lundi 30 janvier 2012

Laissez moi danser (Don't stop me now)

Ce soir, nous avons une soirée disco, juste William et moi. Nous écoutons un Best of de Queens. Le volume est bien plus fort qu'à l'habitude. Mais on n'a pas encore entendu les voisins frapper à la porte, alors on continue. William ne sait pas qui est Queens. Evidemment ce n'est pas sa génération. Allons-nous appeler cela une nuit éducative? Relax, c'est juste notre soirée disco! Je me mets à danser et chanter «Don't stop me now, cause I am having a good time..." (Ne m'arrêtez pas maintenant car je m'amuse tellement). Je danse comme une folle. Je suis si heureuse pouvoir danser librement de nouveau, tous mes muscles me répondent, je peux même sauter! Don't stop me now... Ne m'arrête pas maintenant cancer, car je suis entrain de passer de si bon moments!

Il y a beaucoup d'émotions. J'étais à la formation Mindfulness aujourd'hui et j'étais en larmes la moitié du temps. Ouvrez la boîte de mes émotions, et bonjour tristesse. Je suis si triste de penser que le cancer pourrait revenir et m'emporter. Il y a tellement de choses que je veux encore expérimenter ou créer.

Mais il y aura des moments de tristesse et d'angoisse, et je suis prête. Il y aura aussi beaucoup de plaisirs et de satisfactions. Je vais vivre ma vie à 100%. Non pas en faisant des tas de choses, bien au contraire. Je vais soigneusement sélectionner ce que je veux faire, en disant «non» à beaucoup de gens et d'opportunités. Sélectionner le plus important et le vivre à fond. Je vais vivre ma vie entre Mindfulness et Rock and Roll, tout comme aujourd'hui, tantôt tout en sagesse et tantôt tout en bonheur et fun.

Peut-être la routine va-t-elle revenir et effacera-t-elle mes bonnes résolutions? Mais pour l'instant, avec le sentiment que je suis débarrassée de la maladie pendant au moins plusieurs mois, et espérons beaucoup d'années, je veux profiter de chaque heure.

J'ai l'impression que rien ne peut me stopper. Bien sûr, quelque chose va m'arrêter un jour, et je pense souvent à la mort. Mais je suis de plus en plus apte à vivre en mettant mes peurs de côté. Je suis une personne beaucoup plus forte maintenant. Je n'ai jamais été aussi consciente de ma faiblesse, mais ma volonté de profiter de la vie et faire quelque chose d'utile pendant le temps qui me reste est plus fort que jamais. Je pensais que les gens qui disent qu'ils sont plus heureux après le cancer ont été un peu dans le déni, mais maintenant j'y arrive et je comprends.

Ma prière aux étoiles ce soir sera, S'il vous plaît, Don't stop me now, ne m'arrêtez pas maintenant, Cause I am having a good time - car je suis si heureuse en ce moment. Je veux continuer à danser.

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Pas de photos aujourd'hui
mais à la place cette video de femmes dansant "Don't stop me now"
pour défendre les droits de la femme

No picture today, just watch that instead these women dancing "Don't stop me now"  to defend women's rights

http://www.youtube.com/watch?v=pZd0kLWP01c

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English version:

Tonight we're having a disco night, just William and me. We are listening to the Best of Queens. Very loud. We didn't hear the neighbours banging at the door so far, so we go on. Don't stop me now... William doesn't know who Queen is. It's just not his generation. Shall we call this an educative night? Forget it, it's just our disco night! I am dancing and singing "Don't stop me now, cause I am having a good time..." I am dancing like crazy. I am so happy I can dance again; all my muscles are responding to my command and I can even jump! Don't stop me now cancer, cause I am having a really good time, right now.

There are a lot of emotions. I was at the Mindfulness training today and was in tears half of the time. Open the box of my emotions, and you will see so much sadness. I am so sad that the cancer might come back and take me away. There are so many things I still want to create and to experience.

There will be times of sadness and anxiety, but I am ready for it. There will be also lots of fun and contentment. I will live my life 100%. Not by doing lots of things, quite the contrary. Selecting carefully what I want to do, saying "no" to plenty of people and to opportunities. I will live my life in mindfulness, and in Rock and Roll, just like today, sometimes in wisdom and sometimes in total fun.

Perhaps the routine will come back, but for now, with the feeling that I am free from disease for at least several months, perhaps for years, I want to enjoy every moment and be aware of how I spend each and every hour I have left.

I am feeling like nothing can stop me now. Of course something will stop me one day,  and I am often thinking about death. But I've learned to live and put my fears aside. I am a much stronger person now. I have never been so aware of my weakness, but my will to enjoy life and do something useful for others has never been so strong. I thought people who say that they are happier after cancer were a bit in denial, but now I get there and I understand.

My prayer to the stars tonight will be: Please, don't stop me now, cause I am having a good time. I would like to keep on dancing for a while.  

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samedi 28 janvier 2012

Regardez les étoiles (Look up at the stars)

(English version below)

J'ai envoyé un email pour informer ma famille et des proches que mes traitements sont terminés. En fait seulement les traitements les plus lourds sont terminés et je reste sous Avastine (Bevacizumab) pendant encore une année, mais je leur ai épargné les détails. L'important est qu'aucune trace suspecte n'est visible sur les CT-scans. Donc pour le moment, je suis en rémission. Les réactions sont enthousiastes et me réjouissent énormément! C'est le moment de célébrer cette victoire. J'ai gagné une bataille. Je ne sais pas si j'ai gagné la guerre, mais une victoire comme celle-là, ça se fête!

Je me sens un peu détachée pourtant. Peut-être parce que j'ai passé ces dernières semaines dans le ciel. Dans l'interview du Prof Hawking qui m'avait inspirée (voir article précédent) j'avais lu: "Remember to look up at the stars and not down at your feet. Try to make sense of what you see and wonder about what makes the universe exist." (ma traduction: "Rappelez-vous de lever la tête et regarder les étoiles au lieu de regarder vos pieds. Essayez de comprendre ce que vous voyez et demandez-vous pourquoi l'univers existe").

J'ai acheté un énorme livre sur l'histoire des découvertes astronomiques que je dévore chaque soir. Je passe quelques minutes tous les soir à regarder les étoiles quand le ciel est découvert. Orion est devant ma fenêtre à l'heure où je vais me coucher. J'ai toujours eu un faible pour Orion et pour le "W" de Cassiopée car ces constellations sont bien visibles, même en ville, et leurs étoiles rapprochées les rendent faciles à repérer.

Regarder les étoiles et lire leur histoire m'aide à m'évader et oublier mes soucis terrestres. Alors que je découvre comment les premiers astronomes ont découvert les planètes de notre système, par des calculs mathématiques d'abord puis par leurs observations à l'aide de télescopes, notre système solaire parait immense et encore très mystérieux. Où sont cachées les comètes? Pourquoi l'eau sur Mars a-t-elle disparu?

