jeudi 17 novembre 2011

Opération de réduction tumorale ou debulking (The Debulking Operation)



(English translation below)

Comme un poisson jeté sur le sable. Je me réveille de l’opération de debulking mardi dernier, assoiffée à l’extrême et incapable de relever mon corps ou de me retourner sur mon lit d’hôpital.

Des premières heures après le ‘réveil’ de l’anesthésie, je ne me souviens presque de rien. Mon infirmière référente, celle qui m’a suivie régulièrement depuis mon premier rendez-vous chez le gynécologue oncologue en Juillet cet été, est présente à mon chevet et me parle. Mais je n’ai pas souvenir de ce qu’elle m’a dit.

Le mercredi, première journée après l’opération, je suis consciente mais très faible. Je suis sous anesthésie péridurale avec de fortes doses d’anti-douleur. Je ne peux pas respirer très fort. Des tas de tubes entrent et sortent de mon corps : oxygène, drain dans le ventre pour extraire les éventuels restes de sang et infection de l’opération, cathéter relié à ma vessie qui a été légèrement touchée durant l’opération, perfusion pour m’hydrater, et perfusion péridurale anti-douleur dans le bas du dos.

Je suis très assoiffée et je bois, mais rien ne semble vouloir rentrer plus bas que mon estomac et je vomis sans cesse. Horribles douleurs lors des spasmes de vomissement. En fait, je tente de me retenir de trop boire, je tiens quelques minutes, puis je tente de boire un peu ; j’attends ; et je vomis dans l’heure qui suit. Je me dis que je ne devrais arrêter de boire de l’eau mais je ne suis pas certaine de savoir ce qui est le mieux. Je n’ai pas besoin de boire, techniquement parlant, mais la soif est si intense qu’elle est plus forte que la peur de vomir. Alors j’attends et je tiens quelques minutes puis quelques heures, puis j’essaie de boire à nouveau… et je vomis à nouveau et ça repart pour un tour.

Les douleurs dans le ventre, la douleur dans le dos, la chambre qui chavire comme si j’étais dans un bateau. Je bouge le moins possible pour souffrir le moins possible.

Le jour suivant l’intervention, mon gynécologue vient me voir, visiblement très content. J’aime beaucoup ce type dont je ne connais rien. Il est toujours très prudent lorsqu’il parle et m’explique les choses, il ne me donne pas trop d’information que je ne serais pas prête à entendre, mais il est franc lorsque je lui pose des questions difficiles. Je lui fais totalement confiance. Il vient pour me dire que l’opération a été un grand succès : toutes les traces de tumeur apparente ont pu être enlevées. Les deux chirurgiens qui ont travaillé plus de cinq heures ont réussi à retirer les organes touchés par la tumeur principale, ovaires, trompes de Fallope et utérus ; l'omentum (ou épiploon, partie du péritoine recouvrant le système digestif) et l’appendice ont aussi été enlevés ce qui est la procédure classique. L’opération a été très difficile, me dit-il, et il est vraiment content du résultat.

Une jeune femme médecin scrute ma cicatrice. Mon ventre ressemble à celui d’une dinde de Noël fourrée aux marrons. « Beautiful ».
Si elle le dit.


Mais, malgré la douleur, je suis contente. Pour la première fois depuis des mois, je commence à voir l’avenir. J’ai maintenant au moins plus d’un an ou deux à vivre. Pourquoi deux ans ? Le docteur ne me l’a pas dis, c’est juste une image qui me vient spontanément à l’esprit. Et peut-être beaucoup plus, après tout… mais ce sera une question de chance et je ne veux pas y penser. Deux ans à vivre encore, c’est génial !  


Deux amies viennent me voir, des amies proches. L’une est super contente du succès de l’opération et contente de me voir en vie. J’ai l’air super d’après elle. L’autre me regarde avec beaucoup de peine dans les yeux et j’ai envie de la rassurer. Mais je peux à peine parler car j’ai le souffle court et j’ai la tête qui tourne. Je réponds par monosyllabes.


