devrait très certainement avoir ce que les statisticiens appellent « une courbe étalée à droite ». (Dans une distribution symétrique, le profil de variation à gauche de la tendance centrale est une image en miroir de la variation à droite. Dans une distribution asymétrique, la variation d'un côté de la tendance centrale est plus étendue. La courbe est dite étalée à gauche si la courbe s'étend vers la gauche, étalée à droite si elle est plus prolongée sur la droite). La distribution de la variation devait être asymétrique à droite, raisonnais-je. Après tout, la gauche de la distribution contient une limite inférieure de zéro irrévocable (puisque le mésothéliome ne peut être identifié qu'au moment du décès ou avant). Ainsi, il n'y a pas beaucoup de place pour la distribution à gauche, qui doit être compressée entre zéro et huit mois. Mais pour ce qui est de la partie supérieure (courbe à droite), cette moitié peut s'étendre très loin à droite, pendant des années et des années, même si au final personne ne survit. La distribution devait donc être asymétrique à droite, et j'avais besoin de savoir sur combien d'années cette ligne à droite s'étalait - car j'avais déjà conclu que mon profil favorable faisait de moi un bon candidat pour cette partie de la courbe.

La distribution était effectivement fortement asymétrique à droite, avec une longue traîne (bien que mince) qui s'étendait sur plusieurs années au-delà de la médiane de huit mois. Je ne voyais pas pourquoi je ne devrais pas être dans cette petite traîne, et je poussai un très long soupir de soulagement. Mes connaissances techniques avaient aidé. J'avais lu le graphique correctement. J'avais posé la bonne question et j'ai trouvé les réponses. J'avais obtenu, selon toute probabilité, le plus précieux de tous les dons possibles dans les circonstances - un temps considérable. Je n'avais pas besoin d'arrêter tout et de suivre immédiatement l'injonction d'Isaïe à Ézéchias « Mets ta maison en ordre car tu vas mourir, et non vivre ». J'allais avoir le temps de penser, planifier et me battre.

Un dernier point sur les distributions statistiques. Elles ne s'appliquent qu'à un ensemble prescrit de circonstances - dans ce cas, à la survie au mésothéliome lorsque les traitements classiques sont appliqués. Si les circonstances changent, la distribution peut se modifier. J'ai été placé dans un protocole pour un nouveau traitement expérimental et, si la fortune me sourit, serai dans la première cohorte d'une nouvelle distribution avec une haute médiane et une traîne à droite s'étendant très loin, jusqu'à la mort par des causes naturelles à un âge avancé.

Il est devenu, à mon avis, un peu trop à la mode de considérer l'acceptation de la mort comme quelque chose qui relève d'une dignité fondamentale. Bien sûr, je suis d'accord avec le prédicateur de l'Ecclésiaste qu'il y a un temps pour aimer et un temps pour mourir - et quand mon écheveau s'épuisera, j'espère faire face à la fin calmement et à ma façon. En règle générale cependant, je préfère une approche plus martialle, où la mort est l’ultime ennemi - et je n'ai rien à reprocher à ceux qui se déchainent vigoureusement contre la mort de la lumière.

 Les épées de la bataille sont nombreuses, et aucune plus efficace que l'humour. Ma mort a été annoncée à mes collègues, lors d'une réunion en Ecosse, et j'ai presque eu le plaisir délicieux de lire mon article nécrologique rédigé par l'un de mes meilleurs amis (ce monsieur a eu des soupçons et a vérifié; il est également statisticien, et ne s'attendait pas à me trouver si loin sur la traîne de droite). Pourtant, l'incident m'a permis de retrouver mon premier fou rire après le diagnostic. Pensez, j'étais à deux doigts de pouvoir répéter la plus célèbre de toutes les lignes de Mark Twain: « les communiqués de presse rapportant ma mort sont très exagérés. »

***

Professeur Gould est décédé en 2002 d'un cancer sans rapport avec celui-ci, après avoir vécu plus de 20 ans avec le mésothéliome abdominal.

Cet article est publié en anglais sur le site de Steven Dunn (voir ma page de références).