Le lendemain, alors que je lis l'histoire des astronomes qui ont cherché à définir la forme et les dimensions de notre voie lactée, le système solaire paraît maintenant au contraire très petit, un petit point sur une des branches d'une galaxie en spirale contenant des milliards d'autres étoiles. Le surlendemain, c'est au tour de notre galaxie de paraître tantôt gigantesque et tantôt un point parmi des centaines de milliards d'autres et noyée dans l'univers où règne la matière noire. L'univers naît, c'est le Bing Bang, puis de gigantesques amas de galaxies s'éloignent les uns des autres à des vitesses inimaginables. Notre galaxie voyagerait à 600 km par seconde. Et pourtant... rien de bouge autour de moi. Les trous noirs aux dimensions inimaginables situés à des millions d'années lumières naissent au cœur des galaxies, avalent des quantités inouïes de matière stellaire et nous bombardent de rayons gamma. Et pourtant... le soleil et la Terre continuent leur voyage à l'intérieur de la galaxie, pas gênés du tout.

Me perdre dans les galaxies et leur vie complexe me fait beaucoup de bien. Les soucis terrestres sont mis en perspective et paraissent infiniment insignifiants. Ma vie et ma mort sont un tout petit point dans l'univers et ne comptent pas. Je ne suis importante que pour mes amis et ma famille. Cela m'enlève beaucoup de culpabilité et m'aide à me dire que, quoi que je fasse, je suis moi aussi sous influence des lois de l'univers. Je fais partie d'un tout petit groupe, les humains, vivant sur une toute petite planète exceptionnelle. Il doit y avoir beaucoup d'autres petites planètes exceptionnelles dans l'univers, et beaucoup d'autres Catherines qui respirent, vivent et meurent en faisant de leur mieux dans leur courte vie. Cela m'aide à rester modeste et aussi à apprécier ce que j'ai et ce que je suis, ce que nous sommes. Etre consciente de ma petitesse ne me rends pas malheureuse mais au contraire me fait mieux apprécier ma nature humaine, mes limites, ma ressemblance avec tous les autres humains et nos points communs.

Je crois qu'en regardant les étoiles, on se perd d'abord, puis on devient beaucoup plus humain. Je n'ai jamais lu ce "truc" dans les livres de psychologie scientifique. Les psychologues devraient s'interroger sur nos émotions lorsque nous regardons les étoiles et faisons face à l'infiniment grand et son infinie beauté. Quelque chose de très beau se produit, qui réconforte et qui soigne.


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English version:

I've sent an email to inform my family and friends that my treatments are over. In fact only the heavier treatments are over and I will keep getting Avastin (bevacizumab) for another year, but I have spared the details. The important thing is that no suspicious spot is visible on the CT-scans. So for now, I am in remission. Reactions are enthusiastic and energized me tremendously! It's time to celebrate this victory. I won a battle. I do not know if I won the war, but winning a battle like this one is worth celebrating!

I feel a little detached emotionally though. Perhaps because I spent the last few weeks in the sky. In the interview of Prof. Hawking who inspired me (see previous blog post), I read: "Remember to look up at the stars and not down at your feet. Try to make sense of what you see and wonder about what makes the universe exist."

I bought a huge book on the history of astronomical discoveries that I devour every night. And I spend a few minutes every night watching the stars when the sky is clear. Orion is visible from my window at a time I go to bed. I've always been found of Orion and the "W" of Cassiopeia: these constellations are clearly visible, even in town, and their stars are not too far from each other which makes it very easy to find.

Looking at the stars and reading their story helps me to escape and forget my earthly worries. I read how early astronomers deduced the existence of planets in our system by mathematical calculations and discovered them visually using telescopes. Our solar system seems so huge and still so mysterious. Where are the hidden comets? Why is water on Mars has she gone?

The next day, on the contrary, as I read the history of astronomers who tried to define the shape and size of our Milky Way, the solar system suddenly seems very small, a small dot on one arm of a spiral galaxy containing billions of other stars. The next day, our galaxy appears sometimes immense and sometimes a small dot among hundreds of billions of others, lost in a universe dominated by dark matter. Under my eyes, the universe is born, it's the Big Bang and huge clusters of galaxies move away from each other at unimaginable speeds. Our galaxy would travel at a speed of 600 km per second. And yet... nothing moves around. It defies my imagination. Black holes of unimaginable dimensions located millions of light years away in the heart of galaxies were born, swallowed colossal quantities of  stellar matter and then bombard us gamma rays. And yet... the sun and Earth continue their journey within the galaxy, not bothered at all.

Getting lost in the galaxies and their complex life feels extremely good. The earthly worries are put into perspective and appear infinitely insignificant. My life and my death are just another tiny point in the universe and do not count. I'm important only to my friends and family. This takes away a lot of guilt and reminds me that whatever I do, I am also only a small thing under the influence of the laws of the universe. I am part of a very small group, humans, living on a tiny and exceptional planet. There must be many other small and exceptional planets in the universe, and many other Catherine who breathe, live and die, trying to do the best within their short lives. It helps me to keep being modest and also to appreciate what I have, what I am, and what we are and have. Being aware of my smallness does not make me unhappy, but rather makes me better appreciate my human nature, my limits, my resemblance to all other humans and our commonalities. It makes me feel lots of kindness for the other humans and for myself.

I believe that looking at the stars, you get lost at first and then become much more human. I have never read this "tip" in modern psychology books. Psychologists should question our emotions when we look at the stars and are faced with it's infinite scale and infinite beauty. Something beautiful happens then. And it helps and heals.


samedi 21 janvier 2012

Conseils de survivants (Learning From Survivors)

(English translation below)

Je pensais fêter la fin de mon traitement mais un méchant rhum m'a enlevé toutes mes forces au moment où mon système immunitaire est au plus bas. Epuisée, j'ai abandonné l'idée d'écrire sur mon blog ou de répondre aux emails... et je me suis laissée allée à ne presque rien faire. J'ai passé beaucoup de temps devant la télévision, sous une grosse couette, en buvant des tisanes au miel. J'ai découvert toutes sortes d'émissions sur la nature, les voyages, et ce qui m'a passionné le plus étaient ces nouveaux shows de survivants.

Mon préféré est "Survivorman" (L'homme survivant), un homme qui part seul avec un minimum d'équipement pour une semaine dans un milieu sauvage (tropiques, Arctique, forêts tempérées, etc.) sans nourriture et sans équipe de tournage, simplement avec son sac à dos, ses caméras portables et son harmonica.