Jeudi, troisième jour d’hospitalisation. Je sens et j’entends des gargouillements dans mes intestins. C’est bien la première fois de ma vie que je suis contente d’entendre un truc pareil ! Mes nausées s’arrêtent et je tente de trouver la logique: si les intestins remarchent, l’eau doit pouvoir descendre plus bas que mon estomac. Donc mon corps se réveille. Impeccable. Je suis contente.


Mais pas si vite… Quelques heures plus tard : diarrhées ! Merde alors, c’est le cas de le dire. Avoir la diarrhée quand on ne peut pas marcher – bonjour la honte. Je dois appeler pour qu’on m’emmène en fauteuil roulant aux toilettes. Je peux tout juste me lever et m’asseoir, à peine faire un pas par terre. Quelle humiliation !
Le vendredi soir, lorsque les infirmières n’arrivent pas malgré mes appels, je décide de marcher aux toilettes. Je suis courbée en deux, une douleur intense dans le ventre et dans le dos… mais je marche.


Les premières nuits sont un enfer. Je me réveille toutes les heures, et je fais les pires cauchemars de ma vie, proche des hallucinations. La chambre semble valser. J’entends une musique de rock'n'roll _ du rock à deux heures du mat dans un hôpital ? Je vois mes rideaux de chambre se transformer et des squelettes danser sur fond de kaléidoscope rose au rythme de cette musique ! Si j’avais pas si mal ce serait drôlement rigolo. Effet des drogues anti-douleurs évidemment.


Mes rêves sont très violents. Je suis propulsée dans tous les sens et je vole dans une maison, en étant projetée contre les murs et en rebondissant comme une boule de flipper. C’est comme si un souffle géant me balançait d’un mur à un autre. Je m’écrase, j’ai mal, le mur craque et le souffle me reprends et me projette à nouveau violemment contre un autre mur… Je me réveille en sursaut, je tremble et mon cœur bat à tout rompre. Je ne veux plus dormir… Epuisée, je me rendors mais les autres rêves ne sont pas plus paisibles.


Le samedi matin, les diarrhées finalement s’arrêtent, mon ventre semble se reposer, et je commence doucement à manger. Première nourriture depuis quatre jours, je vais m’en souvenir : un bouillon de poulet beaucoup trop salé qui me semble la chose la plus délicieuse au monde, et de la compote.


La péridurale a été stoppée et très peu de temps après mon cerveau fonctionne à nouveau un peu normalement. Plus de chambre bancale à la Van Gogh, ni d’hallucinations ou de cauchemars.


Les copines sont venues me rendre visite, une visite par jour. Elles ont été super. Elles se sont organisées entre elles pour que je reçoive une ou deux visites par jour, ni plus, ni moins, selon mon souhait. Une petite équipe d’anges gardiens. J’ai reçu des fleurs et des cartes : c’est que mes anges gardiens sans me le dire ont envoyé un email à beaucoup de proches pour leur donner de mes nouvelles…  et l’adresse de l’hôpital. Ah ces copines ! Leur gentillesse et leur discrétion me touchent, mais je ne pourrai jamais leur dire à quel point. Pour la cent millième fois je me dis que je ne pourrai jamais leur rendre tout ce qu’elles me donnent en ce moment. 


Le dimanche, je peux descendre en fauteuil roulant avec ma copine Ans au café de l’hôpital pour prendre un chocolat chaud et une pâtisserie. Nous parlons de nos enfants, du boulot et du futur, comme d’habitude ! Ans me dira plus tard « C’était super, je n’avais pas du tout l’impression de faire une visite à l’hôpital » _ moi aussi j’avais oublié pendant deux heures que j’étais à l’hôpital ! Je respire plus librement, et je redeviens moi-même petit à petit.
Au fil des jours, les tuyaux sont débranchés. Le dernier, le cathéter relié à ma vessie, est retiré au 7e jour et c’est la vie libre qui reprend. Le poisson sur le sable a retrouvé la route vers la mer et de petit bond en petit bond il s’est sorti d’affaire. Je peux petit à petit marcher, et même prendre ma douche tout seule.