Cet homme, qui a fait de la survie sa profession, est plein d'astuces sur comment trouver de la nourriture et se protéger du mauvais temps. Comme d'habitude ce qui m'intéresse surtout est de savoir comment il arrive à tenir bon, psychologiquement tout autant que physiquement. J'apprends en l'écoutant les grands principes de la survie: les survivants sont ceux qui ne perdent pas espoir malgré l'épuisement et l'intense solitude; qui ne paniquent pas; qui parfois doivent attendre très patiemment avant de passer à l'action.

Ce sont aussi ceux qui ont beaucoup de chance, il nous le dit et nous le répète à chaque émission. Oui, on ne peut pas tout contrôler quelle que soit notre force, notre entraînement, notre intelligence. C'est une évidence mais dans notre désir de contrôler notre destinée ou de trouver des explications rationnelles aux événements, on oublie que très souvent, les choses ne s'expliquent pas et arrivent juste par hasard.

En écoutant ces sages remarques, je me rappelle que je dois rester modeste face à la maladie. Je ne peux que faire de mon mieux avec mes moyens, mais même ne faisant de mon mieux, je ne peux pas contrôler tout ce qui arrivera. Il faut accepter ce fait sans se laisser abattre et ne jamais arrêter de se battre, malgré l'incertitude.

Avant d'attraper ce gros rhum, la semaine dernière, j'avais aussi été inspirée par un témoignage du Prof Hawking interviewé à l'occasion de ses 70 ans. Je ne comprends rien à ses théories physiques. On nous dit qu'il est un des plus grands scientifiques de notre temps, je veux bien le croire. Par contre, il n'est pas difficile d'admirer son courage et sa longévité. Diagnostiqué à 21 ans avec la maladie du motoneurone (motor neurone disease ou MND en anglais), il ne lui restait que quelques mois à vivre. Seulement 5% des patients ayant son type de MND, la sclérose amyotrophique latérale (amyotrophic lateral sclerosis, ALS, or maladie de Lou Gehrig) dépassent les dix ans de survie. Contre toute attente, il a survécu à sa maladie pendant 50 ans!

Il déclare à BBC (source: http://www.bbc.co.uk/news/health-16137007, ma traduction):  "On me demande souvent ce que je ressens du fait que je souffre de l'ASL. Je réponds, pas grand chose. J'essaie de vivre une vie aussi normale que possible, de ne pas penser à ma condition ou regretter toutes les choses que ma maladie m'empêche de faire, il n'y en a pas tant que cela. (...). Malgré le nuage menaçant mon futur, j'ai découvert à ma grande surprise que je profitais de la vie au présent plus qu'auparavant."

Et après son diagnostique? "J'ai commencé à progresser dans mes recherches scientifiques, et je me suis fiancé avec une jeune femme, Jane Wilde, que j'avais rencontrée juste à la période où j'ai reçu mon diagnostic. Cette relation a changé ma vie. Elle m'a donné une raison de vivre".

J'adore! Après le diagnostique, la vie continue, elle doit continuer. Le Dr Hawking et sa femme ont eu des enfants. Il a divorcé et s'est remarié beaucoup plus tard. Le nombre de ses titres universitaires, ses publications et titres de prestige est extraordinaire. La maladie n'a pas arrêté sa vie. Les survivants trouvent des motivations, amour, travail, et passions, pour que la vie reste belle. L'envie de vivre est là.

Je ne me suis pas sentie seule. Les histoires de survivants sont inspirantes, porteuses d'espoir et aident à recharger les batteries. J'avais eu les mêmes émotions lorsque je lisais le livre de Lance Armstrong puis le livre de la fondation Armstrong "Live Strong" dans lequel les survivants de cancer échangeaient leurs témoignages.

Pour les survivants, après le trauma, la vie est vue comme plus fragile, plus précieuse. La grande majorité d'entres aux disent mieux apprécier la vie. Parfois ils prennent même plus de risques pour profiter de la vie pleinement - par exemple ils voyagent plus qu'avant.

Les histoires de survivants font maintenant partie de ma liste "Activités pour garder et raffermir le moral, l'espoir et le courage". Dans ma liste, on trouve les comédies rigolotes, les soirées avec les amis, les bons repas, les marches dans les bois, les longs bains chauds aux chandelles, les préparations des prochaines vacances... La liste des choses qui me soutiennent et qui renforcent mon système immunitaire et ma santé mentale semble décidément s'allonger chaque semaine.




Une image qui a fait le tour du monde, le jour où le Dr Hawking a fait l'expérience de l'apesanteur.
This picture has been in all medias, when Dr Hawking experienced zero gravity.


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English version: Learning from Survivors

I was hoping to celebrate the end of my treatment, but a wicked cold has taken away all my strength while my immune defences are low. Exhausted, I abandoned the idea of ​​writing answers to emails or blogging... and I was left to do almost nothing. I spent a lot of time watching television, under a big duvet, drinking herbal tea with honey. I discovered all kinds of programs on wild life, nature, travel, and what fascinated me the most were these new shows about survivors.

My favourite is "Survivorman", a man who goes alone with minimal equipment for a week in the wilderness (tropics, Arctic, temperate forests, etc) without food nor crew, just with his backpack and harmonica.

This man, who made survival his profession, is full of tips on how to find food and protect yourself from bad weather. As usual what interests me most is how he manages to cope, psychologically as well as physically. I learn by listening to him some of the important principles of survival: Survivors are those who do not lose hope, despite the exhaustion and intense loneliness; they do not panic; they sometimes have to wait very patiently before acting.

Survivors are also people who are lucky, he tells us, and repeats to us in every show. That's not a detail. Indeed, we can not control everything regardless of our strength, our training, or even our intelligence. It is obvious, but in our desire to control our destiny or to find rational explanations for events, we forget that very often things are not explained and arrive just by chance.

This helps me to feel more modest in the face of my disease and reminds me that I can only do my best. And even if I do all my best, I will not control entirely what will happen to me, if I will survive or not. So we have to fight but there are also some facts that we need to accept, without feeling down and without giving up.

Before getting this cold, two weeks ago, I have been also inspired by a testimony of Prof. Hawking interviewed for his 70th birthday. I can not understand its physical theories. We are told he is one of the greatest scientists of our time, and I am ready to believe it. But we can all see and admire his courage and longevity. Diagnosed at age 21 with motor neuron disease (MND), he only had a few months to live. Only 5% of patients with his type of MND, amyotrophic lateral sclerosis (ALS, or Lou Gehrig's disease) survive more than ten years. Against all odds, he survived his illness for 50 years!

He told BBC (source: http://www.bbc.co.uk/news/health-16137007): "I am quite often asked: 'How do you feel about having ALS?' The answer is, not a lot. I try to lead as normal a life as possible, and not think about my condition, or regret the things it prevents me from doing, which are not that many. (...) Although there was a cloud hanging over my future, I found, to my surprise, that I was enjoying life in the present more than before."

And after his diagnosis? "I began to make progress with my research, and I got engaged to a girl called Jane Wilde, whom I had met just about the time my condition was diagnosed. (...) That engagement changed my life. It gave me something to live for."

I love it! After diagnosis, life goes on. It has to. Dr. Hawking and his wife had children. He divorced and remarried much later. The number of his academic qualifications, publications and titles of prestige is extraordinary. The disease has not stopped his life. The survivors are motivated, by love, work, and passions. Life is still very beautiful. The will to live is there.

I did not feel alone this last week. The inspirational stories of survivors brought me hope and helped me to recharge my batteries; they gave me more courage. I had the same emotions when I read Lance Armstrong's book and the book from his Foundation "Live Strong" in which cancer survivors shared their stories.

For, after the trauma, life is seen as more fragile, more valuable. Many say they enjoy life even better or they enjoy life more fully _ for example they travel more than before.

Listening or reading survivors stories have now its place on my growing list of "Activities for Recovery, Hope and Courage". In my list I had already: Watch funny comedies, spend evenings with friends, enjoy good meals, walk in the woods, take long baths with candles, prepare the next holidays... The list of things that helps me to build and preserve my strength, immune system and mental health, seems to grow every week!

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lundi 16 janvier 2012

Après la dernière chimio (After the last chemo)

(English translation below)

J'ai passé les portes de l'hôpital en pleurant après avoir remercié les infirmières lundi dernier. C'était ma dernière chimio, la numéro 6. Sept mois de traitement au total. Je suis rentrée en vélo, un challenge auquel je tenais beaucoup. J'avais dis à Florence de ne pas venir me chercher en voiture, car j'avais envie de faire ce dernier trajet seule pour me prouver et me souvenir plus tard que je restais forte, jusqu'au bout!  Et puis je suis allée quand même chez elle directement pour m'écrouler dans ses bras en pleurs. J'ai survécu.

La semaine a été ennuyeuse. Les vieux symptômes familiers étaient à leur maximum: les intestins très dérangés, la fatigue au moindre effort musculaire, le mauvais sommeil, la neuropathie au bout des doigts et des pieds, des douleurs osseuses dans les bras et au bout des jambes, d'autres douleurs venant des endroits qui ont été opérés...

Sur le plan mental, c'est un peu comme être dans l'œil du cyclone. La tempête est passée. D'autres challenges vont arriver. Pour le moment, tout est calme, je me repose au maximum. La vie normale va bientôt reprendre et commencent maintenant quelques semaines de transition pendant lesquelles je dois récupérer des forces.

Dans deux semaines, je vais me rendre au dernier CT-scan et examens sanguins qui devraient, j'espère, confirmer l'absence de tumeur résiduelle et la baisse des marqueurs CA125 (marqueurs qui augmentent lors de présence de tumeurs ovariennes). Puis, plan de reprise du travail avec le médecin du travail et mes managers. Lundi prochain commence un cours intensif de méditation et mindfulness basé sur le programme de Jon Kabat-Zin (expliqué en détails dans son livre " Full Catastrophe Living"). J'espère que cela va m'aider à me relaxer pendant cette nouvelle période de changement et de réadaptation.

Je dois encore digérer l'information et à nouveau m'adapter. C'est l'après-cancer qui commence presque. Le temps qui paraissait si long lors de la maladie paraît maintenant avoir passé très vite!

Je commence à penser à ma vie d'après-cancer. Sports, vacances, temps libre, travail... Qu'est-ce que je veux faire? Qu'est-ce que je veux reprendre? Qu'est-ce que je veux arrêter? Qu'est-ce que je veux changer?

Mais j'y pense sans que cela pèse lourd. Ce n'est pas le moment de penser trop, de réfléchir inutilement au futur incertain et de se faire à nouveau du soucis. Voilà au moins une chose que le cancer m'a vraiment entraînée changer: ne plus me faire de soucis inutilement. Les réponses viendront lorsqu'il sera temps de prendre des décisions.

 Le système immunitaire a besoin de repos, repos du corps et de l'esprit, pour renforcer ses défenses et faire baisser les marqueurs de stress présents dans le corps. Un peu d'activité physique quotidienne (ça tombe bien, le ciel est bleu et le temps est sec), des fruits et des légumes à chaque repas, du sommeil. Pour le reste, c'est le moment de calme avant la reprise. Le repos. Priorité numéro un et priorité des deux prochaines semaines.

La salle de chimiothérapie - The Chemotherapy room
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English Translation. After the last chemo

On Monday I passed the doors of the hospital in tears after having warmly thanked the nurses. It was my last chemo, the number 6. Seven months of treatment in total. I came back home on my bike, a challenge that I really wanted. I had told Florence not to pick me up with her car because I wanted to bicycle, as a way to prove to myself and remember later that I was strong till the end! And then I went to see her at her home, hugged her and cried in her arms. I've survived.

The week was boring. The old familiar symptoms were at their peak: the intestines very upset, fatigue at the least muscular effort, poor sleep, neuropathy in fingers and feet, bone pain in the arms and legs at the end, other pain from places that were made ...

Mentally, right now, it feels like being in the eye of the storm. The storm has passed. Other challenges are coming. For now, all is quiet. I rest up. Normal life will soon take over. These are now the few weeks of transition during which I have to recover strength, mentally and physically _ and there is much to recover from.

In two weeks I am going to the last CT scan and blood tests that should, hopefully, confirm the absence of residual tumor and find low levels of CA125 markers (markers that increase in the presence of ovarian tumors). Then, a plan to return to work progressively has to be agreed with the company doctor and my managers. Next Monday, I will join an intensive meditation and mindfulness-based program of Jon Kabat-Zin (cf his book "Full Catastrophe Living"). I hope this will help me relax during this new period of change and rehabilitation.

I still have to digest information and adjust again. This is the after-cancer period. The time that seemed so long during the treatment now appears to have gone very quickly.

I'm starting to think about my life post-cancer. Sports, vacation, free time, work ... What do I want to do? What am I looking forward returning to? What do I want to stop? What do I want to change?

But I think about this lightly for the time being. This is not the right time to think too much, and feel concern for an uncertain future. If there is only one thing that cancer has taught me, this is it: not to worry unnecessarily. The answers will come when it's time to make decisions.