Pas étonnant que les gens qui sortent d’un cancer parlent parfois comme des imbéciles heureux. Je vais devenir une imbécile heureuse moi aussi, vous allez voire ! Je ne suis pas prête d’oublier le plaisir d’une douche ou d’entendre mon ventre gargouiller. Je veux m’en souvenir chaque jour et je ne veux plus m’y réhabituer ! Je rigole de plaisir! Je me marre toute seule et je ne peux pas vous expliquer pourquoi parce que personne ne comprendra que tout me fait rire. Pourquoi est-ce que j’ai passé tant d’années à me faire tant de soucis pour des tas de choses compliquées, sans être submergée de plaisir lorsque j’allais aux toilettes, ou lorsque je prenais ma douche ? Etre vivant, quel pied !


Mardi, septième jour. « Vous pouvez rentrer à la maison si vous le voulez », dit le médecin. Et comment que je veux rentrer !

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Un peu de vocabulaire : Une opération de debulking ou de réduction tumorale, en oncologie est une opération chirurgicale dans laquelle le plus gros d’une tumeur cancéreuse est retiré sans qu’il soit possible que tout ait été retiré. L’opération complémente la radiothérapie ou la chimiothérapie. Dans mon cas, les tumeurs visibles ont été retirées mais il est probable que des cellules cancéreuses soient encore logées dans mon abdomen mais soient invisibles à l’œil nu (pour le chirurgien ou par les techniques d'imagerie). Donc une opération seule ne suffirait pas à me traiter. Il est nécessaire de poursuivre la chimiothérapie pour attaquer les cellules résiduelles. Cette procédure est classique dans les cancers ovariens en stade avancé.

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English translation : Debulking operation




Like a fish thrown on the sand. I woke up from the debulking operation last Tuesday, extremely thirsty and unable to raise or turn my body in my hospital bed.

The first hours after the 'awakening' from the anesthesia I do not remember. My case manager nurse, who has followed me regularly since my first visit to the gynecologist-oncologist in July this summer, sat at my bedside and talked to me. But I do not remember what she said.

On Wednesday, the first day after surgery, I was conscious but very weak. I was under epidural anesthesia with high doses of painkillers. I could not breathe very hard. Lots of tubes in and out of my body: oxygen; drain in the belly to remove any residual blood and infection from the operation; catheter connected to my bladder because the bladder was slightly affected during the operation; infusion for hydration; and epidural infusion of painkillers.

I felt extremely thirsty and so I drank water, but nothing seemed to go lower than my stomach. I seemed to throw up everything. Vomiting spasms were accompanied with horrible pain on the wound. So here is how it went: I was waiting for a few minutes, then tried to drink a little bit of water; waited and dozed; then threw up in the next hour. Of course I told myself that I should not drink. I did not need to drink, technically speaking, but thirst was so intense that it won over the fear of vomiting. So I was only able to wait for another hour, then I tried to drink again, and vomit again… and again.

Pain in the abdomen was accompanied with back pain, and the room felt as if I was capsized in a boat. So I move as little as possible to suffer as little as possible.

My gynecologist came on the day after the intervention and was happy. I like this guy very much. He is very cautious when he talks, never says too much information that I am not ready to hear, but he is very frank when I ask him difficult questions. I do trust him fully. He told me that the operation was a success: all traces of visible tumor could be removed. The two surgeons were able to remove the affected organs, ovaries, fallopian tubes and uterus, as well as the peritoneum and appendix _the standard procedure. The operation was very difficult, he said, and he is really happy with the result.

A young woman doctor examined my scar. My belly looked like that of a Christmas turkey stuffed with chestnuts. "Beautiful."
If she says so.

But despite the pain, I was glad: For the first time in months, I began to see the future. I felt that I now had at least over a year or two to live. Why two years? I haven't heard it from the doctor; it's just the first image that immediately came to my mind. And perhaps much more, after all ... but it will be a matter of luck and I do not want to think about it further. Two years to live, that's great!

Two friends came to visit, close friends. One was super happy with the success of the operation and happy to see me alive. I looked great in her opinion. The other stared at me with intense pain in her eyes, and I wished I could reassure her. But I could hardly speak because I could not breathe very deep and felt dizzy. I answered by monosyllables.

Thursday, third day at the hospital: now I’m feeling and hearing rumbling in my intestines. Probably for the first time in my life that I'm really glad to hear that! My nausea has stopped: so it looks as if once the bowels were able to do their job again, the water was able to go lower than my stomach. So it all means that my body wakes up, and I'm happy.