The immune system needs a rest, body and mind, to strengthen its defenses and reduce markers of stress in the body. A bit of daily physical activity (great, today the sky is blue and the weather is dry); fruits and vegetables at every meal; sleep. I need rest before my come back. So it's time for recovery. Rest. Number one priority now and for the next two weeks.

mardi 10 janvier 2012

Commencer à vivre dans le présent (Starting to live in the Now)

Sur le site internet du New York Times, des survivants du cancer postent une photo et un bref commentaire sur leur vie après le cancer. Beaucoup mentionnent qu'ils profitent mieux de la vie et de ce qu'ils ont qu'avant le  cancer. C'était pour moi une idée très choquante au départ. Je me demandais si ces personnes n'étaient pas dans le déni, un mécanisme de défense dont mes professeurs de psychologie clinique imprégnés de théorie psychanalytique nous parlaient souvent. Une façon inappropriée de fuir la réalité.

(site du New York times  http://submit.nytimes.com/after-cancer et les photos sont là:
http://www.nytimes.com/interactive/2010/04/08/health/cancer-survivor-photos.html?ref=health)

Cette nouvelle façon de penser prend le devant dans ma vie mentale et j'en comprends quelques unes des causes. Ce n'est pas un déni car cela coexiste avec une forte prise de conscience de notre nouvelle fragilité. C'est un mécanisme de résistance très efficace et très positif qui protège notre santé mentale, en particulier contre les peurs et tous les sentiments qui lui sont liés, comme l'anxiété, la solitude, ou la colère.

Je crois que le cancer (et certainement toutes les autres maladies où le pronostique vital est en jeu) nous force à percevoir les choses différemment. Ce n'est pas simplement la façon dont on pense aux choses. Le risque de mort affecte notre perception elle-même. Le cancer nous ouvre les yeux et nous force à être beaucoup plus présent. Je sens que c'est une transformation qui devient de plus en plus évidente dans la façon dont je pense désormais, et elle devient de plus en plus forte au fil des mois.

Cela commence par la façon dont l'annonce du diagnostique affecte notre perception du temps. Avant le cancer je pensais que j'avais encore plusieurs décennies à vivre étant donné mon excellente condition physique. Oh, bien sûr, je savais que la vie pouvait être brève car j'avais perdu ma mère très jeune (elle est décédée d'un cancer avant 40 ans). Les deux types de pensées coexistaient pacifiquement dans mon esprit. Lorsque cela m'arrangeait, je fonçais: "La vie est courte". Mais je faisais aussi des plans à très long terme.

Le choc du diagnostique m'a laissée confuse. Les premières semaines, j'étais incrédule. Ensuite, petit à petit, ma notion du temps s'est modifiée. C'est très difficile à décrire. Pour une large part, ce n'est pas quelque chose que j'ai choisi. Au départ, je ne me suis pas dit: "Arrête d'y penser". C'est plutôt comme un processus de conditionnement: le plaisir était remplacé par une immense peine lorsque je pensais au futur lointain. Du coup rapidement les représentations du futur lointain ont disparu. Les rêves ou les soucis associés ne me venaient plus souvent à l'esprit, et surtout plus dans mes rêveries éveillée.

Mon impression est que notre cerveau et notre esprit s'adaptent progressivement pour nous permettre de continuer à vivre sans sombrer dans la dépression. Après la grande tempête dans le crâne suivant le diagnostique, au bout de quelques semaines et quelques mois, des mécanismes de survie se mettent en place.

Un des bons cotés est que ma vie mentale s'est libérée de beaucoup de préoccupations inutiles. Plus de soucis extraordinaires sur le futur. Je ne pense plus à une nouvelles carrière, à mon futur CV, ou à des placements financiers sur 10 ans. Débarrassée des spéculations sur les différents scénarios de l'avenir, débarrassée des soucis à propos de ce que les gens penseront de moi, ou de ce que je devrais commencer à apprendre maintenant pour entreprendre tel ou tel future projet... 

Je fais encore des projets, mais à court terme. Les prochaines vacances de Mars me réjouissent à l'avance et tout est déjà organisé, tickets de train et locations. Quelques projets d'écriture pour les mois qui viennent. Beaucoup de questions à résoudre sur les projets que je vais bientôt reprendre au travail. Mais j'ai quasiment vidé les 'tiroirs' de mon cerveau où je collectionnais les projets et soucis de plus d'un an ou deux. Si je suis encore en vie, tant mieux, et je ferai alors de nouveaux plans le moment venu.

Tout n'est pas automatique. Je me surprends souvent à me battre activement contre les pensées angoissantes et à repousser les idées sur le futur en tentant de penser immédiatement à autre chose. Lorsque je n'y arrive pas, j'en parle parfois à mes amies. Par exemple je me fais du soucis pour mon fils. Mais je me force à ne pas y penser, car je ne peux pas maîtriser ce futur. Imaginer ce qui arriverait à mon fils si le cancer revenait, me rempli de tristesse et de culpabilité. Je suis forcée de repousser ces pensées. Mes amies soulignent ce que j'ai et ce que j'ai déjà accompli. Elles croient aussi dans mes chances de survivre longtemps, parfois plus que je n'y crois moi même.

Finalement, vivre sans grands plans rend la vie plus simple et beaucoup plus belle. Les émotions sont plus intenses. Les priorités dans la vie deviennent beaucoup plus évidentes et on se débarrasse de ce qui n'est pas essentiel. On se libère de beaucoup de soucis et de contraintes que l'on s'imposait sans s'en rendre compte. On apprend à dire non aux voleurs de temps. Et au final on prend mieux soin de soi même.  

Les moines bouddhistes et les personnes qui pratiquent la méditation et le mindfulness depuis longtemps n'arrêtent pas de le dire. Se concentrer  sur le présent, c'est cultiver le bonheur. Il m'aura fallu ce grand drame pour finalement commencer à l'apprendre, non pas seulement comprendre cette idée intellectuellement, mais effectivement vivre au jour le jour avec cette nouvelle manière de penser et en découvrir les bénéfices.

Et je vais continuer à m'y entraîner car la bataille est loin d'être gagnée, la tristesse et les soucis ne se laissent pas dominer facilement. Ils sont liés à la peur et autres pensées négatives, forces mentales beaucoup plus fortes que les pensées positives (le plaisirs quotidiens dus aux sentiments agréables comme la joie, la contemplation, l'amour, le contentement, etc). Il faut au moins 3 pensées positives pour effacer une pensée négative nous dit Dr Frederickson, la spécialiste du bien-être. C'est une bataille quotidienne.




Photos du mois de Novembre dernier, avec mon fils William le jour de sa ceinture orange de Karaté.
Quelques jours avant, ma première sortie dehors après mon opération.
Je pouvais à peine marcher et je portais sur la tête mon bandeau fétiche, un bandeau "Tour de France" que Florence m'avait apportée.
Les photos sont d'Evelyne qui était venue passer trois semaines pour m'aider.
Pictures from last November, with my son William, on the day of his Orage Belt in Karate.
A few days before, my first walk outside after surgery. I could barely walk and I carried on the head my favourite band, "Tour de France", that Florence had offered to me.
The pictures are by Evelyne who came to spend three weeks to help me.