But not so fast ... A few hours later, diarrhea! Shit, I think and yes this is what it is. Having diarrhea when you can not walk - hello shame! I have to call; a girl has to push me to the WC on a wheelchair. I can’t walk but I soon learn to get up and sit down. What a humiliation! It’s Friday night, the nurses fail to come despite my calls, so I decide to walk to the bathroom alone. I'm bent in two, severe pain in the stomach and strong back pain ... but I walk.

The first nights were hell. I woke up every hour, and I had the worst nightmares of my life, close to the hallucinations. The room seemed to waltz. I heard rock and roll music. At in a hospital? The bedroom curtains were moving and on them I could see skeletons in a pink kaleidoscopic background dancing in rhythm with the music. Secondary effects of the painkillers obviously.

My dreams were very violent and frightening. I felt that I was propelled in all directions and been thrown against the walls, bouncing like a ball in a flipper game. A giant blow was pushing me from one wall to another. I got crushed; I could see the walls cracking; another blast and I felt projected again violently against another wall and another, quicker and quicker ... I woke up trembling and with short breath. I did not want to sleep anymore... but, exhausted, I fell asleep again and my next dreams were not more peaceful.

On Saturday morning, diarrhea had finally stopped. My stomach and belly seemed to rest, at last, and I slowly began to eat. I will always remember my first food after four days with empty stomach: a too salty chicken broth that tasted like the most delicious thing in the world; and applesauce. Good start.

The epidural was stopped and very soon afterwards, my brain was working again just as usual. No more wobbly room in the Van Gogh style, neither hallucinations nor nightmares.

My girl friends came to visit me daily. They were great. They had organized the visits so that I would receive only one or two visits per day, nothing more, and nothing less. A small team of guardian angels. I received plenty of flowers and cards, and guess what: My guardian angels had sent an email to my friends with the address of the hospital ! Ah, these women! Their kindness and discretion touches me so much, but I could never tell them how much. For the hundredth time I tell myself that I will never give them in the future what they offer me today.

On Sunday, I could get in a wheelchair, and pushed by my friend Ans, off we went to the hospital cafe for a cup of hot chocolate and a pastry. We talked about our children, work, and the future, quite as usual! Ans later told me "It was great, I didn’t feel like I was doing a hospital visit" _ me neither. I forgot for two hours I was in the hospital. I had started to breathe more freely, and I could feel myself become myself again slowly but steadily.

Over several days, all the plastic pipes entering my body were one by one disconnected. The last one, the catheter connected to my bladder, has been removed on the 7th day.
This meant for me that free life could resume! The fish found a road to the sea and with small leaps he jumped out, back in his natural element. I can walk slowly, and even take a shower alone. This is great.

No wonder people recovering from cancer sometimes talk like happy idiots. I'll be a happy idiot too, you'll see! I'm not ready to forget the pleasure of a shower or to hear my stomach gurgling. I want to remember every day and I do not want to reacquaint myself! I laugh with pleasure and I can not tell you why, because no one will understand that all makes me laugh.
Why is it that I spent so many years to worry for lots of complicated things, without being overwhelmed with pleasure when I went to the bathroom or when I was taking my shower? Being alive, that’s awesome!

Tuesday, the seventh day. "You can go home if you want to," said the doctor. Well, you bet I want to go home!

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Vocabulary: A debulking operation in oncology is a surgical procedure in which the bulk of a cancerous tumor is removed without the possibility that everything has been removed. The debulking surgery complements radiotherapy or chemotherapy. In my case, the "visible" tumors have been removed but it is likely that cancer cells are still lodged in my abdomen but invisibles to the naked eye. So a single operation is not sufficient to treat me. It is necessary to continue the chemotherapy to attack the residual cells. This procedure is standard in advanced-stage ovarian cancer.

2 commentaires:

Anonyme a dit…

Oh, Catherine. Reading this entry is very hard--I can't even imagine how hard it was for you to go through this. And yet you sound so vivid and grateful and pleased (well, pleased maybe is pushing it--how about relieved?). Anyways, I'm relieved the operation is done. I can't wait to see the new, lighter you!

Anonyme a dit…
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