 ***

English translation: Starting to Live in the Now 


On New York Times' website, cancer survivors can post their picture and a brief commentary about their life after cancer. Many say they get more out of life than before they have cancer. For me it was a very shocking idea to begin with. I wondered if they were not in denial, a defence mechanism that my former professors of clinical psychology immersed in psychoanalytic theories used to talk about very often.

(New York Times website: http://submit.nytimes.com/after-cancer )

But this type of joy and type way of thinking is progressively coming also in my mental life and I understand some of its causes, and starting to enjoy some of its consequences. This is not a denial because it coexists with a strong awareness of our new fragility. This is a very effective mechanism of resistance (or resilience) and certainly a very positive way to protect our mental health, especially against the fears and the feelings associated with it, such as anxiety, loneliness, or anger.

Cancer (and all diseases where the prognosis is life threatening) forces us to perceive things differently. It's not just how we think about things. The risk of death affects our perception itself. Cancer opens our eyes and forces us to be much more present. I feel it's a transformation that is becoming increasingly evident in the way I feel now, and it is becoming stronger over the months.

It started with how the announcement of the diagnosis affected my perception of time. Before cancer I thought I had several more decades to live because of my excellent physical condition. Oh sure, I knew that life could be brief because I lost my mother very young (she died of cancer before age 40). But the two types of thought coexisted pacifically in my mind. When it suited me, I rushed: "Life is short." But I was also very good at making lots of very long-term plans.

The shock of diagnosis has confused me. The first few weeks, I was incredulous. Then, little by little, my sense of time has changed. It's very hard to describe. To a large extent, this is not something I chose. Initially, I did not say, "Stop thinking about it." It's more like a conditioning process: the pleasure was replaced by a great sorrow when I thought of the distant future. So quickly the representations of the far future were not coming back easily. Dreams or concerns related to my future didn't come to mind often anymore, and certainly not in my daily dreams.

My impression is that our brains and our minds are gradually adapting to enable us to continue to live without sinking into depression. After the great storm in the skull following diagnosis, after a few weeks and months, coping mechanisms or resilience mechanisms are being established.

One silver lining is that my mental life has been freed from a lot of unnecessary concerns. No more extraordinary worries about the future. I do not worry about starting a new career, about living somewhere else, or about financial investments. I am free of endless speculations about future scenarios, but also free of worries about what people think of me, or about what I should start learning now to undertake a specific future project.

I still have plans, but in the short term. There will be holidays in March that I look forward to; everything has been booked, train tickets and rentals. And some writing projects for the coming months. And some questions regarding the projects I will undertake once I am back to work. But I've almost emptied the 'drawer' of my brain where I collected the projects and concerns over a year or two. If I'm still alive, well and good, I will make new plans when the time comes.

All these changes are not entirely automatic. I often catch myself fighting actively against distressing thoughts and pushing away thoughts about long-term future. I try to think of something else immediately. When I can not, sometimes I talk to my friends about all my worries. For example, I'm worried for my son. But I force myself to not think about it, because I can not control the future. Imagining what would happen to my son if the cancer came back, fills me with sadness and guilt. I am forced to push away thoughts like these. My friends emphasize all what I have done, and keep telling me that my son is strong and will make it whatever the circumstances. They also believe in my chances of surviving a long time, sometimes more than I believe it myself.

Finally, live without big plans makes life simpler and more beautiful. Emotions are more intense. Priorities in life become much more obvious and we get rid of what is not essential. It is free of many worries and stresses that are necessary without realizing it. You learn to say no to time thieves. And finally we take better care of yourself.

Buddhist monks and people who practice meditation and mindfulness for a long time keep on telling us: Focusing on the present is cultivating happiness. It took me this traumatic life event to finally begin to learn it, and not just understand the idea intellectually. I knew it but until now it was not so strong. Now I can feel that living in the present has a lot of benefits, a better perception of the environment and a better enjoyment of life, free from many (not all, but many) worries.

And I will continue to go and build strength this way, because the battle is far from over: sadness and worry do not let themselves easily dominate. They are related to fear and other negative feelings, negative mental forces much stronger than the positive ones (positive feelings are pleasant feelings coming from daily circumstances such as joy, contemplation, love, contentment, etc.). It takes at least three positive thoughts to compensate for a negative one, wrote Dr. Frederickson, a renown specialist in well-being. It's a daily battle.

mercredi 4 janvier 2012

Entre pronostics sombres et lumières de l'espoir (Between dark prognoses and the lights of hope)

(English translation below)

Pendant des mois, mes clics de souris ont joué au yoyo sur les sites Internet où je dénichais les statistiques de survie du cancer de l’ovaire. Je voulais connaitre mon pronostic de survie mais les informations que je lisaient me terrifiaient, et le plus souvent j’abandonnais rapidement mes recherches.

Daniel Kahneman, le psychologue prix Nobel d’économie 2002, parle de deux principaux systèmes qui guident nos interprétations et nos prises de décision. Le premier est le système intuitif sur lequel nous nous reposons en permanence dans la plupart de nos choix, décisions et interprétations. C’est un système rapide et largement inconscient qui est source de beaucoup d’erreurs de jugement, et qui repose sur des "statistiques" intuitives et imparfaites, basées elles-mêmes en grande partie sur nos erreurs de perception et de mémoire. Ce système de pensée fait des moyennes approximatives et simplifie la réalité à l'extrême.

Au contraire, le système rationnel est beaucoup plus objectif, mais lent, et difficile à utiliser. C'est le raisonnement mathématique et scientifique que nos professeurs souffrent à nous enseigner, et que même les professionnels et les scientifiques parfois maîtrisent mal (même les psychologues d'ailleurs, allez je l'ai dit). Ce système devrait secouer nos croyances et nous aider à questionner nos certitudes, mais nous sommes souvent trop paresseux pour cela, car utiliser la pensée rationnelle est très couteux en énergie mentale.

Comprendre les statistiques du cancer, c’est tenter d'utiliser son système rationnel pour chercher des réponses objectives à notre situation. Pour bien faire, il faudrait étudier les données publiées dans les journaux scientifiques ou trouvées sur les sites médicaux (les vrais). Mais notre système rationnel est rapidement pris d’assaut par nos émotions, nos désirs de lire de bonnes nouvelles, ou nos terreurs. Tout peut devenir confus. Toutes ces émotions ralentissent ou paralysent notre compréhension ou notre objectivité.

Alors que je me bas maintenant depuis plus de 6 mois contre ce cancer, et que les chiffres pronostiques deviennent plus familiers, je suis toujours pleine d'émotions contradictoires. Mais j'essaie et je cherche certaines réponses même si elles sont plutôt floues et décevantes. Je vois des lueurs d'espoir, comme ces jeunes filles des tableaux de Georges la Tour qui semblent isolées dans des endroits très obscurs, éclairées seulement par une bougie. Je cherche la chaleur et la douce lumière de la chandelle dans un contexte dominé par les pronostiques sombres.

J'ai trouvé plusieurs raisons de garder beaucoup d'espoir malgré la mortalité très élevée du cancer ovarien.

La première certitude qui s'impose, lorsque l'on étudie les pronostics du cancer du point de vue du patient, est que les chiffres donnés en termes de moyennes ou de médianes sont inutiles pour nous qui souhaiterions des réponses individuelles.

Certains patients s'arrêtent là et préfèrent ne rien savoir, ce qui en fait est presque logique, car toutes les meilleures statistiques du monde ne donneront jamais une bonne estimation du temps qu'il nous reste à vivre.

Effectivement, les chiffres de survie pour un cancer ovarien épithélial varient énormément: de 95 à 10% de survie après 5 ans (après le premier diagnostique). Donc les moyennes et médianes se situent autour des 45% ans (les chiffres varient légèrement selon les pays et les cohortes étudiées; je consulte les données publiées par les instances officielles ou les publications scientifiques des Pays-Bas, France, USA et Royaume Uni). Ce chiffre ne veut certainement pas dire que nous avons toutes un risque sur deux de mourir avant 5 ans. Les variations sont si grandes qu’il faut aller chercher les statistiques en fonction de facteurs spécifiques.

Les facteurs importants qui influencent le pronostic sont surtout : l’étendue de notre tumeur (les stades de I à IV), notre âge, le grade (ou différentiation) des cellules, le fait que le cancer soit récurrent ou traité pour une première fois, et le nombre d’année de survie que nous avons déjà derrière nous.

C'est là que commence le yoyo des sentiments, l'espoir ou le découragement.

Ainsi les sujets plus jeunes ont de très bons pronostics. La moyenne d’âge à laquelle le cancer ovarien est découvert est d’environ 63 ans. La plupart des statistiques faites sur l’ensemble des patients tous âges confondus sont donc faites sur des personnes qui ont autour des 60 ou 65 ans, et dont le corps va souffrir des traitements beaucoup plus que chez les sujets ‘jeunes’. Pour moi c'est une bonne nouvelle. Mon diagnostique a été fait lorsque j’avais 41 ans, or les diagnostiques faits de 20 ans à 44 ans ne représentent que 12% des femmes atteinte de ce cancer. Donc pour les patients de mon groupe d'âge, toutes les moyennes ou médianes données sur l'ensemble des cohortes de patientes doivent être rectifiées à la hausse.

En revanche, le stade à la découverte de la tumeur et le type de cellule est également crucial. Pour mon type de tumeur (cancer épithélial, stade IIIB), le taux moyen de survie à 5 ans (temps calculé à partir du diagnostique) est d'environ 38%. Pas de quoi ouvrir le champagne. Au départ, je pensais que j’avais une chance sur trois seulement d’être encore en vie dans 5 ans et j'étais déprimée par ce chiffre. J'aurais même souhaité ne pas avoir voulu savoir! Mais en fait, pour le groupe des 20 à 49 ans, le chiffre est beaucoup plus élevé, à environ 62%.

Il faut également regarder les taux de survie 1 an après le diagnostique : tous âges confondus, ce taux est de 65% (pour les tumeurs IIIB) – au lieu des 38% que je viens de mentionner. En fait, les chiffres à retenir ici sont que les  toutes premières années sont cruciales et que les chances de survie après un an, puis deux, puis cinq, deviennent de plus en plus élevées comparées aux moyennes calculées au moment du premier diagnostique.

Plusieurs mois après mon diagnostique, juste avant mon opération, j’ai commencé à comprendre que chez certaines femmes, le cancer des ovaires peut totalement disparaitre et ne jamais revenir. Le cancer ovarien peut toujours revenir, et il ne faut pas vivre dans l’illusion que nous serons un jour débarrassées de cette anxiété, car il peut revenir même 15 ans ou 25 ans après le diagnostique initial. Cependant, plus le temps passe, moins cela est probable. Par exemple pour la tumeur ovarienne épithéliale en stade IIIB, les taux de survie après 1 ans, 5 ans, et 10 ans sont de, respectivement, 81%, 38% et 25% (données du SEER, un site américain de statistiques de santé). Cela signifie que un quart des femmes tous âges confondus sont encore en vie après 10 ans… Là encore ces chiffres sont plus élevés lorsque l’on est jeune et lorsqu’ils sont calculés un an après le diagnostique (donc chez les femmes qui ont survécu à l'année où la mortalité est très forte).

Curieusement j'ai mis du temps à être certaine du fait qu'un bon nombre de femmes vivaient sans que le cancer revienne. J'imagine que je n'osait pas y croire car je ne voulais pas espérer trop puis être très déçue. Et puis, comment y croire alors que ce n'est jamais marqué noir sur blanc dans les rapports. On étudie les patientes pendant 10 ans, on publie les statistiques, puis on ne donne  plus de nouvelles... Mais mon médecin gynécologue oncologue me l’a confirmé. Une fois cette découverte faite, mon anxiété a diminué et l’espoir pouvait être permis _ et il n’avait rien d’irrationnel.

Tout est relatif et les chiffres qui me déprimaient l'été dernier me sont maintenant familiers et j'y vois des lueurs d'espoir que je ne voyais pas auparavant.
L'automne dernier, je ne connaissais pas encore cette maladie, je n'avais lu que quelques chiffres généraux (à un moment donné, je pensais que j’avais 80% de risques de mourir d’ici 5 ans !), je ne savais pas encore si j’allais bien réagir à la chimiothérapie, et mon chirurgien lui-même n'était pas certain que la tumeur serait opérable. Comme beaucoup de patients qui préfèrent ne pas connaître leur pronostic, au tout départ je n'ai pas voulu poser de questions à ce sujet à mon oncologue. J'avais peur de sa réponse. Je pensais que je serai plus courageuse pendant le traitement si je ne savais pas tout.

Puis rapidement, ma position a été opposée et j'ai commencé à vouloir connaitre les détails. Et je ne le regrette pas. Quelque chose dans ces chiffres me fascine et m'attire. C'est peut-être mon premier système, comme dirait Khaneman. Ce n'est pas rationnel. Je cherche dans ces chiffres un moyen de maîtriser mon futur, de tenter de contrôler une situation qui m'échappe, et de trouver la bonne nouvelle qui me redonnera beaucoup d'espérance. Petit à petit je me suis familiarisée avec la maladie et tous ces chiffres sont devenus moins angoissants; je connais leurs limites et je commence à connaitre leur langage. Et l'important pour moi, en tant que patiente, est que malgré le fait que cette maladie soit très dangereuse et que beaucoup d'entre nous n'en sortiront pas vivantes, les chiffres laissent quand même la porte ouverte à la possibilité que nous puissions encore vivre beaucoup de belles années.


 Peinture de Georges de la Tour
Magdalen with the Smoking Flam


***

English translation: Between dark prognoses and the lights of hope

For months, my mouse clicks have played yo-yo on the websites where I unearthed the statistics for ovarian cancer. I wanted to know my prognosis for survival, but the information I read terrified me, and usually I'd quickly abandon my research.

Daniel Kahneman, the psychologist who won the Nobel Prize in Economics in 2002, talks about two main systems that guide our interpretations and decisions. The first is the intuitive system, with which we establish most of our choices, decisions and interpretations. This is a fast and largely unconscious thinking system that is the source of many misjudgments. It is based on intuitive and imperfect 'statistics', based themselves largely on our subjective and biased perception and memory. This system tends to average things, to simplify reality, and to provide us with quick answers, instead of dealing with complexities and uncertainties.

Instead, the rational system is much more objective, but slow, and difficult to use. This is the mathematical and scientific reasoning that our teachers painfully tried to teach us, and that even professionals and scientists fail to use (and even psychologists for that matter). It should shaken our believes and help us question our confidence but most often we are too lazy to do so because using rationality is just hard.

Understanding cancer statistics is trying to use the rational system to seek objective answers to our situation. Ideally, one should study data published in scientific journals or found on (real) medical sites. But our rational system is quickly taken over by our emotions, our desires to read good news, or our fears. We become confused. Emotions slow down and impair our understanding and our objectivity.

As I have been fighting for over 6 months against this cancer, and as prognoses figures have become more familiar, I am still always full of conflicting emotions. But I keep trying to find some answers even if they will be rather vague and disappointing. I see glimmers of hope, just like these girls isolated in the dark and lit only by small candles in George de la Tour's paintings. I am looking for the warmth and soft light of the candle in a context dominated by the dark prognosis.

I found several reasons to remain very hopeful despite the very high mortality of ovarian cancer.

The first certainty that imposes itself, when considering the prognosis of cancer patient's perspective, is that the figures given in terms of means or medians are unless for people like us who would like to find individual responses.

Some patients prefer to stop there and know nothing, making it almost makes sense because all the best world statistics will never give a good estimate of the time left to live for one person. Not even a close approximation.

Indeed, the survival figures for epithelial ovarian cancer vary widely: from 95 to 10% survival after 5 years (after the first diagnosis). So the mean and median are around 45% of years (the numbers vary slightly depending on the countries and cohorts studied, I consult the data published by the official or scientific publications of the Netherlands, France, United States and United Kingdom) .

This figure certainly does not mean we all have a risk to die within 5 years. The variations are so large that we should seek statistics based on specific factors.

Important factors that influence prognosis are mainly: the extent of our tumors (stages I to IV), our age, grade (or differentiation) of cell, whether the cancer is recurrent or treated for first time , and the number of years of survival that are already behind us.

Here begin the yo-yo feelings, hope and discouragement.

Younger people have a very good prognosis. The average age at which ovarian cancer is found is about 63 years old. Most of the statistics made on all patients of all ages are made on people who have around 60 or 65 years, and whose body will suffer much more from the treatments than 'young' subjects. For me this is good news. My diagnosis was made when I was 41. The age group of women diagnosed between 20 and 44 years only represents only 12% of women. So for patients in my age group, all mean or median data for all cohorts of patients must be corrected upward.

However, the discovery stage of the tumor and the type of cell is also crucial. For my type of tumor (epithelial cancer, stage IIIB), the average 5-year survival (calculated from time of diagnosis) is only around 38%. Not enough to open a bottle of our best Champagne. At first I even thought I had only one chance in three to be still alive in 5 years and I was depressed by this figure. I even wished not to have wanted to know in the first place! But in fact, for the group of 20 to 49, this figure is much higher, about 62%.

We must also look at survival rates 1 year after diagnosis: for all age groups, this rate is 65% (for tumors IIIB) _ instead of 38% that I just mentioned. Quite a contrast.

The facts to remember from all these numbers are that the early years are crucial and that the chances of survival after one year, then two, then five, become higher and higher as compared with the averages calculated at the time of first diagnosis.

Several months after my diagnosis, just before my surgery, I began to understand that in some women, ovarian cancer can completely disappear and never return. Ovarian cancer can always come back and I am not saying that we should live in the illusion that one day we will be rid of this anxiety. Because it is sneaky and can come back even 15 or 25 years after initial diagnosis. However, as time passes, this is less and less likely.

For example in epithelial ovarian tumor stage IIIB, the survival rate after 1 year, 5 years and 10 years are respectively 81%, 38% and 25% (data from SEER, a U.S. site for Health Statistics ). This means that a quarter of women of all ages are still alive after 10 years ... Again these figures are higher when you are young and when calculated one year after diagnosis (ie women who have survived the year in which mortality is very high).

Curiously I have been slow in believing that many women could live without the cancer coming back. I guess I did not dare to believe it because I did not want to expect too much and be very disappointed. And how then to believe that fact that is never written in black and white in the reports. They study patients for 10 years, publish their statistics, then we're left without further news... But my gynecologist oncologist confirmed it to me: yes, some women do not see their cancer coming back. Even for ovarian cancer. After this discovery, my anxiety has decreased and I allowed myself to be much more hopeful _ hope was not irrational anymore.

Everything is relative and the numbers that I made me feel depressed last summer are now familiar figure. I see glimmers of hope. Last fall, I did not yet know this disease; I had read only some general figures (at one point, I thought I had 80% chance of dying within 5 years!); I did not know yet if I would respond well to chemotherapy; and my surgeon himself was uncertain whether the tumor is operable. Being optimistic was like being in denial.

So I really understand that many patients prefer not to know their prognosis. I even remember that at the very very start I was also not willing to ask questions about my prognosis to my oncologist! I was afraid of his answers. I thought I would be braver if I did not know everything.

Then quickly, my position has been the opposite and I started to want to know the details. And I do not regret it. Something in these figures fascinates me and attracts me. This may be my first system, as Khaneman would say. It is not rational. I am looking at these figures as a way to control my future. I am trying to control an elusive situation, and trying to find some good news that will give me much hope. Gradually I became familiar with the disease and these numbers have become less scary and I know their limits and I begin to know their language. The most important thing to me now, as a patient, is that despite the fact that this disease is very dangerous and that many of us will not come out alive, the figures still leave the door open to the possibility that many of us can still live many happy years in the future.
Painting from Georges de la Tour
Magdalen with the Smoking Flam